Bernard Dimey › Les bordels

On sait ce que c'est de zoner dans les allées froides d'Emmaüs. Les mains tâtant les bacs de disques, à la recherche d'un peu de chaleur sonique contre une maigre partie de sa bourse. Tomber là-dessus, avec un dessin et un titre pareils, ça attire l’œil, c'est forcé. La plupart des passants feindraient l'attention, craignant le mauvais goût. Pas étonnant qu'il soit encore là, transi, dans le froid. Mais l'amateur averti qui connaît ses gammes, lui, identifie le label Disques Mouloudji. Le verso de la pochette fait penser à un tableau noir où l'on a écrit pêle-mêle les titres des chansons. Avant de poser le diamant sur le disque, tout s'éclaircit par le sous-titre : "comme si vous y étiez". Invitation sous le manteau à participer à une soirée poétique d'un certain genre ? Le regard se pose sur les dessous des crédits, et il y a du beau monde au balcon. Pour donner vie à ce tableau de Bernard Dimey, voici Francis Lai, Jean Bertola, Henri Salvador à la composition, et Marcel lui-même qui fait chauffer le micro à deux occasions. Des noms moins connus se frottent à eux. Un collaborateur de Caussimon, Aznavour et Brel en la personne de Wagenheim, et puis des chanteuses-actrices au caractère bien trempé : Renée Passeur, Rosalie Dubois ou encore Marie-Thérèse Orain, dame qui n'aura sorti qu'un 45 tours avant qu'un projet de crowdfunding ne lui permette, en 2015, de sortir enfin son premier album après 60 ans de carrière. Succédant au craquement divin de la cellule, des draps de velours se posent sur la crasse d'une maison close. Pièce de cabaret où des types viennent se vautrer dans le stupre, chuchotant leurs désirs à la première échancrure venue. Ambiance douce et crasseuse, où Madame la maquerelle invite un soldat à dépenser son solde en amour, comme un bon titi parigot des familles. C'est toute une époque révolue, déjà, qu'on nous offre telle une paire de fesses sur un plateau d'argent. Dans quel but ? Mouloudji nous répond à la fin de ce spectacle, en Sacha Guitry du petit peuple : "C'est là que j'ai grandi". L'histoire est belle... L'objet n'en est que plus beau.