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Eurythmics › In The Garden
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Enregistré au studio de Conny Plank de janvier à mai 1981
Photo de pochette par Peter Ashworth. La version digipack réédition propose en bonus les morceaux suivants: Le Sinestre, Heartbeat Heartbeat, Never Gonna Cry Again (Live), 4/4 In Leather (Live), Take Me To Your Heart (Live)
line up
Annie Lennox (claviers, synthétiseur, flûte, percussion, chant), Dave Stewart (claviers, synthétiseur, basse, guitare, chœurs)
Musiciens additionnels : Holger Czukay ((cor d'harmonie, fanfare, instrument à cordes thaïlandais, bruits de pas), Jaki Liebezeit (batterie, cor naturel, fanfare), Markus Stockhausen (cor, fanfare), Clem Burke (batterie), Robert Görl (batterie), Roger Pomphrey (guitare, chœurs, cris), Tim Wheater (saxophone), Krista Fast (chœurs, rires)
chronique
L’Angleterre est un pays végétal, vert (le secret ? La pluie, railleront les plus perfides), le mot ‘jardin’ y prend une connotation particulière tant les Anglais sont passionnés de botanique, de nature, même si ils aiment bien la domestiquer et l’arranger à leur manière, à commencer par leur gazon. Quand un groupe british intitule son premier disque ‘In the garden’ et démarre avec une chanson appelée ‘English summer’, cela n’a rien de fortuit et tout amoureux du Royaume-Uni ou de l’Irlande sentira un frisson l’agiter à l’intérieur. On ne présente plus Eurythmics, duo formé d’Annie Lenox et Dave Stewart, ex-The Tourists et ex-amoureux au moment où ils finalisent leur première galette qui demeurera longtemps la plus méconnue, certains y verront même un essai maladroit, avis que je suis loin de partager même s’il est évident, y compris par rapport aux deux opus suivants, que celui-ci dégage un parfum unique dans la carrière du duo. Loin du son des Tourists, moins électronique que ‘Sweet dreams’ (après tout, Stewart déclarait en 84 dans une interview que ce qu’il appréciait avant tout c’est de jouer de la guitare), clairement influencé par le post-punk ou du moins la new wave, sans s’y limiter, cet album prend les aspects d’un jardin, pas trop cultivé, où la nature et l’homme se côtoient dans ce qu’ils ont de plus doux mais aussi de plus confus et sauvage. ‘There’s nothing like an english summer’, chante Annie dans le premier titre…Effectivement, les contrastes de lumière marqués par les risques d’averses suivis d’un soleil éclatant confèrent au ciel et aux paysages une intensité et une coloration particulières chères aux peintres et poètes. Tel n’est pas ici le propos, les brusques changements de météo servant avant tout de métaphores pour les rapports humains mais comment ne pas les ressentir intensément si l’on conserve en filigrane cette image de nature anglaise ? Toujours est-il que voilà un bon morceau d’ouverture, un peu froid, un peu désincarné mais doublé d’un aspect faussement organique (les bruissements de nature). ‘Belinda’ a sans doute les qualités d’un single mais il m’a fallu un peu de temps, toujours est-il que les fans de Slowdive et autres y trouveront leur compte avec sa rythmique carrée et ses guitares directes sur lequel le chant légèrement lointain se pose. En ce qui me concerne, c’est plutôt l’excellent ‘Take me to your heart’ qui annonce le potentiel synthétique new wave du duo…Son ambiance triste préfigure celle de ‘Who’s that girl’. D’après mes renseignements, malgré le flop de l’album, Eurythmics placera quand même un single dans les charts (plutôt en queue de peloton), ‘Never gonna cry again’, qui est un excellent choix. On y retrouve le groove froid, molletonné post punk qui baigne le disque avec une touche expérimentale discrète qui épice le propos; forcément, il y a des cuivres joués par un des mecs de Can… L’expérimentation, justement parlons-en, plus le disque avance plus le groupe prend de l’audace, mêlant influences post-punk (rythmiquement surtout) mais aussi limite Krautrock (l’influence de Cologne où le skeud a été enregistré ?) de par le jeu d’orgue (‘All the young (people of today’), les quelques pointes dissonantes post-psychés (‘Caveman head’, ‘Your time will come’). Avec ‘Sing-sing’, surréaliste