F pour Frederik Elsner, l’une des têtes pensantes (avec son frère) de Nanook, qui s’offre ici une petite escapade en solo. Quelque chose d’intimiste, avec peu d’éléments mais suffisamment pour évoquer à l’image de la pochette et ses couleurs profondes, ses quelques symboles. Dès les premiers accords frais de ‘Allannguut’, c’est le ciel qui s’ouvre au dessus de la tête, l’impression de fendre les flots émeraude des mers froides; pas sur un bateau, un kayak, pour ressentir le parfum du sel, la fraîcheur de l’eau, se frotter aux éléments et se remplir de leur énergie. Rien de très glauque là-dedans, me direz-vous. Effectivement, la pop folk de Frederik est plutôt positive et revigorante mais sa profondeur dégage quelque chose qui mord à l’intérieur, cet étrange instant de bonheur absolu qui prend un léger goût de mélancolie à la fois jouissif et légèrement douloureux. Le pays d’origine joue un rôle assurément mais pas uniquement. Je ne reviendrai pas sur l’importance de la musique au Groenland mais je citerai un souvenir d’un reportage sur ledit pays. Un autochtone, musicien à ses heures, parlait d’une chanson écrite après avoir frôlé la mort par noyade, un air qui lui tirait les larmes encore des années après lorsqu’il l’interprétait. Et l’homme de le jouer, une horreur de kitsch à deux balles affreuse. Cela pour expliquer que ce doux sentiment de tristesse provient bien du talent de Frederik Elsner, simplement, de sa manière d’agencer ses accords, de placer sa voix légèrement plaintive bien que pleine d’entrain, de la production limpide et fraîche, intimiste et riche de son dépouillement (‘Quppaq’, ‘Tappingertutut ilivunga’, chanté en compagnie de Eivør Pálsdóttir) assortie à ses compositions. Bien que certaines pièces soient folk comme pouvaient l’être celles des Beatles ou Pink Floyd avec un production moderne, j’ai tendance à préférer la première partie du disque, plus grave, même dans ses instants lumineux ( l’excellent ‘Suli innuusoqigavit’, la chanson la plus ouvertement inquiète, avec une batterie sèche, des sonorités basses plus marquées, malgré un refrain qui cherche à s’élever vers la lumière, la parfaite intro que constitue ‘Allannguut’, ’Quppaq’ dépouillé et doux mais que même le timbre haut perché du chanteur ne départit pas d’un sentiment de solitude, de réflexion). Des instruments aussi peu typiques tels que l’harmonica, l’ukulele, ne parviennent pas à rompre le charme nordique baignant l’album. Bien qu’assez éloigné de ma zone de confort traditionnelle, ‘Katassinnaannigisaq’ demeure un bel essai, méditatif aussi bien que relaxant, une caresse agréable comme l’est une brise marine pour celles et ceux qui comme moi ne sont pas de grands fans de la chaleur…4,5/6