Où trouver un bon orchestre pour mariage à Istanbul ? Faut aller chercher dans les quartiers européens, dans les restaus, les bars. Ca doit bien se trouver. A Dolapdere, pourquoi pas, entre Taksim et Osmanbey. Y a ce moustachu qui boit son thé, instrument en main, prêt à négocier le tarif. C’est là que le duo de A Hawk and a Hacksaw, Jeremy Barnes (ex Neutral Milk Hotel) et Heather Frost l’ont déniché et lui ont proposé d’enregistrer un album, coup de bol car ces mecs là ne vivent pas de la vente de disque bien sûr. Coup de bol de pouvoir réentendre des musiciens qui jouaient avec Selim Sesler aussi, le oud et le violon faisait parte de son fameux orchestre. C’est dire que Cüneyt Sepetçi n’est pas le premier soufflant venu. Piochant dans le même répertoire que le regretté virtuose, à savoir les musiques à danser d’origines roms, c’est aussi la même configuration qu’on retrouve, avec l’inévitable kanun, ici parfois bien perçant. D’ailleurs tout l’album y va en force, on a l’impression d’être dans la rue où un sound system particulièrement agressif se devrait de couvrir les sons environnants grâce à une bonne dose de reverb qui propage la puissance de la formation à tous les angles du quartier. L’été arrive bientôt, ouvrez les fenêtre, mettez le son à fond et faites profitez à vos voisins du son de la Turquie européenne traditionnelle, aux frontières mouvantes avec la Grêce et les Balkans. On y retrouve toutes ces danses aux rythmes parfois modifiés à l'envie par le clarinettiste, comme le faisait Sesler, les çitftetelli dont celui donnant son titre à l’album, particulièrement frénétique, un incroyable et hypnotique karşılama, et autre ondulations sensuelles de havası. Pas vraiment de place pour des soli de la section rythmique accompagnant Sepetçi, la clarinette et le kanun étant les plus mis en valeur, baignés dans des échos désorientants, ça tombe bien, il s’agit de faire tourner les têtes aux rythme des verres qui se vident. Pas de vocalistes non plus, mais des musiciens qui aux-même parfois y vont de leurs voix graves et rapeuses pour soit encourager les danseurs, soit pousser le mélisme comme sur « Gogocular », viril et brut de décoffrage, ça manque un chouia de présence féminine. Pour le reste, c’est de l’instrumental qui taille sans ménagement, accélérations et décélérations à donner le vertige, un peu de mélancolie aussi comme le très beau « Çalin Davulları » final, mais surtout une clarinette qui part en vrilles acrobatiques. Et des percussions qui, elles aussi, gonflées de reverb, envoient une sauce à donner la gueule de bois le lendemain. La pochette pourrait faire croire à quelque chose d’un peu psyché, c’est un peu l’effet hallucinatoire en effet qui domine là-dedans. C’est les chargeurs réunis de la musique de Roumélie, du lo-fi tuné par des gitans. De la clarinette qui perce les tympans et un orchestre qui ne fait pas de prisonnier. Bienvenu à Dolapdere.