et chanté en français, nos British s’aventurent même sur le versant le plus expérimental de la Neue Deutsche Welle. Niveau production, on sent le goût du détail et alors que certains jugent ‘In the garden’ maladroit et emprunté, je le trouve au contraire audacieux et maîtrisé jusque dans les recoins; écoutez donc l’excellent ‘Revenge’, il sonne plat au départ mais mille et une petite trouvailles vous le feront trotter dans la tête toute la journée. Disons seulement que le point qui surprend est le chant. Annie Lenox est loin de son timbre assuré de prédatrice qui marquera le côté glacé des deux opus suivants, sa voix sonne fragile, fantomatique, comme évoluant dans les feuillages. Elle participe beaucoup à la touche végétale, voir minérale du LP. Ce dernier a été réédité avec des bonus qui valent le détour comme l’inquiétant ‘Le sinestre’ et son piano sombre, ses bruits de pas en guise de tempo ou un ‘Heartbeat, heartbeat’ halluciné mêlant rythmique rock USA et cuivres krautrock. Le duo n’hésite pas à jouer sur les minimalismes, tant dans les rythmiques que les paroles pour créer un effet hypnotique permettant l’ajout et l’expérimentation d’autres sonorités. On trouve également quelques morceaux live pour compléter cette belle réédition digipack qui n’est que justice. Annie Lenox vivra assez mal l’échec de ce premier essai (merveilleuse époque où l’on pouvait espérer conquérir les hit-parades avec des albums aussi audacieux), échec assez incompréhensible en ce qui me concerne, car si il sonne différent des suivants, il n’en démérite pas pour autant. Il dégage une ambiance spéciale, unique, et témoigne déjà du savoir-faire des musiciens qui, à cette époque, aiment encore prendre des risques et renvoyer une image sulfureuse. Eurythmics méditera ce coup du sort pour retravailler son image et ses sons avec le succès que l’on connaît….
chronique
Si je vous dis d’emblée que la section rythmique de Can joue sur le premier Eurythmics, avec en prime Conny Plank (sans doute le meilleur producteur et ingé-son du krautrock allemand) aux contrôles, ça devrait faire voler en éclat quelques préjugés tenaces sur la « facilité » du duo anglais.
Bon, ok, Jaki Liebezeit ne joue de la batterie que sur trois titres, quant à Holger Czukay (qui peut depuis peu à nouveau jammer avec le précédent au paradis), il ne souffle que quelques notes de cuivres et flûtes de-ci de-là. Batterie ? Cuivres ? Oui, le premier Eurythmics, s’il est new wave jusqu’au bout des ongles (déjà manucurés) est aussi organique, rock, dream-pop, parfois shoegaze, et plein d’une fraîcheur juvénile qui ne tient pas en place. Des bonnes idées à la pelle, dès le riff magique de simplicité de English Summer, merveilleux tube mi-extatique mi-dépressif, enchanteur tout simplement, qui plante un décor et une atmosphère que vous ne verrez nulle part ailleurs, et surtout pas dans le reste de l’œuvre d’Eurythmics. Il y a un goût d’instabilité climatique dans ce jardin. On sent vaguement une anxiété à l’œuvre sur Belinda, quasi-90’s dans les guitares, tandis que Robert Görl de D.A.F. se retrouve à la batterie ! À l’instar de Never Gonna Cry Again (cette voix éteinte), la rythmique penaude de Take Me To Your Heart raconte une marche trop longue dans la ville par une claire nuit d’hiver, le clavecin éclairant de son jaune pâle les arbres, comme les fenêtres d’où émergent la lueur des abat-jour des salons sombres et hauts de plafond des rues haussmanniennes. Ensuite, ça devient plus flou. Ici, une bouche rouge et une tignasse rousse jouent à cache-cache dans le maillage végétal. Là, rythmique heurtée qu’on retrouvera quelques années plus tard chez Jun Togawa. Oh, cette pétale est adorable (ce pétale, tu corriges), cette mâchoire veut ma peau. Et là, la diseuse de mauvaise aventure a des yeux de melon bleu ; un bleu porcelaine cassée, yeux et bouche disproportionnés (« All The Young People Of Today »). La face B confirme l’impression : c’est un album d’amertume, de jeunesse frustrée, de peur des autres et de repli sur soi. Les paroles, souvent cruelles, s’allient aux bruits d’animaux pour évoquer une chaîne de montage dans laquelle un dieu-démiurge créerait des créatures