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John Cale › Paris 1919

  • 1973 • Reprise 44 239/2131 • 1 LP 33 tours
  • 1993 • Reprise 2131-2 • 1 CD
  • 2006 • Rhino 8122 74060 2 • 1 CD

cd • 9 titres • 31:19 min

  • 1Child’s Christmas In Wales3:19
  • 2Hanky Panky Nohow2:43
  • 3The Endless Plain Of Fortune4:10
  • 4Andalucia3:51
  • 5Macbeth3:04
  • 6Paris 19194:03
  • 7Graham Greene2:59
  • 8Half Past France4:17
  • 9Antarctica Starts Here2:53

informations

Enregistré aux Sunwest Studios, Los Angeles. Produit par Chris Thomas.

L’édition CD Rhino de 2006 présente onze plages supplémentaires : il s’agit d’un inédit (Burned Out Affair), et de prises « alternatives », versions instrumentales, répétitions ou mixes particuliers de morceaux présents sur l’album original. Selon les éditions, tout ou partie seulement de la liste des musiciens ci-dessus reportée est créditée (en particulier concernant les membres du groupe Little Feat). L’édition originale de 1973 n’en mentionne d’ailleurs aucun.

line up

John Cale (chant), Lowell George (guitare), Peter « Sneaky Pete » Kleinow (steel guitar), Bill Payne (claviers), The UCLA Symphonic Orchestra, Wilton Felder (basse), Richie Hayward (batterie), Paul Barrère (guitare), Keneth Gradney (basse)

chronique

La guerre est finie. L’armistice signée. Paris, 1919 : une conférence commence, qui durera dix-huit, dix-neuf mois. Les dirigeants – ceux qui aux bouts des discours avaient jeté les troupes aux tranchées – redécoupent l’Europe, se partagent les peuples, se distribuent les nations. Des empires tombent – l’austro-hongrois, l’ottoman. On s’empare des décombres, on les expose comme récompenses des justes – qui ne furent que les forts, c’est à dire piètrement : parce que mieux équipés, peut-être par accident. L’histoire écrit les vainqueurs. C’est une morne légende, et cette Paix un mensonge. Dans le charnier – répétition d’un autre à venir, plus grand encore, toujours plus mondial, catastrophe plus efficiente – c’est l’humanité qui s’est perdue, entière, sa substance, sa qualité ; le gagnant véritable, c’est la machine morte, mortifère ; l’aboutissement logique, horrible, des révolutions industrielles ; tout s’échange, le sang comme l’argent, et on ricane à l’idée naïve qu’il y aurait même une âme à perdre ; si par contre on pouvait la vendre… La Bourgeoisie est morte aussi, c'est à dire arrêtée, simple rouage de ce système de production qu'elle a monté, nourri ; elle continue de se divertir, à singer une image figée de la noblesse, à simuler une décadence qu’elle ne peut pas goûter, chacun de ses membres n'ayant plus l'heur d'avoir vécu la vigueur ; l’individu souffre encore mais sans pouvoir bouger ; il n’y a plus de dehors, d’extérieur où fuir, se réfugier, se replier pour commencer autre chose, révolte ou lignée d’exil ; la Culture est contrefaite : elle brade ses germes ; Dada et toutes les autres tentatives de frayeur et d’éveil ont tourné œuvres – monnayables – dans les mises à jour des manifestes surréalistes ; les années qui s’ouvrent, on les appellera "folles" ; c’est un abus de langage également : elles seront l’illusion seulement d’un sursis, d’un oubli ; toute rébellion n’est plus qu’une question, qu'une option d'esthétique, pour ce Positivisme qui sonne à toutes les portes ; la nostalgie n’est plus qu’un rêve tiède que le Progrès flétrit – l’Andalousie, dans dix-sept ans, boira le sang d'une république, et la Catalogne, et les Asturies… ; dès le début de cette boucherie qui vient de se clore, on avait exposé les armes au grand clergé : afin qu’il les bénisse et qu’on les porte au front ; et qu’il exhorte les soldats, aussi : qu’il leur assure que la Patrie est bien la fille unique et préférée de Dieu. Et que mourir pour elle n’est qu’un détail, la moindre des reconnaissances…

