iD & Sleeper › Displacement

Tu deviens comme une chrysalide. La solitude prolongée en est la raison : c'est moche... mais comme le disent les gens qui veulent couper court, "c'est comme ça". Chrysalide qui parle, tu possèdes une carapace épaisse, comme un kevlar qui fait fuir les femmes que tu pourrais aimer. Tu en sais trop. En dedans de toi, ça bouillonne : de contradictions, de désir de bonté et de violence ; ton âme est une termitière en démocratie, qui vibre et qui vit. Mais vu du dehors, tout est maussade. Les gens de ta famille et tes rares amis essaient de te secouer avec leur conneries optimistes, mais tu restes figé en chrysalide. Salades contre saudade. Ce qui vient du dehors ricoche sur ton écran magnétique de protection. Chaque conseil positif pourrait être un missile. Protection contre l'envahisseur. Ecran LCD-refuge + lexomil. iD & Sleeper... c'est un peu cette solitude-là. La solitude dans le rap, plus encore que les skeuds de chez Anticon dont il y a souvent le même genre de flow geek en bandoulière. Le même genre d'instrus-croquis qui gribouillent la grisaille autour de beats cheesy qui font boom boom comme un coeur de furby. Un furby abandonné dans les ténèbres d'une armoire par cette petite fille aimée et choyée par ses parents qui est devenue actrice porno et ne leur adresse plus la parole. "Le conte de fée est terminé". On part toujours du coton pour finir dans la merde... et Displacement nous le rappelle, il est de ces albums doux qui pourtant nous râpent l'âme, nous rappellent les choses souillées. Souillées comme ces samples le sont de saturations malingres. Souillées par la fatalité. Pas que iD & Sleeper soient si différents de la came habituelle qu'on dénichait chez Mush dans les années 2000 ; moins froid peut-être, plus émo, à la Sage Francis, mais pris dans une spirale d'autodestruction. Comme si Dälek tenait dans une salle de bains. Un piège mental. Il règne dans ce skeud l'ambiance d'un studio d'étudiant laissé à l'abandon depuis une séparation douloureuse ; stores baissés, carrés de sopalin à triple usage sanitaire un peu partout, cup-noodles pas terminées sur le bureau, PC téléchargeant nonstop des épisodes de Six Feet Under, et les restes de la pizza mangée devant le dernier Sofia Coppola en compagnie de cette salope, laissés en lambeaux moisis dans ce carton échoué au sol... pour se souvenir des bons moments, en les sentant. La rue ? L'appartement. Le crew ? Mouche domestique sur rebord de vitre + tégénaire en coin de mur fixant nuque située à 3 m 56. Les flingues ? Un stylo-bille mâchouillé en phase terminale + un crayon HB au dernier centimètre de survie. Les flics ? Je suis cerné, hélas je ne dois pas me rendre. Le bling-bling ? Vas-y, passe moi le morceau le plus cliché de Ludwig von, que je rappe dessus... j'en ai plus rien à foutre, tout sera accepté pour surfer sur ce vague-à-l'âme. Le hip-hop ? Une déprime de maigre. Le son ? Une lumière blanche de cagibi qui grésille, un son qui croustille en permanence comme des insectes morts. Le flow ? Rap de geek commun et quotidien, de la misère... pas la misère de la rue : la misère à quatre heures du matin, dans cette putain de salle de bains, qui est de toute façon dans la même pièce que la cuisine... Promiscuité = acuité. Désormais, chaque jour sera un lundi. Tu crèveras de penser à elle ; et tu crèveras d'eux. Car tu es l'épave d'un jeune homme. Car dans ce monde tu n'es rien. Car tu ne seras jamais un papillon.