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Billie Holiday › Lady Sings The Blues

cd • 15 titres • 48:50 min

  • 1Lady Sings The Blues3:44
  • 2Travelin’ Light3:08
  • 3I Must Have That Man3:04
  • 4Some Other Spring3:37
  • 5Strange Fruit3:03
  • 6No Good Man3:19
  • 7God Bless The Child3:58
  • 8Good Morning Heartache3:28
  • 9Love Me Or Leave Me2:35
  • 10Too Marvelous For Words2:12
  • 11Willow Weep For Me3:07
  • 12I Thought About You2:46
  • 13P.S. I Love You3:36
  • 14Softly2:55
  • 15Stormy Blues3:27

informations

Plages 1 à 8 enregistrées à New York, le 6 juins 1956. Plages 9 à 15 enregistrées à Los Angeles, le 3 septembre 1954.

Les titres 13 à 15 sont des bonus de l’édition CD Verve de 1990.

line up

Harry Edison (trompette sur 9-15), Billie Holiday (voix), Wynton Kelly (piano sur 1-8), Charlie Shavers (trompette sur 1-8), Tony Scott (clarinette et arrangements sur 1-8), Paul Quinichette (saxophone ténor sur 1-8), Kenny Burell (guitare sur 1-8), Aaron Bell (basse sur 1-8), Lennie McBrown (batterie sur 1-8), Willie Smith (saxophone alto sur 9-15), Bobby Tucker (piano sur 9-15), Barney Kessel (guitare sur 9-15), Red Calendar (basse sur 9-15), Chico Hamilton (batterie sur 9-15)

chronique

La Billie des années cinquante, celle de la gloire ambiguë, à quoi se mêle facilement – dans l’œil qui l’admire – le frisson trouble du voyeur devant ce qui choit. Aux détours, aux péripéties. Cette Billie – soyons clair – qui est celle de la Fin. On la trouvera, si l’on n’y prend garde, telle que la veut l’image figée, le commerce des icônes défaites, salies, brisées pour exciter les fabricants biographes. Déchue, le charme morbide, la vie engluée – alcool, cachetons, poudres, sordides amourettes laissées aux parasites violents et autres proxénètes. C’est là qu’est la Tragédienne, presque exclusive. Sa légende un peu trop simple – piéta rongée, délétère ; notre-dame-des-paumés, des camés, des cinglés d’amour, des corps macérés. Facile à croire – à lire les feuilles d’alors, les notices depuis lors, à voir ces photos d’elle, la bouche presque invariablement amère en son sourire, ses rictus ; le visage fermé, recueillement grave, pensif, le regard égaré parfois. Mais écoutons la, venons en aux deux séances réunies pour ce disque. Ce n’est pas, qui nous frappe, un art diminué. Ce n’est pas non plus – et là se trouve la part la plus étonnante – une langue morte. Car entendons nous : tout ici, à priori, était réuni pour que se produise un disque de Genre. Un exercice. La musique, le jazz où avait fleuri le talent, le génie de cette artiste – ce que les encyclopédies et autres compendiums nomment depuis lors middle jazz (quelle déprimante appellation, déjà…) – était alors un souvenir, au mieux une convenance esthétique pragmatiquement adoptée pour faire chiffrer la nostalgie. Ce jazz-ci, déjà, en son temps véritable – les années trente, le tournant des quarante – avait été contradictoire, tiraillé. Mais cette crise larvée, permanente – les musiciens cherchant à toucher à nouveau la spontanéité des heures d’avant le Swing, les grands orchestres, mais pas encore capables ou désireux des bouleversements du bop ; les commerçants, eux, cherchant de plus en plus la formule parfaite, sans risque, rationalisant, calibrant – avait au moins été vivante. Billie, au sein des orchestres d’alors, cherchait, contournait, infléchissait les matériaux pour les abstraire à leur vulgarité native, aux billevesées infantilisantes. Elle s’emparait du rythme – subtilement ou brutalement parfois, dans ses ruptures abruptes, emballements, notes tenues sur le fil ; elle modulait, modelait la mélodie, en changeait la justesse pour qu’apparaisse le mensonge de son innocence clamée. Ici, elle s’y tient – mesures et lignes de chant, inchangées. Et ceux qui l’accompagnent ne sont plus ces créateurs, agiles ou torturés ou les deux, qui perçaient l’arrangement, poussaient la fulgurance pour trancher les routines. C’est un autre travail. Et il faut avouer… Qu’il fait mouche – autrement, certes. Car c’est celui du Drame. Raffiné, cherché à l’état le plus pur qu’il se puisse. Chaque note doit sonner son poids plein, accompli. Les musiciens, là, ne jouent pas, certes, en égaux, avec la Dame. Ils servent sa voix, l’histoire qu’elle raconte. Sans fadeurs – non – mais sans vouloir pour eux-mêmes briller. Ils sont l’air où elle vibre. Et elle, ses capacités techniques possiblement entamées, pourtant, en dépit de cela peut-être – son souffle par moments semble plus court qu’avant, sur les morceaux gravés en 1954, en particulier – trouve à chaque fois une autre exactitude. Rien de trop – en fut elle même une fois capable, d’ailleurs ? – mais sans que rien fasse défaut, faiblesse de moyens, d’interprétation. Le choix même du répertoire, qui semble pensé pour pousser à la faute, aux apitoiements – ce ne sont presque exclusivement que des histoires de Malheur pour la séance de 1956 – ne la fait pas, ne les fait pas tomber dans le mièvre, les molles délectations d’un masochisme en gris vagues et passés. Il y a souffrances, bien sûr, et manques. Et les plages censément légères, mêmes – Some Other Spring, P.S. I Love you…. – vibrent ici d’un mal d’Absence, bonheur en fuite et même plus poursuivi. Mais rien ne fait atermoiement. La tension fait son office – entre ce décorum qui souligne chaque trait et cette voix sobre, articulée sans le moindre excès, consciente de la charge portée par chaque syllabe ; entre ce timbre d’une femme éprouvée par les ans, épuisée par l’étau, et cette tentation, cette douceur incandescente qui demeure, se fiche encore au fond de la chair alors que sont passés les charmes. Elle tire chacune des plages hors des lieux communs, des pantomimes compassées. Même les vieux numéros, à vrai dire, ses classiques, ne pâtissent pas en ces versions tardives, ne font pas pâle figure. Ils tranchent, parfois – qu’on compare ce God Bless The Child aux versions de la chanson posées vingt ans plus tôt sur bande : quelque chose, là, y fait saisissement parce qu’elle en sait la perte, qui autrefois planait comme un enchantement informulable. Ou bien Some Other Spring, ou I Must Have That Men. Aucune n’est prétexte, rejouée. Même Strange Fruit – ce n’est pas un mince exploit – ne perd pas une once de sa puissance d’effroi… La vie de Billie Holiday, aux instants ici captés, allait, inexorablement vers le mur, l’accident terminal – voulu fatal, peut-être, longuement mûri, intégré, accepté. Son art, pourtant, n’a là toujours rien de faible. Elle sait maintenant l'issue, oui. Qu’on ne peut plus, au bout, sursoir. Son chant pourtant n’est pas acceptation. C’est pour cela peut-être qu’il s’imprime si profond, encore, longtemps après l'éteinte.

note       Publiée le lundi 20 janvier 2014

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