A Certain Ratio › I'd Like to See You Again

Il n'a pas trop bonne presse, je crois, ce Ratio là. Barré musique de boîte, disco, samba, latin-funk, boogaloo... Les Anglais reviennent de New York, ont troqué l'attitude hangar/friche indus contre une « party drive » tout en couleurs, la grisaille post-punk granuleuse contre une production nette, plus massive, brillante. Enfin... En apparence. Pour moi, il se passe encore bien autre chose.

Pour moi, ça reste étrange, cette musique – louche. Oui, Martha Tilson partie, emportant son chant caressant-glacé, les parties vocales redistribuées entre les voix des membres masculins du groupe, l'impression de cauchemar liminal s'estompe quelque peu, de ce côté de la chose. Oui, le funk se fait plus frontal – et plus chromé. Il n'empêche, que Topping et cie. aient décidé ou non de rapporter un peu de paillette et de permissivité tous azimuts du Studio 54 et autres clubs, ça ne change pas complètement le climat : tout reste nimbé d'une brume fraîche très Manchester, très Factory. Les dissonances, les espèces de torsions nauséeuses appliquées aux textures, aux parties de chant, aux nappes et lignes synthétiques, salissent encore le paysage, maintiennent cette impression que non, tout ne va pas pour le mieux, chacun et chacune parfaitement à l'aise et la santé (mentale et physique) absolument optimale. Les congas, cuícas et autres éclats de batucada n'y changent pas tant que ça : A Certain Ratio reste un groupe bizarre, voilé, vrillé. Leur version de ces choses là : funk luisant, disco, slaps de basse claquants, reste... Déviante – plus proche des visions, des sorties du label Ze Records que de la mouture mainstream, calibrée-radio, de tout ça. Quelque part entre ça – le deviant-disco made in Ze, donc – et les disques les plus proto-house de Cabaret Voltaire, les expérimentations hip-hop-pré-big-beat de Liquid Liquid et un avatar improbable, « parallèle » de Weather Report, un trafic très « marché noir » de tous ceux-là et de bien d'autres objets, genres, approches. Avec, j'insiste, un twist très anglais – anglais du nord post fermetures d'usines. La fête, oui. Mais la gueule de bois, aussi, et la dèche, qui reprennent chaque lendemain matin. Le sexe, bien sûr – mais la frustration de ne trouver que ça, chaque nuit où se concrétise une chance de. L'aspiration aux connexions, à la communion – mais la ville, au lever, d'un côté ou l'autre de l'eau, qui ferme les regards et souffle « chacun pour soi ».

Il faut se méfier, avec ces types là. Il faut savoir que, sous la franchise de l'attaque, se dissimulent presque toujours deux ou trois passes plus retorses, ingénieuses et infectieuses. Il faut se lâcher comme eux – qui se décrispent, oui, ici. Il convient tout de fois de ne pas oublier de quoi ils sont, de quoi on est capable. Les spots sont braqués où il faut – les bouts de décor qui brillent sont ceux qui excitent l'attention et le reste. La piste plonge dans une semi-obscurité. On se sent protégé par cette nuit chaude, à peine éclairée. On se sait entouré d'inconnus, inconnues et de familiers, familières – aux sourires retroussés qui luisent dans l'ombre et aux regards dilatés.