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Enregistré au Studio Résonance.
Colette Magny (voix), Groupe Dharma (musique), Lino Leonardi (accordéon), Jean Querlier (saxophones, haut-bois, flûte), François Mechali (basse), Jacques Rondreux (batterie), Gérard Marais (guitare), Patricio Villaroel (piano, percussions)
La notion d’album-concept souffre partout d’une complaisance envers la pop psychédélique et le rock progressif, au détriment des productions acoustiques moins hallucinées. Aux chevilles des colosses Manset, Gainsbourg ou Wakhévitch, Colette Magny ne manque pourtant pas d’arguments dans sa subversion. Si le relatif désaveu de ses albums de la période 67-75 peut s’expliquer par des formats presque "trop" libres, que penser de Visage-Village, disque étonnant de chansons fleurant bon la campagne, les chardons et le fumier ? Rappelons d’abord un truisme : la représentation de l’arrière-pays ne se définit pas simplement par une nature terrienne, elle peut être aérienne, envolée, poétique. Loin des cités urbaines et de leur progressisme galopant, les vastes étendues de terres cultivables côtoient les communes séculaires. Vu du ciel, le paysage est un gigantesque trompe-l’œil à ravir les poètes aux envolées lyriques. "Plus on s’approche, plus c’est le foutoir"… L’apparente uniformité des terres flatte le désir, voire la volonté esthétique de l’homme ; mais à l’observer de plus près, à notre échelle, la campagne devient un chaos de mauvaises herbes et de richesses nidoreuses, parties intégrantes du processus de renouvellement de la nature. Pas étonnant donc, de voir s’insurger Magny contre les "mains pensantes" charcutant la terre, contre le remembrement destiné à satisfaire nos basses pulsions apolliniennes. Pulsions ? La ruralité n’invite pas seulement à l’apaisement, à la rencontre du bon gueux qui rôde de Richepin ou d’Elzéard Bouffier. Sa poésie peut être crue. Et dans la gueule de la contestataire, la peinture musicale d’un village peut se faire licencieuse, sans en omettre la force empathique : son visage. Une fête de campagne, et c’est la rencontre de deux épidermes, le croisement de vagins vivants et de sexes en amiante "pour la fureur et pour la baise". Et pourtant, quelle sérénité émerveillée nous anime devant les arbres morts annonçant le spectacle de l’hiver, "quand les bêtes se terrent, quand il y a l’air de rien y avoir et que tout existe" ! Pour blâmer le cancer qui ronge la campagne, Magny use autant de l’essence brûlante du free jazz que du tempo d’une valse-musette bancale détournant les flonflons, resituant le blues dans une ruralité solidement ancrée et sans passéisme. L’accordéon de Lino Leonardi offre par son timbre une identité musicale franche à l'album : répétition de motifs, de couleurs, de formes musicales. À travers lui, la chanteuse évoque la perte de repères face à la transformation des paysages ; cette uniformisation utilitariste, comme le fait de remplacer des pavés par l'inoffensif bitume, formerait donc les esprits à une pensée unique et docile… Pour nos oreilles, la vindicte rouge est moins brûlante que sur Répression : serait-ce là l’effet direct de Soljenitsyne et de son Archipel du Goulag ? Merveille de chanson à texte, engagée mais accessible, tangible et évanescente, l’expérience Visage-Village a le don magique de s’incruster dans les oreilles attentives. Cette collaboration avec le groupe Dharma sera un dernier coup d’éclat populaire avant les années 80, période moins prolifique de la carrière de Colette Magny.
note Publiée le mercredi 8 mars 2017
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A 2 doigts d'y coller ses 6 boules rien que pour les titres des morceaux.
Oui, très grand album. Je ne sais pas si c'est mon préféré de la dame (Feu et Rythme ou Kevork pourraient tout aussi bien arriver en première place, ça dépend des moments...) mais c'est un des plus cohérent, expérimental tout en restant - relativement - accessible. Avec un Lino Leonardi exceptionnel à chacune de ses interventions, sur celui-là...
Mais bon Dieu, quel album, quel personnage, quelle chanteuse, quelle femme ! "... J'ai le vagin OP-timiste ! ..." Ca me saisit pareil que quand j'ai écouté la première fois Ferré - j'avais 15 ans - "je pisse, j'éjacule, je pleure" ("mais comment ça on peut chanter ça mais qui mais quoi ?!?") ... La vie, quoi, en grand, en cris et en couleurs. (Je vous encourage, pour les amateurs de Ferré, à retrouver sur la Toile son interview, sur la longueur, et en plateau, par ... Christine Bravo (!), grande fanatique du gars. Moments improbables, comme une apparition télé de Ferré, quoi, avec des fulgurances, des silences, des digressions ... A la fin : "Merci, Léo Ferré, d'être venu" / "Non, c'est moi qui vous remercie : vous êtes la seule à m'inviter". Bim. Merci à Christine, vive Ferré, vive la Magny !)
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19571435&cfilm=245617.html