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Wire › Pink flag
lp • 21 titres • 39:33 min
- 1Reuters3:03
- 2Field Day for the Sundays0:28
- 3Three Girl Rhumba1:23
- 4Ex Lion Tamer2:17
- 5Lowdown2:26
- 6Start to Move1:12
- 7Brazil0:40
- 8It's So Obvious0:53
- 9Surgeon's Girl1:14
- 10Pink Flag3:50
- 11The Commercial0:49
- 12Straight Line0:44
- 13106 Beats That1:12
- 14Mr. Suit1:25
- 15Strange3:58
- 16Fragile1:18
- 17Mannequin2:37
- 18Different to Me0:43
- 19Champs1:46
- 20Feeling Called Love1:21
- 211 2 X U1:55
informations
Advision Studios, Londres, Angleterre, 1977
La réédition cd de 1994 comporte deux titres bonus : "Dot Dash" (2:25) et "Options R." (1:36)
line up
Edvard Graham Lewis ("60 kg", basse, choeur), Colin Newman ("cheveux noirs", chant), Robert Gotobed ("1m 90", batterie), Bruce Gilbert ("yeux bleus", guitares)
chronique
Le temps, c'est de l'argent. Cet adage bien connu, représentatif des idéaux de l'époque dans laquelle nous vivons, Wire a voulu l'adapter à sa manière. Symptômatique du genre, la musique est ici basique (un quatre temps), sans plus. Les mains sont tendues et ne voyagent que rarement au delà de la barre des mi (les entêtants accords de la plage titre). Les titres sont expéditifs et font rapidement le tour de la question : l'acide "Mannequin", "The Commercial" qui, en quarante secondes, résume ce que Led Zeppelin a mis dix ans à imposer... "Start to Move", "Brazil", "It's So Obvious" ou encore "Different to Me" sont, en ce sens, représentatif de la scène punk, mais ne constituent pas, surtout pas, l'atout majeur de ce groupe au phrasé et au comportement typiquement british (ce rapport distancié du chanteur Colin Newman). C'est avec "Reuters", "3 Girls Rumba", les pesant "Lowdown" et "Strange" ou encore "Feeling Called Love", aux tempos plus lourds, que l'on perçoit plus aisément les incidences que leur musique, par instants plus réfléchie qu'on aurait pu s'y attendre, au rapport glacial, quasi industriel, sera à même d'apporter à un mouvement alors déjà moribond. Ainsi, à leur suite, Joy Division et Bauhaus, pour ne citer qu'eux, en tireront les premières leçons. Un manifeste punk de plus, mais selon toute vraissemblance, le plus sincère de tous.
chronique
"Viol". C'est ainsi que Wire commence sa carrière, en chantant, en répétant "Rape", en criant ce mot simple et horrible comme un mantra désespéré, tragique, aux accents de Fugazi en 1977 (et en le récitant de façon maléfique-robotique-métronomique en-dessous). Le premier morceau de leur premier album, la fascinante "Reuters", est une anomalie.
Le disque, le groupe aussi. Qui s'avance à pas de loup, avant de pulser sur une épaisse, urbaine et intemporelle (réellement) texture de guitare. C'est dur, froid, étrangement magnétique. "VIOL"... Oui, Wire viennent violer la musique. Punk. Rock. Peu importe. Et cette pénétration brutale se fait de façon énergique mais glaciale. Les musiciens ont encore l'urgence de leur âge, mais ils sont d'un contrôle déjà terrifiant sur les choses, dès "Reuters". Retors comme pas deux.
Quatre musiciens, quatre lettres. Pourquoi ce nom ? "Parce que", dira Robert Gotobed. Voilà pour l'analyse intellectuelle et arty. Wire se plantent dans cette dimension platement rock'n'roll, plantent ce petit drapeau rose disruptif dans le sol parfaitement lisse. Queers vis-à-vis de l'ennuyeux réel, en quelque sorte. "Pink is punker than punk, punk !" les entend-on presque grincer derrière un poli et cruel sourire de dédain envers tous les rebelles en carton du rock'n'roll qui s'amusent encore avec des provocs à base de zigounette et substances illicites, faute d'avoir de l'inspiration. Ici l'inspiration est omniprésente et elle ne sait plus où donner de la tête, sur ces morceaux qui pour la plupart ont la durée de vie d'une apnée de fumeur. Des clopes. Des papillons, des éphémères. Les insectes viendront en obsession sur l'album suivant, mais ici ils sont si beaux. Et si la concision extrême frustre, l'écoute en boucle de chaque titre isolé fonctionne si bien... mais pas autant que l'album et son enchaînement magique.
