Bay B Kane › The Guardian of Ruff

Un album entier de jungle à l'ancienne ? Certes, ça n'a guère de sens, du moins si par crainte de confrontation avec une musique archaïque on se refuse à connaître le plaisir de savourer les postillons-laser d'un vieux robot (de cuisine?) à dreads et en cuir, pris de spasmes au milieu d'une technoparade bondée. Il est vrai que le genre ne se prêtait pas au long format, surtout dans ses origines organiques, anglaises. Gutsien, ce genre-relique prélude à des monstruosités mégalomanes tels Aaron Funk ? Cette drum'n'bass des vioks, cette dance écartelée pour kékés à casquette ? Oui, quand la casquette est portée par des rudimentaires de ce genre. Le fait est que ce genre de disque me plonge dans un état proche du lavabo, dans la plénitude d'un rubik's-cube spasmophile, avec ces rythmiques néanderthaliennes 100% fabriquées main. Breakbeat pur porc. Mattez un peu cette façade, cette esthétique, pour commencer. Ce blase, ce grain, ces couleurs bien délimitées : ça dit déjà à peu près tout. Les années 90 de la techno, c'était comme les débuts du rap : des pseudonymes qui disent tout. Big Daddy Kane pour le hip-hop ? Bay B Kane pour la jungle. Pas la peine de se prendre la tête, de tous les alias de Tanur celui-ci reste le plus facilement mémorisable ; à dessein. Ajoutez-y la petite citation karacho des Last Poets dans le livret et vous avez le certificat d'authenticité du DJ. Dès "Rhythm" on pige que BBK opère en artisan du beat parkisonien, sans chichis, et la fraction de Snap ultra-basique sur "Darkness Shade of Sound" confirme. L'intérêt d'écouter un tel skeud suppose évidemment le risque de subir l'effet indigestion d'apéricubes sonores, et pourtant presque chaque titre du vétéran Bay B Kane - à part peut-être la jungle-dance pour piste de fête foraine "Bass Pump" - contient son sample-qui-pichenaude, sa greffe de beats trafiqués et mis sur ressorts. Effet 90's y aussi implacable que la salopette en jean sur un corps nu. Moins raffiné que Jacob's Optical Stairway, moins axé sur les basses que sa progéniture tape-à-l'œil, Bay B Kane incarnait le noyau dur de la jungle, avec toutes les limites inhérentes au style. Le DJ casé entre la période ragga et les évolutions plus scientifiques genre IDM, même si BBK était lui aussi capable d'asbtraction pour pas dire de subtilité ("Hyd & Seek", "Every Single Wish"). Que ce soit le remix shooté à l'hélium de Simon & Garfunkel ou les parties plus orbitaliennes d'un "Strange Greetings", au final tout s'embrique assez naturellement dans cette cascade-escalier de vieille techno, ces petits sons fracturés avec les outils du bord et ces flashs d'ambiance d'une rave-party morbide, avec à la clé plusieurs mini-lobotomies à coups de samples vocaux old school ("Good Good Sensi") et de 'clap your hands' sinistres. On surprend même le rustre à se servir de sons de synthé plus épais et envoûtants ("If You Believe"), même si c'est évidemment le rythmique et l'effet "beat-baballe-qui-fait-boing-boing" qui priment. Un son qui a pris son coup de vieux, du moins si l'auditeur est de ceux qui lient musique et avancées technologiques. Mais il faut souffler sur la poussière, et redécouvrir un charme qui n'a finalement pas grand chose à voir avec la nostalgie. Le vétéran oublié d'un genre-transition, désintéressé de la portée artistique en bon troufion du genre connaissant les moindres recoins tactiques, dévoué au concassage de dancefloor comme Rambo à son gros couteau.