Jakuzi › Fantezi Müzik

Pas besoin de comprendre la langue, suffit de suivre les indices. D’abord cette pochette gay-fleur, qui racole sans avoir à montrer complètement ses tétons. A Istanbul, ça n’est pas anodin, pas une provocation facile ou une esthétique à la mode. Tout comme écrire une chanson sur un trans dans le pays où la marche des fiertés LGBT est tout bonnement interdite. Dans le clip du parfaitement tubesque « İstediğin Gibi Kullan », le duo Jakuzi se laisse malmener par une dominatrice tout de latex vêtue, accompagnée de son acolyte la Crampe. Le nom même de l’album, tiré d’un style particulier de pop turque pas particulièrement bien considéré à cause de ses effets kitsch et cheap. Alors oui, Jakuzi joue parfois à fond la carte d’une pop aux accents eighties dans ce qu’elle a de plus pathétique et donc avec la distance, émouvante sous ses attraits doudou synth-variété. Si la croisière sur la Mer de Marmara ne s’amuse plus, il ne reste plus qu’à tirer le rideau sur la dernière séance, et c’est « Bir Düşmanım Var » où la fille aux yeux couleur menthe à l’eau ne rentre pas ce soir, préférant s’abandonner au slow son du sax. Synthétiseurs en flottaison entre deux-eaux, guitares aux accords de new-wave qui soupire après des amours mortes, boites à rythmes programmées au petits oignons, tout juste minimalistes avec ce qu’il faut de basse pour onduler ses leggings avec motifs têtes de morts à paillettes. Ca donne donc bien des petits tubes comme ce « İstediğin Gibi Kullan » clippé avec une ironie féroce (le batteur qui s'en carre et joue à Candy Crush), ses irrésistibles sons de claviers clinquants, son bondissant groove post-punk et son chant légèrement défait, détaché juste comme il faut pour se donner un genre, de ceux qui cachent à peine leur sensibilité. C’est que la musique de Jakuzi la porte sur elle comme des tatouages, sa sensibilité. Un homme qui pleure, qui n’a pas peur de montrer sa fragilité, c’est beau. Un homme qui danse aussi, même si le funk reste raide et froid, malgré les synthés qui couinent à qui mieux-mieux sur « Hiç Mi Yok ». Comme il n’y a jamais eu à proprement parler de new-wave à Istanbul, Jakuzi ne fait pas dans le rétro, ou bien de façon complètement transversale, par la bande, en explorant des sonorités qui fleurent bon un imaginaire synthwave apocryphe. Changeant les voix et les tonalités selon les morceaux, le chant chez Jakuzi reste un élément un peu sourd et tristos, même quand les mélodies visent le franchement pop et s’envolent vers un azur toujours prometteur de nouvelles déceptions, « Üstüme Gelme ». Avec finalement peu de moyens à leur disposition, d’où le tag « hypnagogic pop » qu’on leur accole favorablement, Jakuzi bricole des petites merveilles de chansons à reprendre au karaoke sous des guirlandes pas bien fières, même sans comprendre la langue. Nul besoin de saisir les mots de toute façon pour se lover dans des passages instrumentaux aigres-doux d’une dream-pop synthétique et mélodique, pour laquelle ce chant grave et distant n’est qu’une note d’amertume de plus. Et lors en conclusion, Jakuzi décide de faire sauter la machine dans une fiévreuse tournerie planante et noisy sur « Yine Ayni Şeyi Yaptım ». Un album pour nous, les fragiles à peine masqués.