Petit drapeau rose hissé, "wired"... Weird ! Ciel sans nuages. Sol droit et dur. Rien d'autre. Pourquoi y foutre des humains ? Les humains sont si ennuyeux, à dire toujours les mêmes choses, les objets racontent plus de choses sans rien dire. Les jeunes musiciens amateurs sortis de nulle part Wire, armés de l'indispensable architecte Mike Thorne, nous préparent au Buffet Froid de Blier, en 1977. Et à tant de choses...
Une pochette minimale archi-verticale, à l'horizon ultra-horizontal, pour un album à la tracklist vertigineuse, un titre décidé très bêtement - punkement - d'après les musiciens pour troller le gros blase de leur label (un groupe avec des cochons qui volent à l'époque, ça vous dit quelque chose ?)
L'esthétique minimaliste et énigmatique de cette pochette, ce porte-drapeau bien droit au câble entortillé, ce bleu ciel effroyablement parfait, jusqu'au cadre délicatement déchiré, sont aussi frappantes que les plots de Kraftwerk ou la banane du Velvet... Et ce tout petit tissu rose, là, ridicule, insolite, fabuleux de fraîcheur, comme la musique.
De ce tout petit drapeau rose de presque rien sont parties tellement de choses, qu'on en aurait le vertige; mais calmons l'historien pesant, et faisons appel au chroniqueur qui avant d'avoir des lunettes a un cœur : ce disque s'améliore d'écoute en écoute et son énergie assez démentielle, n'empêche pas de contenir sa charge d'émotions. Et de génie bien sûr. Dix fois plus de riffs qui tuent que dans le premier Van Halen pas encore sorti, et un côté "art naïf par des surdoués", qui déjà fait toute la différence.
Les mecs de Wire choisissent le rose comme les Sex Pistols, mais surtout le même rose que le "2" sur le deuxième NEU!... et le titre de Rocket to Russia. Et ils isolent ce rose maniaquement, petit rectangle rose dans un monde vide, ou presque. Vide d'humain en tout cas. Étaient-ils là aussi en avance sur Joy Division, dont le nom faisait comme tout un wiki le sait référence à la section gay des camps ? Y a-t-il homophobie dans le morceau "1 2 X U" ("smoking a fag / kissing a man") ou dénonciation ? On évitera de sur-analyser, ce qu'eux-mêmes ont sûrement élaboré en cogitant beaucoup moins qu'on le pense.
Malgré les paroles du morceau éponyme, baignées de l'ambiance Guerre Froide comme chez pléthore d'autres groupes de l'époque, pas sûr que ce rose aie été choisi avec un concept politique profond derrière, non, autre que la blague punk à l'encontre de la gigantesque cash-machine gérée Waters et Gilmour, donc, une façon aussi de profiter du buzz mondial, de se raccrocher façon remora à cette grosse baleine des ventes... Wire viennent parasiter le monde musical, profiter du punk, et du rock en général, pour déclamer au monde leur vision. Car, plus important que tout : WIRE font LEUR musique.
Avec leur vision de l'espace-temps. Faire trop court, faire trop long ? Le mieux c'est peut-être encore de faire les deux. D'être AL-TER-NA-TIF. Wire c'est comme les textes au sujet de Wire (ou d'autres) : faut faire SELON. À l'instinct... Et il faut peut-être approcher les choses de façon plus animale pour apprécier pleinement Wire, par le son, les textures. Saisir le fil de leur musique. Conducteur, très conducteur. Sortez de vos a priori inhibiteurs sur le groupe soit-disant arty-chiant et trop cérébral Wire : peut-être alors verrez-vous sa lumière. Sinon, partie remise, jeunes stagiaires.
