Vous êtes ici › Les groupes / artistesDDälek › Endangered Philosophies

Dälek › Endangered Philosophies

cd • 11 titres • 55:35 min

  • 1Echoes Of...
  • 2Weapons
  • 3Few Understand
  • 4The Son Of Immigrants
  • 5Beyond The Madness
  • 6Sacrifice
  • 7Nothing Stays Permanent
  • 8A Collective Cancelled Thought
  • 9Battlecries
  • 10Straight Razors
  • 11Numb

informations

line up

MC Dälek (MC, production), Mike Manteca (production), DJ rEk (turntables)

Musiciens additionnels : Joshua Booth (claviers), Jeremy Winter (basse), Seilen (voix), METZ, Chris Cole

chronique

L'erreur avec tout album de Dälek, depuis Abandoned Language, est de chercher à l'assimiler. Rien n'est jamais sûr, avec ce mastodonte à la silhouette plus brouillée qu'un amas de signaux ci-bi lointains... Sa musique est massive, autant qu'insaisissable : on ne l'apprivoise pas, mais on peut l'observer, et établir des bribes de certitude au sortir de ses ruines sensorielles... Mais d'abord, on plongera dans le son de "Echoes of War", chargé de napalm, de bruines et de fantômes... On plonge toujours dans un album de Dälek. On y plonge comme un inspecteur dans une enquête qu'il sait par avance périlleuse, même s'il ne sait pas encore où elle le mènera ; un peu comme au début de Seven, quand le personnage campé par Morgan Freeman dit que ça ne fait que commencer, que ça va être long, qu'il y aura d'autres meurtres... C'est un peu la même chose avec Dälek, et même si son cru 2017 sent un peu la formule, même si les textures grésillantes de millefeuilles brouillardesques sentent le réchauffé, voire la lassitude (comme Freeman dans le film, usé par l'injustice éternelle du chaos urbain, trop vieux pour continuer), on sait que la pulpe complexe de ce brouhaha rythmé au pas du tatou dans la boue est promesse d'autres écoutes, d'autres frissons, d'autres visions... Après tout, Asphalt For Eden m'avait déjà leurré : j'étais prêt à le ranger comme album léger et inutile de Dälek... et puis je me suis rendu compte que j'avais envie de le réécouter de plus en plus souvent. Endangered Philosophies a eu un effet encore plus fourbe : il m'a conquis brutalement, comme un incendie mange des rideaux ; je l'ai même pris pour un Absence II ; puis il m'a tout aussi rapidement laissé une sensation de coquille rugueuse mais vide. J'étais d'avis pataugé. Trop d'écoutes répétées dans un laps de temps trop court ? Une sensation de surcharge sonore cache-misère sur des beats somme toute très bateaux, noyant sous un déluge superflu son rap carnassier ? Casse-la net, hyène : je l'ai laissé reposer un moment, et puis j'y suis revenu au casque.

Bien m'en a pris. J'ai eu la sensation que mon casque audio était devenu un casque de combat. J'ai entendu des types morts parler dans des talkies-walkies. J'ai vu des tranchées. J'ai marché dans les ravins de ce son, inspecté ses tréfonds ; caressé les brûlures de sa peau cloquée, sans plus chercher à y déchiffrer quelque braille secret... Juste à en sentir tous les reliefs... Et... Rien. Pas d'épiphanie. Juste un sentiment d'abattement un peu ahuri, un peu l'effet d'une succession de crashs au ralenti... Tout de même une sensation diffuse en arrière-goût: la sensation que Endangered Philosophies est l'album de trop pour Dälek (puisqu'il ne dit rien de plus que ce qui a été dit avant) voire d'auto-caricature... Autant qu'il semble être son album-somme, presque un mélange caca-d'oie (kaki militaire ?) du trio de tête Absence-Abandoned-Gutters... Une entreprise lourde, donc, mais aussi délicate puisqu'elle laisse derrière elle les remugles oniriques du douillet Asphalt For Eden, sans en oublier totalement les effets shoegaze (ni ce côté "post-hip hop" ou "hip-hop pour une biennale au centre Georges Pompidou" qu'il revêt depuis Abandoned Language)... Dälek a massivement chargé les beats, mid-tempi monotones flirtant parfois avec Massive Attack (sublime "Nothing Stays Permanent", très Mezzanine), de nuées de sons parasites, comme des suies métaphysiques, soufflées en panoramique... Et même si ses prods tabassent moins qu'au temps d'Oktopus (qui savait allier complexité et puissance) et que Endangered Philosophies sonne plus "aplati", aplani, la rage est là, rentrée, implosive. Et même si certains passages sont relou ("Sacrifice"), la beauté menace encore (raaah ce "Battlecries" à la mélancolie morbide)... Et on voit à coup sûr poindre l'ombre du retors Gutter Tactics, son parfum d'au-delà... Alors qu'au temps d'Oktopus on avait l'impression d'être attaqué de toutes parts, d'être agressé par des torsions et des vrilles électriques dangereuses, désormais on ressent l'impact du chaos Dälek comme reclus dans un cocon, avec la sensation mi-confortable mi-nauséeuse de faire défiler des diaporamas d'images documentaires choc type Vietnam ou Apartheid, de négatifs troubles, daguerréotypes, voire "dälek-guerre-stéréotypes" (...) toujours plus emberlificotées et illisibles, un peu comme dans un générique de David Fincher. Quant au flow, c'est plus que jamais une formule rodée, aussi immuable qu'un parpaing. Ce flow n'est pas un flow, c'est un plow, monolithique et patibulaire. "I'm your worst nightmare".

