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Isaac Hayes › Shaft (O.S.T.)
2lp/1cd • 15 titres • 69:38 min
- 1Theme from Shaft (vocal)4:37
- 2Bumpy’s Lament1:49
- 3Walk from Regio’s2:22
- 4Ellie’s Love Theme3:15
- 5Shaft’s Cab Ride1:07
- 6Cafe Regio’s6:09
- 7Early Sunday Morning3:47
- 8Be Yourself4:27
- 9A Friend’s Place3:21
- 10Soulsville (vocal)3:47
- 11No Name Bar6:09
- 12Bumpy’s Blues4:01
- 13Shaft Strikes Again3:04
- 14Do Your Thing (vocal)19:38
- 15The End Theme1:56
informations
Enregistré aux studios Stax (Memphis, Tennessee) par William Brown, Henry Bush, Baby Manuel et Dave Purple. Monté par Daryl Williams. Remixé par Ron Capone et Dave Purple.
line up
James Alexander (basse), Willie Hall (batterie, tambourin), Isaac Hayes (piano, vibraphone, orgue, piano électrique, voix, composition et arrangements), J.J. Johnson (arrangements sur Walk from Regio's), Michael Toles (guitares lead et rythmique), Lester Snell (piano électrique), Charles Pitts (guitares lead et rythmique), Gary Jones (percussions) ; The Memphis Strings & Horns, Onzie Horne (copiste), Mickey Gregory (copiste), Johnny Allen (arrangements) ; Ronald Hudson (basse sur Shaft’s Cab Ride), Sidney Kirk (piano sur Shaft’s Cab Ride)
chronique
Isaac Hayes en 1971 : une sorte de légende, déjà. Bientôt décrété prophète – à la fin de l’année sortira son Black Moses : le Moïse Noir, carrément. L’été de celle d’après il soulèvera – autant que le révérend Jesse Jackson avec son vibrant discours, à en croire les images (qui disait en substance à des milliers d’Américains noirs, ni plus ni moins que : « vous êtes quelqu’un ») – la foule de Wattstax, le festival gratuit organisé par le label Stax pour commémorer les émeutes de 1965 (survenues dans le quartier noir Watts, à Los Angeles, suite à une altercation par la police d’une famille de ces rues… et se soldant, dixit wiki, après six jours, par : « 34 morts dont 23 civils tués par les forces de l'ordre, 1 032 blessés déclarés, 3 438 arrestations, 977 bâtiments détruits ou endommagés et les dommages matériels sont estimés à 40 millions de dollars »… ceci sans jamais déborder les 19km2 dudit district).
De Stax (basé à Memphis, Tennessee, alias – tiens tiens – Soulsville, depuis qu’il s’y était établi, y était né, s’y était fait grand jour), Hayes était de toute façon devenu deux ans plus tôt (on se référera pour d’amples détails sur ce chapitre – et pour être sûr d’y plonger – à la chronique par Sheer-Khan du Hot Buttered Soul en question, de 1969) le nouveau héros. Celui d'un « nouveau Stax », d'ailleurs, aussi et à vrai dire : l’époque Al Bell du label – dirigeant rompu à la rhétorique « Black Power », impliqué dans le mouvements des droits civiques, dans cette Amérique d’après Luther King, assassiné en 1968, d’après Malcolm X, dessoudé lui en 1965 ; d’après la boucherie perpétrée par la « famille » Manson, aussi évidemment, en 1969, et le désastre d’Altamont là même année, en point final.
Ce film, donc, dans l’intervalle – que la plupart des anthologies, des études créditent – c’est évidemment discutable, raccourci – comme « le premier du genre Blaxploitation » (avec le Sweet Sweetback Baadassss Song de Melvin Van Peebles, sorti quelques mois plus tôt). Certains les critiquerons bientôt, ces métrages : la réalité de la gloire technicolor-afro par eux clamée, la portée réelle du triomphe, derrière l’image… Certains marqueront leur scepticisme sur les B.O. mêmes qu'ils composeront pour ces bobines (c.f. celle, fameuse mais pas toujours comprise, semble-t-il, de Curtis Mayfield pour Superfly).