Paris 1919 – l’album – est une suite de scènes, de nouvelles courtes, extraits de journaux intimes, de lettres adressées en vain. Cryptées, saisissantes, de formes parfaites, à la désolation sourde, lasse, couvée, la peur et la colère, le désespoir en consomptions enfouies. Cale – le fin Gallois passé par l’Amérique, raffiné, savant, sorti des fracas du Velvet Underground, producteur entre temps de ces brutes de Stooges, tisseur des voiles où se drapait la voix de deuil aux funèbres heures de son amie Nico – y esquisse, y pique, y perce des bribes historiques ; les constelle, les crible de références fragmentaires, de bouts d’indices – littéraires, politiques. Bien au-delà – aux racines et vers les conséquences désormais connues, toujours subies – de l’année et du lieu annoncés par le titre. C’est le massacre du continent – en attendant de voir plus grand, disais-je – qu’il nous conte d’une voix posée, en pièces brèves, en tableaux animés doucement, traitreusement agréables, caressant l’écoute. Il est question au loin – en face, par l’océan – d’une puissance qui grandit, d’une forme qui s’affirme – nouvelle, jeune, parée de vitalité – du mal qui vient d’en emporter dix-huit millions et six cent mille : hommes, uniformes, femmes et enfants. Qui vient de raser des villes avec leurs siècles. Cale trace des lignes depuis les prémisses, transite par la pensée – amère – du Poilu en partance ou bien rapatrié. Voit dans toutes les époques d’avant ou à venir, depuis ce point cité : jusqu'au mitant du dix-neuvième, aux sagas bien réglées des comptoirs exotiques, exploitations coloniales ; aux salons de ladite entre-deux-guerres où l’on converse avec Graham Greene – dans cette espèce d’ennui victorien qui n’est que l’état passif, éteint, de la terreur. Cent ans d’atermoiements et de chutes continuelles, grimés en Renaissance. On aurait presque l’impression, l’oreille réalisant ce qui se dit, sous la mélodie, de visionner des vieilles bobines d’actualité – images en noir et blanc de liesse, de fastes, films en costumes qui se donnent pour immédiat, réalité – mais qu’une voix commenterait, qui ne serait pas cette tromperie. Qui à la place énoncerait – en périodes élusives, ellipses, allusives – la critique radicale de cette même période, de ces décennies ci. Le regard lucide et horrifié des philosophes de Francfort – Adorno, Herbert Marcuse, mais... Le ton sans panique, la diction mesurée, la métrique élégante. Voire le dernier regard en arrière, résigné, de leur camarade Walter Benjamin avant de prendre son cyanure. Musicalement, pourtant – et jusque dans ce chant articulé, triste mais d’une curieuse cordialité communicative, même, lorsqu’il pose en refrain "ce n’est plus qu’affaire de ‘eux ou moi’" – Paris 1919 s’épargne tout grincement. Toutes les lignes y sont justes, claires, aussi limpides que les mots sont intriqués, inquiétants dans leur manière de ne lancer que des amorces de pistes et des tessons de sentences, des conclusions partielles et sans appel. La tension – la colère blanche, sèche, mate, qui sera celle de Fear – ne vibre pas, ici. Pas de dissonance rock malade. Pas non-plus de contours étranges, d’expérimentations, de trafics sonores.

Ce disque se donne comme pop – et de la plus étoffée, détaillée, de la mieux proportionnée. Savante dans sa manière d’arranger les timbres, d’alterner cordes vastes – The Endless Plain Of Fortune et ses montées épiques – claviers liquides, très rares incursions électriques (Macbeth). Ce fut sans doute un coup de génie, d’ailleurs qu’avait eu le producteur Chris Thomas d'engager ces musiciens là pour jouer ces compositions-ci. Des membres du groupe Little Feat, notamment – qui cette même année baignait en plein rhythm’n’blues louisianais, sortait son Dixie Chicken au groove collant et souple. Et même le bassiste des Crusaders, formation de jazz-funk scintillant, luisant, velours… Car une fois aperçu, le tiraillement ne nous lâche plus ; entre cette patte orchestrale luxueuse, la dynamique parfaitement dessinée, balancée ; et ces avis d’imminent, de permanent désastre. Paris 1919 ne clame pas la violence, ne la dénonce pas. Il l’intègre comme menace banale, l’intériorise comme condition de survie, cachée sous l'apparence aimable jusqu'au moment inévitable où la circonstance l'acculera. Crier, en ce temps de stase sise entre deux conflits, deux massacres, serait bien trop risqué : ce serait donner l'alerte, faire spectacle ; ces choses attirent toujours la gloire et la police.

