Burro Morto › Baptista Virou Máquina

«Âne Mort", c’est vendeur comme nom de groupe, non ? Il faudrait avec ça si possible concevoir une musique instrumentale revêche et hypnotique, emballée dans une pochette en forme de très longue fresque repliée sur une image un peu blasphématoire, fresque incompréhensible pour qui n’aurait pas vu le moyen-métrage qui a été tourné en partant de la musique – et non l’inverse ! Bingo, ils l’ont fait. Et avec ou sans ce film bien barré et parfois joyeusement non-sensique (ça ne rigole pas vraiment en le regardant, par contre ceux qui l’ont fait ont du s’éclater), eh bien cet album passe à merveille, emblématique de toute une génération de groupes détournant les codes de l’afrobeat vers un rock instrumental parfois psychédélique, volontiers crade, et qui s’écoute fort ou rien. Outre Meta Meta, qui sont un peu les big boss de ce "courant", il y a les plus traditionnellement afro Bixiga 70, ou les plus proches Ubella Preta, qui viennent de l’état du Paraíba, comme Burro Morto. De là-bas, ils sont obligés d'aller jusqu'à São Paulo pour jouer, ce qui fait une méga-trotte. Hard times, et c’est bien à cela que renvoie le scénario du film du même nom : Baptista, un ouvrier soudeur vivant dans un monde dominé par les caméras de surveillance, plus proche du Brazil de Gilliam que du vrai pays, qui un beau jour se fait son petit trip en solo (baptême, analogie biblique, tout ça…) et se découvre soudain des rêves et émotions humaines ! Comme la vie est courte, surtout quand on bouffe de l’étincelle de métaux à la pelle, ça passe forcément par une scène vaguement cochonne ("Foda do Futuro", "nique le futur", orgie imaginaire sur fond de jerk mécanique et allumé), ainsi que par des résurgences du passé, résidus de ces musiques joyeuses de l’ère décomplexée révolue, avec le Volkswagen Blues de Gilberto Gil dont seul le riff semble vouloir revenir en hoquetant, ou avec la république de Kalakuta de Fela Kuti, celle où il régnait sur une douzaine de concubines… Ne pas se fier aux premiers titres hyper-raides car décrivant la vie robotique de Baptista avant son épiphanie : les choses s’assouplissent sur la chanson-titre, avant de tirer l’afrobeat vers le baião de ce Nordeste dont Burro Morto viennent. Peut-être est-ce ce qui leur a valu d’être comparés à l'exceptionnel Itiberê Orquestra Família, ensemble instrumental jouant la musique d'Hermeto Pascoal… C’est pourtant une musique bien plus simple et directe que proposent ces jeunes gens. Si les deux EP (dont un sur un label français en 2008, Orkit) sont tout aussi bons, on attend quand même la suite, avec pourquoi pas un autre concept totalement vrillé.