Cliché, mais scotché aux baffles comme un crochet au bec d'un brochet, MC Dälek radote politiquement mais te hameçonne à son barouf. Sa virulence communautaire n'a jamais eu qu'un écho limité dans son public assez ironique, puisque majoritairement constitué de caucasiens dépolitisés (combien lisent ses textes en vérité, ou en ont juste quelque chose à foutre ? Répondez pas tous en même temps) mais il est assez admirable dans cette époque du hip-hop-fast-food aux formules-choc creuses et cyniques. "Les rides et les cicatrices valent plus que tous les tatouages, bande de petits branleurs modernes et de faux taulards" : voilà un peu le message subtil que j'ai ressenti en filigrane dans son skeud mégalo-routinier, au gros Will Brooks... Sourd aux tendances, donc respectable. Plus encore qu'une question de contestation afro, un sacerdoce sonore : foutre le dawa dans ta stéréo, avec des sons bien organiques et la rage d'un guerrier. Elle est finalement là, la succession de Public Enemy, loin de l'écurie corrompue Def Jam, dans la tourbe de l'indie-ground... Alors tant mieux s'il passe pour la relique d'un monde dépassé aux oreilles de ceux qui suçotent des bidules comme Kanye West et ne jurent que par la pseudo-avant-garde artistoïde, sourds à la noblesse du geste répété avec dévotion par un artisan. J'ai l'impression que la tendance au rap des années 2010 est de la jouer blasé de tout et de n'afficher aucune émotion, comme si c'était ça l'évolution... au moins MC Dälek, lui, il en a une, d'émotion, même s'il en exprime qu'une seule : son flow incarnant depuis des années l'expression populaire "en avoir gros sur la patate". MC Dälek est ancré à sa sale humeur syndicale, sa fonction de soldat du rap politique à la KRS, barricadé, basique et bourrin, méprisant l'auditeur-zombie blasé de tout qui veut télécharger et consommer le plus vite possible, comme tous ces rappeurs au son moderne et sans âme qui ne pensent que shit ou chatte... MC Dälek pense panthère, noire, et on sent qu'il vit jusqu'au bout de ses sourcils plus froncés que ceux d'O'Shea Jackson ce caractère de militant forcené du mic, rivé à ses lectures ; on sent bien qu'il mourra inchangé, lesté par sa paranoïa-blockhaus et son ton indigné quasi mécanique, presque aussi grossier qu'un personnage secondaire de fiction, oui... mais toujours épais, rugueux... Oui, Dälek tiendra son rôle de rouspéteur pugnace jusqu'au trépas (mattez-moi cette pochette bordel, ça dit tout !) et même quand on le croit lessivé sur un disque trop routinier, il faut quand même se tenir prêt à finir avec les tympans en charpie et la gueule criblée de postillons en feu.

note       Publiée le mercredi 28 novembre 2018

dernières écoutes

    Connectez-vous pour signaler que vous écoutez "Endangered Philosophies" en ce moment.

    tags

    Connectez-vous pour ajouter un tag sur "Endangered Philosophies".

    notes

    Note moyenne        9 votes

    Connectez-vous ajouter une note sur "Endangered Philosophies".

    commentaires

    Connectez-vous pour ajouter un commentaire sur "Endangered Philosophies".

    (N°6) Envoyez un message privé à(N°6)
    avatar

    Je rebondis sur saïmone (en tout bien tout honneur) pour confirmer que Anguish, c'est vraiment très très bien. Will Brooks rape tout pareil mais le fond sonore avant-garde jazz à forte teneur électronique/noise (y a quand même du beat aussi, ça reste du hip-hop, pas du spoken word) change un peu la donne et c'est bien agréable.

    (N°6) Envoyez un message privé à(N°6)
    avatar

    On ne peut pas nier le hiatus entre le discours et ceux qui le reçoivent. Du coup c'est vrai que se lier avec des crackers européens qui font de la musique improvisée et électroacoustique, ça fait sens. Quitte à pas écouter (et donc comprendre) les paroles, je vous renvoie aux chro de roadside.picnic, impossible que des amateurs de Dälek ne kiffent pas.

    saïmone Envoyez un message privé àsaïmone
    avatar

    L'enthousiasme retombe bien vite il est vrai. Paradoxalement, son dernier projet, Anguish, 300% blanc et lunette, a l'air cool - car plus honnête dans sa contradiction probablement

    Note donnée au disque :