sur mesure pour l’homme et la femme-enfants. Les surprises abondent, comme ce chant en français sur « Sing Sing », mais le goût est toujours celui de la désillusion. Pourtant le propre d’un jardin, c’est d’être moins éphémère que la nature, car entretenu toute l’année. Mais ici, on sent que la saison des pluies et du soleil mêlés ne va pas durer. Le temps était compté pour Eurythmics, bientôt on passerait de la frêle Belinda à la plus assurée et moins fine Jennifer, et on entendrait un peu partout, comme un rappel aux âmes tentées par la dissidence : « Who am I to disagree ? » ; Qui suis-je pour m’opposer ? Mais ici, c’est encore l’heure de la « Revenge », savourée sur fond de gouttes qui tombent sur les plantes grasses, de rire à la Jane Birkin, et de basse aussi follement british que cette dernière. Un rire qui indique quelle est la proie ? Pas sûr, tant l’osmose entre ces deux-là, entre la voix éteinte de celle-ci et la musique touffue et arrosée de pluie de celui-là, est totale. In The Garden, titre parfait pour un debut-album au final, tant le thème du Jardin est inépuisable, en littérature comme en religion, et pas seulement en occident. En allant vers l’est, le duo s’enferme dans un cloître intime et propice aux expérimentations, comme Can et les groupes krautrock de la décennie passée. Les murs du studio de Conny Plank (rien que le nom est tout indiqué pour un bunker dans la verdoyante Germanie) ne laissent rien passer des billevesées de 82, Eurythmics est juste un jeune groupe moderne, sans appétence pour aucun mouvement. Il annonce en revanche certains à venir, comme le shoegaze, donc, qui apparaîtra pourtant comme une réaction à la new wave surproduite que le groupe vendra par tonnes dans les années suivantes. Les murs de chez Conny créent un environnement coupé du monde, secret... Or, de l’éden au palais des Haschischins, l’histoire regorge de ce genre de lieux dissimulés aux yeux des mortels, où les corps se délient et les âmes s’enchaînent... Dans l’antiquité, le mythe primordial (babylonien) voulait que le jardin soit un lieu civilisateur, via le couple avant tout. Mais depuis, l’histoire a recraché certains pépins de pomme qui avaient du mal à passer, et Tristan et Iseult ont rêvé de s’échapper d’un tel jardin. À son tour Bosch, le peintre, avait bien averti des perversions inhérentes à ce genre d’espace confiné, loin des règles du monde d’ici-bas... Pour Annie et Dave, c’était un sursis, une oasis de pop insouciante et anxieuse à la fois, craintive comme l’enfance, avant les froides parois de la city, le glissement irrésistible des années 80 vers ces « doux rêves » dont personne, aujourd’hui, ne semble pouvoir échapper.... Il en va des jardins comme des asyles, on s’y échappe, on en échappe, conscient ou non de l’éternel retour de ces choses. Presque un grand disque, souvent désuet, fait de presque rien et de rêves troubles.
Dans le même esprit, dariev stands vous recommande...
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- nicola › Envoyez un message privé ànicola
Mais que vient faire Dave Wyndorf sur une pochette d’Eurythmics ?
- dariev stands › Envoyez un message privé àdariev stands
C'est pas une faute de frappe mais du prosélYtisme pour l'album de goth le plus dépressif ET lapin blanc du monde : Asylum des Legendary Pink Dots. Pas exactement un classique, et pourtant ça marche. Regardez dans les Fnac aux rayons disques, le fascicule attrape-gogo "Summer Of Love", à la lettre L.
- Note donnée au disque :
- born to gulo › Envoyez un message privé àborn to gulo
- Il en va des jardins comme des asiles*
- Aladdin_Sane › Envoyez un message privé àAladdin_Sane
Merci d'avoir remis en lumière cet album méconnu. J'aime beaucoup le morceau "Belinda", j'ai l'impression d'écouter du Shoegaze avant l'invention du genre. Cette chronique devrait avoir un tag "premier album dans un style différent du reste de la discographie" (on pourrait y mettre le premier Supertramp, Scorpions, Tori Amos...)
- Scissor Man › Envoyez un message privé àScissor Man
Excellente initiative sieur Dariev ! C'était histoire de "conseiller” les amateurs pour accroître leur bonheur, l'amplifier !
- Note donnée au disque :