Kayhan Kalhor & Erdal Erzincan › Kula Kulluk Yakışır mı

Se revoir après plusieurs années, ça coupe le souffle. Tellement de choses à se dire. Tellement à écouter, re-goûter les mots de l’autre, enfin. Et se raconter ses vieilles histoires ensemble, plus tout à fait pareilles, polies avec le temps. Les vieux airs. Les nouveaux débats, dans l’euphorie tranquille des retrouvailles. L’intensité, vouloir rattraper le temps, tout donner parce qu’une rencontre, ça ne se reproduit pas tous les jours. Kalhor et Erzincan, les deux virtuoses, s’étaient trouvés quelques années plus tôt. Ils se retrouvent tous les deux, seuls face au public. Cette fois, plus question d’une découverte mutuelle. Ils connaissent la musique. Ils vont jouer l’un avec l’autre des airs traditionnels, vont danser dessus de leurs improvisations et les nouer au fil de leur inspiration, là, sur le moment présent. Comme ça ne se cherche plus, ça explose plus vite en soli, chacun son tour, après le flirt en chassé-croisé, la complicité des vieux amis qui savent très bien quand laisser briller le compagnon. Et quand Kayhan manie sa vielle perse, ça brille. Et quand Erdal chatouille son luth turc, ça brille. De mille feux. Ca ébloui, ça brûle. Les mélodies sont bien là, que parfois le public de Bursa semble reconnaître quand il accompagne brièvement le rythme. Puis elles se démultiplient en feu d’artifice, comme si Kalhor était plusieurs, une compagnie de kemençe dans ses mains innombrables. Erzincan donne des coups et des caresses, ses doigts mathématiciens tirant toute solution des équations harmoniques les plus mystérieuses. Ca s’emporte au gré des vents, le morceau titre repris de l’aşık, troubadour turc, Muhlis Akarsu est comme pulvérisé par le maître iranien; ailleurs les deux reprennent les moments les plus tempétueux de leur album précédent, condensé en quelques minutes. Un format où les morceaux s’enchainent sans que jamais la musique ne cesse, mais moins austère que leur première rencontre, plus accessible grâce aux airs anciens, de folk derviche ou de tradition iranienne, qui pavent le voyage, jusqu’à former à la fin une mosaïques de ritournelles entremêlées. Comme lors d’un grand concert de jazz, le public, bien heureux fût-il, ne peut applaudir que lorsque la tension des instruments lâche enfin, le temps de reprendre le souffle. Celui qui se coupe lorsque, plusieurs années après, on se revoit enfin et qu’on se raconte nos vieilles histoires.