Et certes, ces tentatives d’établir une sorte d’Hollywood parallèle, pas forcément moins porté sur le bidonnage que l'autre, semblent parfois, souvent discutables, vues d'ici. Les intentions « d’infiltration » déclarées, souvent douteuses – dans la culture « dominante », alors même que beaucoup de ces films seront pondus, selon toute évidence, par des faiseurs surtout désireux d’accrocher la tendance. Quant à la réputation de brûlots que se traînent encore certains de ces trucs-là… On se demande parfois où ils ont pu la récolter, en découvrant sur un écran ou l'autre de quoi il retourne, concrètement. Bon ! Et Shaft, dan stout ça, n’est pas un mauvais film. Roublard, oui, mais monté avec compétence, un solide sens du mouvement, du raccord qui propulse. Et moins « menteur » que nombre d’autres dans les pléthores qui suivront – en ceci qu’il assume au moins un aspect « comédie » certes ambigu, sous le polar nerveux, mais qu'on aurait dû mal à prendre pour une très sérieuse prétention à l'époque.
Et la musique d’Isaac Hayes – cette B.O. sans doute écoutée, de toute façon, bien plus souvent que le film n’a été effectivement vu, depuis sa sortie – n’est jamais soupçonnable, elle, de fraude. Hayes y est entier – et partout. À l’écriture, aux claviers – c’est à dire, largement, à l’harmonie, à la cadence. Au chant, bien-sûr – à vrai dire plutôt rare (trois morceaux, sur les quinze plages ; mais on à l’impression que cette voix les habitent toutes, par contagion, par empathie). Avec elle, avec lui – avec les Bar-Kays (groupe-maison de Stax, à ce moment de l’histoire) et avec Movement (son propre groupe ; et le titre de l’un de ses deux albums sortis en 1970) : toute la « great black music » d’alors, bien au-delà des cercles d’avant-garde (l’AACM de Chicago, où s’était forgée l’expression, parmi les free-jazzmen : l’Art Ensemble of Chicago, Muhal Richard Abrams…). La Soul, évidemment – moderne, infusée des jus et fumets des décennies décantées, avant.
Le sang, l’incarnation, sous la ronce de noyer, la rutilance des ensembles chromés. Pas de blues – ou alors sorti de la plainte, transfiguré, dans l’électricité des guitares, à la rigueur ; celui de Chicago, encore : volontaire, mordant ; celui d‘un Albert King, peut-être, derrière qui jouaient à la même époque à peu près ces mêmes gens ici présents, en partie ; là, devenu FUNK – insufflé avec le reste dans l’architecture, l’élévation). Il y a ce thème, bien-sûr – célèbre, absolument crampon avec son auto-wha obsédante, ses cordes en houle lente, ses questions/répons entre Hayes et le chœur d’un gospel dévoyé, voyou, parfumé trop fort pour la chapelle (« You see this cat is a baaaad Motherf…/SHUT YOUR MOUTH ! »).
Et puis : le jazz, aussi – on y revient. Parce qu’une fois de plus, Hayes connaît l’harmonie, le rythme savamment tournés – comment en ancrer l’axe, le temps qu’il faut pour que ça se mette à tourner en ellipse, pour que ça ne sonne pas lourdement carré sous l’effectif (violons, violoncelles, altos et trompes etc). Rien qui dépasse, certes – mais miracle : rien, comme ça, de contraint ! Une musique vaste, à la place – et texturée, matières, pulsée.
