Une Italienne relocalisée à Barcelone. Un type du cru. Elle, la voix haute, pointue – quelque chose de juvénile dans le timbre, souvent rebondie en échos longs ou courts. Lui aux machines. Les deux aux claviers, motifs élémentaires, lignes de basses en pads – et tapant sur des peaux de percussions, de toms. Les mots dans la langue de la fille – qui en concert se mêle au public, saute sur place, marque avec son corps – et l’inverse – la pulsation. Trois fois rien ? En tout cas : une volonté manifeste de faire compact et en même temps ouvert. Le rythme explicite mais pas bêtifiant, pas abrutissant. Celui-là souvent bien travaillé, même – à l’os mais avec des contrastes, des reliefs sculptés, assemblés en détails dans la matière. (Celle-ci parfois délibérément synthétique, parfois samplant ce qui ressemble à des derboukas, des bongos). Les nappes d’orgue habitant l’atmosphère juste quand, juste ce qu’il faut. On pourrait parfois croire – ne serait cette voix peut-être – qu’on écoute là quelque disque d’une bonne techno minimale mais incarnée. Ailleurs, ça sent son indus vieille école – SPK & Cie, avec ces grosses basses analogiques qui insufflent une danse (fût-elle sommaire…). Ou les deux à la fois. Drôle d’ambiances prenantes, qu’ils infusent. Un détachement volontiers plus qu’un peu triste mais à la fois excité – qui tourne au passionné à l’un ou l’autre détour. Un trip intérieur mais nourri de rues, de paysages aux mille gris, aux mille noirs, aux milles rouges – et qui communique sans filtre (mais pas sans art) ses nuances. Quelque chose de littéral mais qui ne se donne pas comme décrypté. L’intramuros de deux humains – retournés vers qui voudra, qui saura en saisir les nuances et la force. Pas de balivernes : on ne peut rien passer, comme impressions, chauds et froids ressentis, intuitions et pensées qui traversent – directement, sans façonner, sans que le risque d’erreur persiste, dans ce qui sera reçu, sans latence et latitudes. On épure et on étoffe, alors – pour que ce qui sera dit soit dit, et à dieu vat. Ou à ce qu’on, à qui on voudra – ce n’est qu’une façon de le dire parmi d’autres, c’est selon ce qu’on pense des cieux, vides, peuplés, vaste espace ignoré ou à quoi on en appelle. La magie, histoire d’accointances combinées, de truchements avec le monde, le sensible, le caché – ou le montré brut, art de la détection, de la matérialisation des liens. (Giordano Bruno, si tu nous lis…). Ce disque échappe aux ressassées qu’on pourrait craindre, aux clichés. De l’indus ancienne, encore une fois, il ne retient pas l’apparat, ne rejoue rien trente ans plus tard – le duo apprend, plutôt, reprend en partant de là sa manière propre d’investir son espace-temps (le nôtre), d’y être, simplement, de s’y tenir, respirer. D’agir en lui, avec – en contre, aussi, sans avoir besoin de brailler, de clamer l’oppression. Leur façon à eux de passer par dessus ça, par dessous, de se mouvoir un moment ailleurs. Curieux comme ça peut apaiser. Curieux, comme ça vous refile aussi l’incandescence.