Thomas Tilly › Test/Tone Documents

Thomas Tilly n’est pas un type revanchard : malgré la note sévère que j’ai mis à « son album préféré » de sa propre discographie, il continue de m’envoyer ses œuvres pour que j’en cause un peu. « Test/Tone Documents » est un enregistrement vieux de dix ans, basé sur les résidus électriques des réseaux qui courent dans les murs de ton immeuble pour te fournir ton électricité et ta connexion fibre ultra rapide – à l’époque probablement du simple ADSL d’ailleurs. L’immeuble en l’occurrence, c’est la Cartonnerie, fameuse salle de concert à Reims (y’a encore de la vie là bas ?), espèce de truc high tech à l’architecture absurde et moche, dans un style étrangement post-soviétique-capitaliste. On imagine qu’il doit y avoir du mètre de câble là dedans – en tout cas on le suppose, au vu du résultat pour le moins textural de ces documents. J’ignore s’ils ont été collectés à l’aide de micro-contact, mais les vibrations et les infimes fréquences sont là, souvent lointaines, tapies, contrairement à d’autres parasites inconnus qui se perdent dans les échos tout droit sortis d’une cave (reverb artificielle ou fields recording, en tout cas c’est flippant). Et si le recueil n’évite pas les écueils classiques de la pratique des fields electroacoustique (dont je suis très amateur), le professionnalisme de Thomas, qui donne une certaine froideur à ces pièces, donne une étrange impression d’études ethnologique réalisé par un peuple « anthropologique ». Comme si, à force de se faire enregistrer par des universitaires, des types tout droits sortis de la forêt centre-africaine débarquaient avec leur matos high-tech pour enregistrer les ambiances des lieux de cultes modernes – la salle de concert, place des idoles et des nouveaux chamanes. Le résultat serait « Test/Tone Documents », un recueil d’ambiances bétonnées, post-moderne, froides, déshumanisées, bourrées d’ondes diverses et de parasites inaudibles dont l’origine n’est pas humaine ni naturelle, mais technologique. Le regard d’un miroir dans un miroir qui se regarde. Post-moderne, oui – à tel point que les sources sonores seront réutilisées dans le meilleur titre jamais réalisé par Thomas, Etazma, qui fait une bonne moitié du disque, et qu'on retrouve (enfin !) pour la première fois sur disque et pour ainsi dire seule composition du lot - post moderne, disais-je, oui, mais avec du style !