Hamé - Casey - Zone Libre › L'Angle Mort

Zone libre, c'est le point de rencontre entre deux intellos de la tess' et un trio de vétérans du rock, un groupe all-star, bourré de grosses pointures. Face rap : Casey, canaille androgyne, et Hamé, poète urbain talentueux, sont deux racailles tout droit sorties de la fratrie Anfalsh - La Rumeur. Face rock : Cyril Bilbeaud, Marc Sens, et Serge Teyssot-Gay (ex-Noir Dés), respectivement au métronome, à la guitare "crissée", et à la guitare baryton, forment le Zone libre instrumental, celui qui fait vibrer la chair et qui a le pif tourné vers des horizons expérimentaux. Cet ensemble musical plus-punk-tu-meurs fait avec "L'Angle mort" son entrée sur le marché des invendables ; car le rock y est plus extrémiste que jamais, pas marrant même inquiétant, à la lueur du réverbère, cagoulé et encrapulé des bas-fonds... En somme pas pimpant ni funky du tout comme un Rage Against the Machine, plus proche sans doute d'un Urban Dance Squad des mauvais jours (d'ailleurs le titre "L'angle mort" reprend ici le riff de "Downer" d'UBS). Résolument live, sans retouches, voire improvisés, les morceaux sont taillés pour le peura avec quelques espaces de liberté pour les musicos, qui te lâchent à l'occase des soli comme des mollards, parsèment leurs mesures de canards, et raclent des chaînes d'acier sur leurs grattes, tandis que basses fréquences et larsens s'entretuent. Par-dessus ce bourbier rocailleux, emportés par le battement régulier des fûts, les deux rappeurs posent alternativement leur rap de fils d'immigrés, rivalisant sans surprise dans l'énonciation de textes d'une grande richesse stylistique. L'auditeur habitué est recto transbahuté au milieu des veilles reliques du colonialisme, dans la sale vie des immigrés, entre échecs scolaires, contrôle policiers, trafics et déprimes : rien de nouveau sous le soleil, du moins thématiquement. Parmi les titres les plus remarquables : "L'angle mort", éponyme duo abrasif et énervé par l'in-quiétude, "Purger ma peine", sautillant et dénonciateur des clichés sur les négros, et "Une tête à la traîne", où Casey s'illustre dans le rôle du taureau à la corrida, toujours frénétique dans l'échec. Cette dernière est d'ailleurs à mon goût un cran au-dessus de son acolyte sur la majorité des morceaux, plus présente et assurée, tandis que Hamé claudique sur certains textes un peu faiblards, comme il en est rarement l'auteur ("1/20", "ELSA"). Néanmoins, il est aussi à la hauteur de son talent, par exemple avec "Le mur", sorte de répondant à la puissance sourde du solo de Casey sur "La chanson du mort-vivant", qui est véritablement le point d'orgue du disque, en crescendo sur fond d'une riche introspection dans la vie apathique. Le ton général du disque est à l'insoumission agressive, la dénonciation des élites corrompues, la haine de l'opulence, les velléités insurrectionnelles, mais aussi à l'élévation par la culture, par l'art, la littérature, et les noms pleuvent des célébrités qui exhortent à se frayer un chemin du ghetto vers la postérité. Des racailles bouffeurs de livres, des rockeurs qui électrisent l'asphalte : voilà ce qui donne cette étrange mixture, ce mariage harmonieux, entre un rock abrasif et un rap aussi brut que raffiné. Pas planqué mais pas voyant, Zone Libre défriche son terrain en éclaireur, à la machette : le premier essai est concluant... mais attendez voir "Les contes du chaos" !