Du piano bastringue monté en cathédrale – mais pas d’un triste gris, pas d’un mauvais clinquant, le drapé sans vulgarité aucune, dans ses volumes. De l’Ode à vrai dire – fierté, encore, oui… Mais généreuse, bien au-delà de l’illustration, des tableaux d’une vie trépidante que ce serait censé enluminer la partition – celle du détective Shaft, avec son nom d’argot (si jamais : littéralement traduit, ça veut dire : « Le Manche »). Cette musique porte un souffle – grand, ouvert. Hayes n’est pas qu’un entrepreneur habile.
Et puis le jazz, disais-je, au-delà des simples indices – des vibraphones, des walking-basses sur les manches amplifiés, des trompettes bouchées. Il y a cette plage ouverte, vers la fin, ses 19’30" outrepassées – Do Your Thing. Tout absolument en place, là-dedans. Chacun de ceux qui jouent – tour à tour, ensembles – lâché, sans bride. Une déferlante tranquille où tout se déploie, lentement, puis s’emballe sans que nous ait frappé l’instant du basculement.
Par là – une fois passé le précédemment cité mémorable thème – on entre complétement dans ce disque. On en saisit la dimension – l’autonomie, toutes considérations « historiques » mises à part. (C’est ainsi, en tout cas, que ça m’est arrivé). La tendresse profonde et la vigueur musculaire, la vivacité qu’aucun cliché n’enferme, ne corsète. Du Hayes en plein écran – avec ou sans jeu de mots, oui ; surtout : dans toute l’étendue de son savoir, de son vouloir, articulé mais jamais verbeux ; capable de monter des mouvements quasi-symphoniques sur une simple cocote de guitare ; de donner aux pupitres d’archets démultipliés la proximité d’une voix intimement glissée.
En cette année, Isaac est… Grand. À cette époque, tout ce qu’il sort sonne sincère, plein – jamais mégalomane, si « luxe » que puissent sonner ses œuvres, jamais pompeux dans son abondance.
Bien-sûr : d’autres voix, en ces temps, sauront nier que tout est bien – laisseront voire un réel terrible, au travers les soies, les velours, les volutes. Curtis bientôt, disais-je ; Marvin Gaye, cette même année ’71 (avec What’s Going On). Pourtant, alors que je l’écoute encore, dévalant trop de lignes, cherchant à les conclure – rien non-plus, sur ce disque, qui sonne faux, frelaté, dans sa magnificence.
Je sais l’entendant une fois de plus entonner « Fais ton truc », qu’à aucun moment je ne soupçonnerai le type, sur la pochette (le chauve à lunettes noires, pas l’acteur sur l’affiche) d’avoir voulu, alors, vendre à quiconque, au rabais, un paradis de plus – caduc et trafiqué, paravent bon marché sur l’horizon brouillé.
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- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
D'accord avec toi sur le côté assez unique, ou en tout cas à part de la suite, voilà, du Hot Buttered, ouep... ! Ceci-dit j'aime vraiment bien Movement aussi mais oui : pour le coup il est assez pièce montée, comme tu dis. Un truc comme I Stand Accused a même bien dû être le modèle premier - ou au moins l'un des - de Barry le Barbu (White, donc), dans sa quête de la longue plage crémeuse avec longue intro parlée d'une voix pure soie mais virile (mais vulnérable)... ! (Bon, et je continue à préférer de très loin Isaac à Barry hein, si jamais on doutait, eh).
- Note donnée au disque :
- Sheer-khan › Envoyez un message privé àSheer-khan
Même si j'ai toujours trouvé que "Hot buttered soul" était à part, et ainsi au dessus, dans sa manière de ne pas tomber dans la pièce montée comme le fera la suite ( tu en parles justement du "luxe" et de l'abondance ), je suis aussi très preneur du Hayes totalement décomplexé qui a immédiatement suivi le chaud beurré (The Hayes movement est toutefois celui qui me parle le moins). Shaft montre que le bonhomme n'a même pas besoin de sa voix (et pourtant!) pour t'envelopper comme une couverture en Alpaga...
- Note donnée au disque :