The Mystic Revelation Of Rastafari › Tales of Mozambique

Grounation – sorti deux ans avant celui-là mais enregistré probablement au long des années précédentes – était une épopée. Un morceau voulu d’Histoire : celle des migrations forcées – ça s’appelait esclavage, commerce triangulaire – de populations entières, des terres en Afrique où on les avait arrachées aux colonies européennes ; singulièrement en Jamaïque, l’île où ces descendants-ci – les tambourinaires de Count Ossie, l’ensemble de jazz (étonnamment free, aux manières rarement entendues dans le contexte) de Cedric "Im" Brooks avaient vu le jour et grandi. Propos et pièces articulés selon l’optique rasta : afro-centrisme, rapatriement en ligne de mire finale, vertus bibliques en bandoulière. Le présent disque – sorti lui en 1975, et directement sur un label et non d’abord à compte d’auteur, comme l’autre – célèbre, lui, l’indépendance fraîchement gagnée du Mozambique, libéré de l’autorité portugaise en juin de cette année là. Le discours, certes, l’intention, n’ont pas changé. L’épisode raconté, pourtant, est cette fois plus concis, plus centré. Ce n’est plus un cycle mais un événement. De plus, contemporain. Musicalement, la forme suit. Les plages sont plus resserrées, compactes – rien ici n’atteignant au quart d’heure, à la demi-heure même, comme le morceau titre du précédent ; tous les index restent là au dessous des six minutes. Et si – le disque s’ouvre sur un riff dont le début rappelle beaucoup celui du Blue Train de John Coltrane – il sera bien sur encore ici question de jazz, c’est dans d’autres genre que verse ici le groupe, à quoi il emprunte motifs, rythmes, orchestrations. Des musiques plus modernes, aussi, directement saisies dans l’air du jour – en même temps, plus proches des racines choisies, clamées. Comme cette sorte de reggae à la battue lourde, quand la mesure s’allonge, que la basse leste. Avec ce saxophone, à travers, qui clame et file gravement sa liberté en enluminures graves, incandescences couvées – avec ce tour de force, ici, d’induire la syncope particulière (le fameux contretemps) sans qu’une batterie la marque. L’Afrobeat de Fela Kuti, la Juju Music (nigériane également), le Highlife ghanéen, rôdent en ces pièces, entre elles, autours, les survole et les propulse de leurs vélocités ; elles s’emparent de leurs phrasés, qui se les approprient en retour. Le son du disque, curieusement – en dépit de son objet plus bref, aux contours moins vastes – est plus ouvert, ses azimuts multiples ; sa manière plus détendue, les gestes des musiciens comme libérés de la gravité d’avant – au sens aussi où leurs courses s’arrachent ici plus volontiers au sol, même si frapper la terre leur revient entre les danses. Tales Of Mozambique, de fait, s’il recèle également en son sein ombres et recueillement – l’état de paix, chez ces mystiques, se veut encore parfois méditations chantées en lignes étirées ; et les reflets sur le métal des armes n’est toujours pas présage que va pleuvoir le miel – s’enflamme le plus souvent d’une joie lumineuse, même illuminée ; s’emballe et s’élève en une fête emportée ; sa transe est soulèvement vif, sang qui s’accélère muscles qui se délient plutôt que de tomber en emprises tétaniques. C’est un souffle plus haleté, aux mouvements pas moins profonds – c’est une ivresse rapide et ses couleurs mêlées, tour à tour, et tranchées, montent à la tête comme un accès soudain.