Jneiro Jarel › Fauna

La jungle... Dedans, dehors – d'en haut, de l'intérieur, au cœur des profondeurs.

Cinq ans après un Three Piece Puzzle assez intrigant mais parfois égarant – déjà cosmique dans ses aspirations, multiple dans ses développements hip-hop, jungle, jazz électronique spirituel et sensuel... – Jneiro Jarel, sur le présent disque, cesse complètement de rapper. À la place du flow, des couplets, des leads et des backs, le producteur, le musicien, injecte désormais des samples vocaux – chants d'enfants vraisemblablement brésiliens, voix off/documentaires qui décrivent l'Amazone, les dégâts vus du ciel et l'espoir qui se niche dans ce grand poumon vert, bouts triturés de succès populaires (la chanteuse Tuca, il me semble, à un moment)... Jarel tisse des chemins, des réciprocités, entre ces tronçons de discours, réflexions, réjouissances, amusements. Sa musique, toute d'électronique à la fois feutrée (le son luxuriant, coloré, parfois caressant) et en brisées, instable (les breakbeats désaxés, multi-axés, les samples malaxés par le pitch, les vitesses de défilement).

Qu'est ce que c'est, au juste, cette musique ? Quel nom ça pourrait prendre ? Quelle vie ça pourrait rendre – comme la sienne propre, patronyme ou matronyme ou ce-qu'on-voudra-nyme choisi ? Est-ce de la soul'n'bass, tendance Tropicaliste ? De la funk-hop exploratoire, spéculative ? De l'afro-futurisme canal trans-maritime ? On pourrait bien en inventer d'autres – étiquettes, indications sommaires et fantaisiste, plus ou moins, de l'idée. (De l'idiome ?). Ça n'en restera pas moins un drôle de truc, difficile à cerner, impossible à contenir – qui s'évade, s'échappe dans tous les sens comme un liquide ou une volée de colibris ou de papillons (blindés, irisés, vrombissant et chantant des mélodies loin au-dessus de la canopée). Il y a là-dedans tout ce qu'on a dit – fragments et courants brésiliens, donc, amazoniens, tropicaux (le type se dit désormais localisé au Costa Rica... Réalité concrète ou projection – totale, ou à temps partiel). Échos de la drum'n'bass des décennies d'avant, peut-être d'une espèce de dubstep épanouie plutôt que séché au soleil, presque, parfois. Soul pure cane – et/ou gorgée d'autres cultures hydroponiques, peut-être. Techno plongée dans les touffeurs. Ambiances abstraites/concrètes, géométriques et pleines de touches de couleurs qui floutent les repères, les contours. Programmes binaires et pur Esprit volatil. Phrasés d'oiseaux, chorales de criquets ou de grenouilles, claps et cymbales programmées qui essaiment. Une pensée qui voyage à la vitesse du corps, des corps connectés – et défait des attaches par une légère ivresse, altération.

L'effet est celui d'un rêve vrai, qui recadre les notions trop terre à terre – ou pas assez – de la réalité, du « réel ». Une extension de la perception – cybernétique, oxygénée, botanique et synthétique. On ne sait plus au bout d'un moment si ça s'étend sans fin ou si ça ne cesse de se concentrer, de se densifier. C'est une musique pleine de plans – qui bouge sur plusieurs, tous les plans à la fois, visitant la dimension qu'elle exhale et rend audible, visible, sensible. C'est une drôle d'équilibre – fragile et curieusement, étonnamment cohérent. L'endroit d'où l'on reçoit est un point, un nœud, un moment de la... Faune. Comme dit le titre. On en est – à notre manière spécifique. Il s'agirait d'en sortir, de cette position ? Peut-être pas. Sans doute qu'on ne peut pas. Il s'agirait de savoir qu'on peut continuer à la faire bouger – à la faire changer.