Sur les écrans s’étalent les propagandes. Avant de clore le cycle, John Cale chuchote d'un souffle cassé l’histoire de la Grande Star Paranoïaque du Cinéma. C’est bien exact, au fond : le vrai gagnant, c’est Hollywood. "Sous les lumières magiques qui brillent/De la Barbarie jusqu'ici"… Sans chaleur nous mourons. Pour l’heure et pour longtemps, l’Antarctique commence là.

note       Publiée le mardi 8 juillet 2014

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Raven Envoyez un message privé àRaven
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"You're a ghost, lalalalalalala lala..."

Note donnée au disque :       
Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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Ouep, elle est directement accrocheuse, The Endless Plain, avec ses envolées de cordes et son ambiance "lyrisme de la catastrophe qui couve". Carrément tubesque, en fait, sans effacer le reste du disque, ouais, plutôt dans le genre à faire écouter autrement (mieux ?) toutes les nuances de ce même sens de la chute qui rôde, aka tous les autres morceaux. (Jusqu'à cette Antartica Starts Here - pas tubesque du tout pour le coup, pas vraiment, mais quelle conclusion quoi, complétement... Bah glaçante, pas seulement, pas principalement pour la banquise annoncée dans le titre).

Message édité le 09-12-2022 à 10:38 par dioneo

Raven Envoyez un message privé àRaven
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Ici ça reste "The Endless Plain of Fortune", qui est fatale à tous les coups. Sans déprécier le reste du disque, mais "juste pour dire". Putain, quel morceau !

Note donnée au disque :       
Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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You're a ghost fa-la-la-la-la-la-la-la-laaa...

Puis cet enchaînement, à la fin, Half Past France/Antarctica Starts Here, le froid que ça jette/laisse encore, depuis le temps que je l'écoute !

Message édité le 06-08-2022 à 10:42 par dioneo

dariev stands Envoyez un message privé àdariev stands
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Y'a quand même une différence hénaurmissime à mon avis entre Cale et Reed, tout comme entre Cale et Bowie, Iggy Pop ou pratiquement tous les grands pontes du rock ou de la pop 70's : c'est que le mec écrivait et concevait ses arrangements lui-même. Et était capable dès le plus jeune age de diriger un orchestre, et pas pour en faire du Spector ou "juste" du Morricone ou du Goldsmith, ni même du Axelrod (il n'est pas passé par la case "normal" du tout !!). Perso je suis terrassé par un truc comme "The Marble Index", à mon sens 100 fois plus défricheur et radical et tout ce qu'on veut que le premier (ou le 2ème pour le coup) Velvet, produit et arrangé par Cale pour Nico donc. Pour moi, rien que pour cet album, Lou Reed devrait lui lécher les orteils, sans aucune exagération. (faut souligner que Elektra étaient des kamikazes du marketing à l'époque). Mais Lou Reed, exactement comme Bob Dylan, se base sur l'aura livresque qui l'entoure et qui entoure ses (certes extraordinaires) paroles de chansons. Reed sans Cale, on en aurait jamais entendu parler, il aurait jamais été dans le son crade par lui-même. Cale sans Reed, pas grand monde en aurait quelque chose à foutre(le mec est trop anti-commercial et ingérable, soyons honnêtes), mais par contre il serait en bonne place sur ce site parmi d'autres figures cultes, ou peut être serait-il une sorte de Eno destroy et un peu plus "vieille Europe" ? Car Cale est juste un créateur de musique de malade... Alors bien sûr, il n'a pas fait "Transformer", bon, ok. Mais Transformer c'était une équipe de pointures anglaises. Ah et l'autre truc à dire sur Cale, c'est que sa vision est désespérément adulte. C'est trop désabusé et méfiant pour être adolescent, donc c'est anti-rock, même quand il joue les proto-GG allin... ça, ça lui a enlevé des points de punkitude par paquets de 12. (j'ai presque envie d'ouvrir un topic Cale, a vrai dire j'attendais l'occasion).