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Brame › Basses Terres

cd • 5 titres • 39:18 min

  • 1Sanglier
  • 2Des Feux
  • 3Étrangé
  • 4Fourches
  • 5Friches

informations

Useless Pride, Aucamville.

line up

José (gretsch baryton, granulateurs, cailloux piétinés, cajon basse...), Serge (voix, harmonica, tamis, cymbale, tôles...)

chronique

À chaque fois que j'écoute un album, je visualise d'abord un endroit bien précis dans lequel je suis allé. Jamais un lieu que j'invente à partir d'autre lieux, jamais celui d'un film, d'un clip. Un lieu que je revois, limpide. Sans pouvoir lutter contre l'apparition subite de ce cadre mental, sans pouvoir dé-lier le disque de ce lieu qu'une partie molle de mon bulbe à décrété greffée à jamais à une musique. C'est d'une toute autre profondeur subjective que les décors dressés dans les chroniques, qui ne valent souvent que pour mieux allécher le lecteur. Ce n'est pas une métaphore : c'est une association mentale son-lieu dont le ressort m'échappe. Le décor qui me vient à l'écoute d'un disque est tout bêtement celui d'un endroit banal le plus souvent, et presque aussi souvent sans lien direct avec l'ambiance de la musique, du moins en apparence. Ce peut être une portion de route traversée pour aller au boulot, la pièce à vivre d'une connaissance, l'école primaire, un centre commercial... Un endroit dans lequel je suis passé récemment ou il y a longtemps ; une fois ou mille. Presque à chaque découverte musicale un lieu différent (seuls quelques rares albums ont en commun le même). Et quand je ressors tel album, des mois ou même des années après, je reviens dans tel lieu, le même lieu que la toute première fois - impossible de m'en extraire, ils sont siamoisés. Est-ce que parfois je ne parle pas d'un disque dans le but de sortir de son lieu ? Et cela afin d'accéder à un lieu que je partagerais avec d'autres auditeurs pour m'extraire de ce lieu-prison... ? Et puis merde à la fin : tout ça c'est très pénible à cerner, et probablement d'une banalité à pleurer qu'est-ce que j'en sais, c'est peut-être le lot de tout mélomane - synesthésie, je crois - et je ne devrais pas en parler. Seulement Brame, groupe dont je n'attendais rien qu'une écoute-labeur, m'y a fait penser pour la première fois à ce point en 2013, et j'ai tu la vision, pour en fabriquer une moins intime. Car avec La Nuit, Les Charrues, ce fût la première fois que je m'imaginais chez mes arrière-grands-parents à l'écoute d'un disque. J'ai donc menti en disant que je ne pensais pas à l'agriculture. Car c'était bien le cas : du plus profond du bulbe je ne voyais que cette ferme. Je les ai peu connus ces vieux machins, mais Brame me renvoie à leur propriété plate et moche, et ce dès ce premier morceau avec son grincement blues obsédant qui creuse une tranchée vilaine. Des cul-terreux comme pléthore, adolescents quand les bourrins n'étaient par encore des Deutz. J'ai senti l'odeur plumeuse du poulailler, ouï le cri abominable du porc qu'on mène à l'égorgeoir, été pincé au mollet par le jar patibulaire. J'étais mal à l'aise là-bas, et en même temps je ne voulais pas en partir. Comme si je traversais une carte du passé au présent... Et Brame sort un troisième album, peut-être son plus sinistre, qui me place cette fois hors de la demeure. Je suis dans la cour. Il fait nuit. Le poêle est froid à l'intérieur, je crois. Le billot a fini de boire le sang des bêtes. Les aïeux ne sont plus là ; la momie chétive à gâpette qui pissait sur le pas de porte ; ce petit corps foutu prostré de vieille à qui on avait abandonné les jouets les plus basiques des enfants pour occuper ses mains tremblantes : disparus. Les animaux aussi. Des ombres furtives, mais pas sûr. Du bruit dehors. Entre les arbres. Un sale bruit. Qui agonise dans le brouillard sec ? Est-ce un maquisard énucléé à la petite cuillère ? Le simplet des voisins qui vitupère après avoir asséché sa dernière bouteille de goutte ? L'horloge est un pouls, plus que jamais. Sur ce mécanisme de pendule la guitare geint, se tortille. Il n'y a pas grand chose dans Brame : le rythme ouvrier résigné, les ronces aux cordes, la voix flanquée là-dedans comme une écharde coriace, une écharde vivante. Cela suffit. L'ampli crache presque non-stop sa limaille. Et cela suffit. Qui espère reste loin d'ici. Ce n'est pas grand chose... on sent qu'il manque quelque chose... mais on serait en peine de dire quoi. Brame joue avec peu d'outils mais en purge une matière brute. Les passages southern sont presque disparu, le seul moment qui évoque les terres de l'Ouest serait à la rigueur la troisième piste... cette Amérique a la couleur de l'établi ; c'est la France, la terre des brameurs éternels. C'est un groove d'agonie qui vous dresse un Malevil de poche avec la manière sans manières des vrais artisans. L'indus de Brame - ou son rock - ou son blues - tire un maximum parti des moyens limités, comme on fabrique les douk-douk. Le strict minimum, pour le maximum. De sécheresse, d'austérité, de matière nue. Comme une astringence qui nous frustrerait presque d'y ajouter du sucre, sans que jamais on ne se persuade que ce ne serait autre chose que les dénaturer. Non, aucun sucre dans cette musique. Aucune eau. Aucun feu. Quelque chose d'archaïque, qui reste prostré ; une musique de taupe humaine en état permanent de naissance, accouchée par la terre, et réagissant, sans plus de théâtre qu'un nourrisson fraîchement chié au monde, à toute la violence des sensations du dehors, de cet air immense tout autour d'elle comme un néant froid qui n'a rien de commun avec le confort de son humus chaud. Un truc de misanthrope à peine conscient de ce qu'il est, du monde qui l'entoure, seulement conscient qu'il peut bramer, avec l'écho pour seule consolation. Pourquoi se compliquer la tâche à les décrire dans le fond tant leur nom reflète justement à la perfection ce qui les sort à chaque fois du silence : Brame. Brut de chez brut, outre-instinctif. Le râle du né à jamais. Famélique, aveugle, incoercible. Un boucan comme terreau à une douleur concise, précise. Et ce vent qui souffle jusque dans votre charpente à travers toutes vos briques de carne, sur le mornissime final... vous l'entendrez, comme je l'entends - et vous saisirez d'un casque pour ressentir à fleur de tempe toutes ces choses pointues qu'il charrie dans son sillage. Oui, cela laisse sur sa faim... sans qu'on ne veuille croquer le moindre quignon de plus. Basses Terres est un album sec, rêche, aussi peu amical qu'inviteur. Avec Brame dès la pochette en carton-bois, dès les intitulés laconiques, aucune place pour le racolage. Que vous l'écoutiez ou non, cette rouille de musique est taillée pour les hivers rudes. Et c'est ce lieu ancien dans ma tête, qui au fil des écoutes s'est dilaté pour ne se réduire à plus rien. Qu'un brame.

note       Publiée le dimanche 10 janvier 2016

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