Wire c'est quelque chose de poétiquement contre-intuitif. Prenons leur côté artistoïde et méprisant, souvent pointé du doigt par ceux qui restent hermétiques à leur musique (comme je l'ai longtemps été). Il existe, mais il y a aussi malentendu sur les émotions en mouvement. Wire sont avant tout violents. Ces situationnistes en chemise blanche ont infiniment plus de hargne et de sang en eux, qu'un gros paquet de rockeurs axés sexe et drogue, dont le blues n'est devenu qu'un sénile et paresseux radotage.
Il faut par exemple faire preuve d'une rare brutalité pour sortir un morceau comme "Lowdown". Et c'est jouissif. Ce n'est pas un truc à garder en encyclopédie : les arêtes sont restées saillantes, et coupantes. Le cerveau est une arme, un truc de barbare - c'est aussi ça, que rappelle Wire.
Wire sont donc déjà pop (la pointilliste "Three Girl Rhumba", ou "Mannequin"), et déjà aussi géniaux pour trouver des riffs et des rythmiques ("Ex Lion Tamer" la naissance de The Sound) ou des purs missiles (cf. "Champs"). L'aspect (pré-)apocalyptique du groupe s'exprime dès le mur électrique et angoissé "Reuters", donc, ce premier morceau hors du commun, au son d'une modernité hallucinante et aux paroles inquiétantes, le chant à la fois ultra-glacial et ultra-émotionnel. On est sur du post-hardcore ou du metal alternatif mais en 1977, rien de moins.
Le dernier album en date de Wire a limite plus vieilli que ce son, c'est dire à quel point c'était en avance : ça l'est encore, à la réécoute. En avance sur tant de choses, et... si simple pourtant, à l'oreille. Si direct, si "rien à ajouter / rien à enlever" ! Que tant de punks d'alors sonnent compliquer la vie avec leurs morceaux, eux, mais pas les quatre autodidactes de Wire sur Pink Flag. C'est aussi là, que se goûte leur génie brut. La rencontre qui eu lieu entre ces quatre têtes très atypiques. Le post-punk avant/pendant les punks, comme on l'a dit mille fois. Cela fera mille-et-une.
Les années de punk pour rappel c'est comme les années psyché ou les années de chien : faut multiplier par six ou sept pour avoir nos années musicales actuelles ! Et là Wire ne perd pas de temps. Ils alignent les idées de génie pire que chez Gi-Fi, c'est épatant. C'est une chose qui fuse, profuse.
Wire sont si connus pour leur côté calculé, contrôlé, archi-prémédité et maîtrisé... Pourtant l'urgence guide l'album : la durée des morceaux, fait la nique au grind avant son existence. C'est urgent mais c'est froid. Un de leurs exquis paradoxes. Tout ici vise, déjà, une forme de malaise. Un truc qui vient un peu bousculer nos certitudes sur ce qu'est une chanson et un album, vient violenter nos habitudes d'écoute de consommateur. Les morceaux longs font-ils office d'interludes entre les morceaux longs ? Wire semblent inverser logique des choses, façon Buffet Froid - on y revient, oui. Et si tout ça était juste de l'avant-garde, du "proto", il est évident qu'on ne prendrait pas ce plaisir à l'écouter, tant la chose est fluide...
Tout se déroule et s'enroule, éclate et se comprime. L'intro monstrueuse du morceau éponyme, aux guitares tellement granuleuses et bitumineuses qu'on a l'impression de se faire refaire les tympans à l'enrobé... L'aspect rectiligne-hypnot(r)ique, la richesse monstrueuse (ne mettez aucun album de 1977 à côté, il aura l'air trop basique) s'expriment dans une forme de beauté bien spéciale... une poésie même, osons, des formes, des textures...
