De source fiable, on me glisse que Carine Masutti n’aime pas ces étiquettes ; se méfie, se défie de ces écoles, mouvements à manifestes, à quoi l’on serait tenté, pour des questions surtout de moyens techniques qu’on lui soupçonne, de la rattacher : sons d’environnements, concrets, travaillés à même leurs paramètres physiques – hauteur, intensité, durée, fréquence ; enveloppe, grain, amplitudes modifiés, modelés ; amplification de détails infimes, tissages de complexes d’après ces éléments recueillis, pris, saisis. Et puis peut-être : générateurs de sons les plus directs possibles, depuis les charges électroniques, ioniques ; émission, matérialisation, œuvre dans le spectre. Pourtant, donc, celle qui signe est formelle : ceci n’est pas "de la concrète" ; encore moins "de l’électro acoustique" ; puis elle précise : cette musique s’appelle "Soupe Primordiale". C’est pertinent, en fait. Très. Comme le choix parfait de ce titre de plage qui devient celui du cycle : "De la Boue Luisante". Il y a bien une vie en formation, dans ces sons ci, en mutation, un éternel devenir dans les croissances, les bourgeonnements de cellules, comme dans les corruptions de matière, les délitements. L’élément primaire se scinde et prolifère, se réduit au plus ténu de son code génétique, de sa structure carbonique. Les mouvements sont des impulsions, micro courants dans les tissus, matières grises ou muscles ; ou migrations de plus simples organismes, propulsion protozoaire. Ensuite ce sont des chiens. Plus loin une voix humaine – en un dialecte éteint, une langue dont cette trace, sur la bande entendue, est la toute dernière, articulée par l’ultime locutrice. La fin d’un monde alors qu’autour les ères continuent de naître, de s’abîmer, de ne pas prévenir qu’elles mutent… Of The Glowing Mud, c’est vrai, fait fi de bien des règles d’écoles, se passe d’extensions, spéculations, réductions théoriques ; le son ose raconter, sans peur de souligner naïvement – parce qu’il est proche, intime le plus possible avec sa matière ; parce qu’ainsi à ne pas dire des histoires mais faire sentir les espaces où ça marche, où ça vole, où ça aboie disais-je, où ça grouille en dessous, il s’agit de toucher la chair de mondes plutôt que d’en entendre la linéaire évocation. Cet objet ouvre une porte, une plongée, une clairière. Celle qui lui a infusé la substance le fait avec une liberté – et un bonheur – finalement assez rares. Quelques uns – dissidents eux aussi, ou tranquilles hérétiques de toutes académies – ont su ou savent restituer ainsi la nature de ce à quoi – faisant mieux que la capturer – ils tentent, tentaient de nous confronter, dans quoi leur art voulait nous absorber, ce que dans l’immense et l’infime intérieur ils s’attachaient, s’attachent à projeter. Bokanowki parfois, Michèle, dans ses pièces où comme ici l’interdit des instruments ou de leurs mimétiques – chez elle par exemple un orgue, un violon ; là, ces résonances de métallophones qui frappent leur motif – n'a pas cours. Jean-Claude Éloy, possiblement, dans les moments où il s’affranchit de l’empêchement du rythme donné tel, scansion, oscillation motrice. Mais à vrai dire, cette approche intuitive, ce sens des affinités de textures, des équilibres et glissements de masses, évoquerait plutôt ces formes sans guides autres que ceux du matériau, sans règle qui ne serait pas évidences, intuitions, instantané du jeu (ce qui ne veut d’ailleurs pas dire – et dans le cas présent j’ignore si oui ou non – que le travail ne soit pas repris, développé par phases, enrichi, successifs ajustements). En certains territoires noise, par exemple – KK Null à ses moments les plus cosmogoniques plutôt que des timbrés dans le genre MASONNA. Ou chez le singulier Hitoshi Kojo – seul, quand il restitue et sculpte et meut les vibrations des stations de recyclages prises comme biotopes ; ou en duo avec sa femme Carole – sous le nom Jüppala Kääpiö, où tous deux éploient, filent, embrassent des fêtes et des visions, des forêts hallucinées. Foin de comparaisons. Le titre, de toute façon – j’insiste – dit mieux que tout la pièce, y prépare plus simplement, plus adéquatement, en impression plus brute. La boue luisante attire, son parfum entête et alarme ; ses habitants sont dards, mandibules, manières de follicules ; sa viscosité caresse et englouti. Cette poche de gaz qui crève à sa surface souffle le souvenir où nous étions noyau.