La sublime "Lowdown" - encore - et ses accents plus-anglais-tu-meurs, sur un riff très ricain (on dirait presque du Springsteen), encore un mirage... "Strange" la cold-waveuse, dont les effets si étranges et fascinants préfigurent 154, tout ça sur un riff... stoner ? Euh, oui. Stoner aussi est "Start to Move", texture de guitare incroyable. Richesse hallucinante dans cette farandole de capsules... qui font la nique au temps et à l'espace, à leur époque et aux durées règlementaires.
Fantastique, oui, déjà. "On arrêtait juste les chansons une fois que les paroles étaient finies", affirment-ils, les coquins ? L'instrumental "The Commercial" planté en plein milieu de la tracklist, est-il une relecture de "After Forever" de Black Sabbath, une satire ou un jingle ? Et puis vient cette a priori ravissante "Mannequin", d'ailleurs, qui exprime en réalité un dédain profond, brut : l'exact inverse (façon Buffet Froid encore) d'une classique chanson rock de queutard - et qui pourrait servir toutes ces tik-tokeuses-instagrammeuses sous vide qui pullulent à tous les coins de rue, pleines d'elles-mêmes et de... dédain - et ça vaut pour les mecs aussi en fait) et à l'opposé il y a cette curieuse "this is son fun, this is sex" plus loin... Wire sont encore adolescents... mais déjà des grands. Leur violence est adulte.
Et puis vient en point final ce punk mordant à mort - hardcore - de "1 2 X U" (un simple "1-2 FUCK YOU" censuré) lancé comme un "OI", renferme en lui du Steve Albini (version Big Black, Rapeman ou Shellac) avant l'heure - "I've got you in a coffin, got you in a corner"/"want to erase you". Radicalement mal intentionné, radicalement nouveau, radicalement frais. Ces mecs sont un problème, dès le départ, dans le programme prévu. À moins qu'ils ne fassent partie du programme, car le programme est trop cryptique. Placés par un plan secret. Oui, y a un côté complotiste chez Wire, aussi... propice à l'imagination. Elle est déjà fort fertile et dangereuse sur ce premier album, qui ne fait que se bonifier aux réécoutes, sans retour en arrière possible. Brillant, et sans équivalent. Mon premier d'eux, accessoirement, si longtemps avant que tous les autres ne suivent. L'addiction était latente.
La naissance d'un groupe distant, pourtant si près, si intime, qui s'est incrusté en profondeur dans mes obsessions, mes songes, mes étagères, matérielles et imaginaires, mes habitudes, et tout simplement ma vie, pour ne plus jamais s'en déloger. Tout est dit déjà, mais tout reste à écrire... Le petit drapeau est planté, le ciel est immense.
Dans le même esprit, Raven vous recommande...



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- Raven › Envoyez un message privé àRaven
Pas bête ça, pas bête du tout... Il est superbe, ce morceau de Cardiacs.
Je relis la chro du Proggy du coup, sinon, après avoir fini le wirathon - et vois que le finaud faisait déjà ce lien Wire-Led Zep, haha... et c'est bien vu au sujet de ce titre précis, "The Commercial" qui me fait perso plus penser à Black Sabbath à la base, donc. Y a une dimension parodique façon Les Nuls - minimaliste et con - dans cette minuscule chose, qui n'empêche pas d'être un super instrumental tout simplement.
- Note donnée au disque :
- Lord Tom › Envoyez un message privé àLord Tom
Reuters me fait toujours penser à une version grise et austère d'Is this the life des Cardiacs, dans le mood (ou l'inverse chronologiquement)
- zugal21 › Envoyez un message privé àzugal21
Curieusement à la fois homogène et hétérogène, cette petite chose ultra calibrée qui demande pas mal d'écoutes avant de décliquer foutrement ( et je n'y suis pas encore )
Message édité le 05-05-2025 à 19:36 par zugal21
- Note donnée au disque :
- Raven › Envoyez un message privé àRaven
Bien sûr, Page Hamilton a dû être traumatisé par ce disque (comme Thurston Moore, Steve Albini et Andy Cairns).
- Note donnée au disque :
- ashara › Envoyez un message privé àashara
Et pour finir cette rétrospective "Pink Flag". Cet album claque toujours autant. Par certain aspects, du Helmet avant l'heure. Grandiose.
- Note donnée au disque :