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Skip James › The Complete Early Recordings

  • 1986 • Yazoo L 1072 • 1 LP 33 tours
  • 1994 • Yazoo YAZOO 2009 • 1 CD
  • 2013 • Yazoo L 1072 • 1 LP 33 tours

cd1 • 18 titres • 53:26 min

  • 1Devil Got My Woman3:02
  • 2Cypress Grove Blues3:13
  • 3Little Cow And Calf Is Gonna Die Blues2:55
  • 4Hard Time Killn’ Floor Blues2:52
  • 5Drunken Spree2:39
  • 6Cherry Ball Blues2:51
  • 7Jesus Is A Mighty Goo Leader3:02
  • 8Illinois Blues3:05
  • 9How Long « Buck »2:54
  • 104 o’Clock Blues2:52
  • 1122-20 Blues2:52
  • 12Hard Luck Child3:05
  • 13If You Haven’t Any Hay Get On Down The Road2:55
  • 14Be Ready When He Comes2:55
  • 15Yola My Blues Away3:13
  • 16I’m So Glad2:51
  • 17What Am I Gonna Do Blues3:04
  • 18Special Rider Blues3:03

informations

Les éditions de 1986 et 2013 (LP) donnent 1931 comme date d’enregistrement de ces dix huit morceaux (présentés dans un ordre différent du CD ici chroniqué). L’édition de 1994 (CD) les situe en 1930, sans plus de précision. Tout porte à croire qu’il s’agisse bien là des plages – originellement au nombre de vingt-six, en comptant les doublons – gravées par Skip James en février 1931 pour Paramount à Grafton (Wisconsin), après qu’une audition – sise à Jackson, Mississippi – ait convaincu un certain H.C. Speir, mandaté par la compagnie discographique, d’enregistrer son répertoire.

chronique

La Légende aime moins celui-là. Skip James n’est pas Robert Johnson. Pas de belle gueule canaille. Pas d’histoire de Diable à la croisée, à qui troquer son âme contre un talent tout neuf et sans pareil. Un autre genre d’ectoplasme… un réputé sale type – misogyne sans histoires égrillardes à raconter pour compenser, faire marrer, titiller la galerie ; misanthrope, simplement, brutalement ; et puis… Cette aridité. De style. De voix. Et pourtant… Mais justement. Le blues de Skip James est des plus nus. Des plus étranges, aussi. Son timbre traînant, haut perché, nettement habité, hanté, hantise. Ses narrations brèves obnubilées par la mort, souvent – mais ici donnée brute, terminale : pas histoires d’esprits, de fantômes, d’entre-deux-mondes. La nuit vide plutôt que le crépuscule. Et cet organe bizarre, au milieu, qui retentit, filet de vie incandescent, surnaturel de par sa seul présence, métaphysique parce qu’il se tient et coule, imperturbable, dans la désolation. Johnson d’ailleurs, s’en inspirera – son 32-20 Blues serait un hommage au 22-20 du présent James –, tentera même de l’imiter ; sans parvenir à le reproduire, complètement, fidèlement ; il ne sera pas le seul ; il y trouvera, ils y trouveront un style, une veine. Ce falsetto ci – là où les autres touchent au Fantastique – reste unique, poignant dans sa sécheresse, plainte obsédante, une douleur physique, presque, et contagieuse. Skip James, donc, n’aimait pas les hommes, les femmes, tous ses supposés semblables, sans doute, à quelques possibles membres de sa famille près. Il cachait ses secrets – d’écriture, de fabrication. Et son jeu, il est vrai, surprend encore, passé la première impression – et une fois encaissée l’incroyable présence de cette voix, dérangeante, presque choquante. Accords ouverts, arpèges cassés, vélocités soudaines ; inespérée fluidité, où vient se loger cette parole déchirée, y imprimer sa trace de souffrance et de ferveur. Car le sale type – l’individu – est en musique d’une foi sans faille. Un fanatique, même, ou pas loin. Rivé à son objet, obstiné. Ne laissant passer aucune imperfection. Un art verrouillé, donc, aux investigations. On n’entre pas chez Skip James. Mais lui, avec ses moyens réduits exprès, compactés, nous perce et nous provoque de sa singulière expressivité. Toutes les images de lui l’attestent : en sa présence, sa musique seule semblait vivre. Lui se tenait raide, dodelinant à peine, les yeux presque clos. Mais c’est agité, au dedans, à la source. Ces dix huit plages – probablement la seule trace (quelques doublons omis) qu’ait laissé l’homme à cette époque, avant de disparaître, puis de surgir à nouveau, au milieu des années soixante, par la grâce de jeunes gens que lui continuera jusqu’à sa mort de considérer avec mépris – le fixent à priori en pleine force de l’âge. Mais rien ne jubile, là-dedans. Sa présence est minérale. Ce qui sourd de sa stature immobile pénètre, inquiète, remue et fouille. Forme de vie qui n’est que fatalité, enfoncement continué vers l’issue. Même les quelques louanges dont il se fend – à Jésus, et qui d’autre ?! Parce qu’au fait, Skip James se soucie plus rarement que d'autres d’évoquer l’Autre en Ses Ténèbres (et c'est alors pour dire qu'il est en sa femme... encore) – rendent un écho sinistre, froidement, calmement désespéré, tracas persistant. Mêmes les plages au piano – censément des boogies – planent et plombent en même temps l’atmosphère, abaissent l’horizon… Foutue ambiance, il faut bien dire. Et il faut bien admettre, aussi – soyons honnête – que la technique, parfois, gâche un peu la magnifique rumination. Que certaines de ces chansons – toutes semblent repiquées directement depuis les 78 tours, on sait que ces supports sont souvent parvenues diversement conservés – étouffent plus que de raison sous les bruits de surfaces. Il faut s’y faire, c’est sûr. Ça confine par moments – rares tout de même – à l’inaudible. Ça gratte. Mais voici que sous le souffle de l’usure – cette prémisse au grand oubli – à travers lui, nous parvient cette fois une charge d’une incroyable vigueur, cordes qui claquent contre le bois du manche et… Proclamation de joie. I’m So Glad, nous chante-t-il. Et cette fois-ci, son flottement s’emballe, durcit et nous entraîne. Cette chanson sera, d’ailleurs, son passeport pour le jour où il reparaîtra – le groupe Cream l’ayant exhumé quelques trente ans plus tard pour en faire un tube béat d’une extatique enjouée. Mais pour l’instant, Skip James, pour les matrices et les presses, allait longuement disparaître. La Légende, aussi, fait parfois d’autres Maîtres : secrets, cachés et réfractaires.

note       Publiée le vendredi 10 janvier 2014

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    dimegoat Envoyez un message privé àdimegoat
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    Contrairement à R. Johnson, j'ai un peu du mal à tenir tout un album de Skip James. D'ailleurs en blues, à part quelques noms (les King, Muddy Waters, JLH...), j'ai tendance à m'en remettre à la compilation panoramique pilotée par Scorsese, tout à fait excellente.

    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
    avatar

    Oh, truc lu je ne sais plus trop où et pas du tout attesté par ailleurs etc., le coup des déssoudages. Peut-être même une tentative isolée d'en mettre une couche question légende sulfureuse bla bla, justement, hein. (Manque pas de témoignage sur le caractère ombrageux et misanthrope du gars, par contre, et sur le secret dont il entourait sa musique - semblerait qu'il ait toujours rechigné à montrer à qui que ce soit comment jouer ses morceaux, à faire école... Il voulait rester unique, apparemment. C'est réussi, oui, pour le coup).

    The Gloth Envoyez un message privé àThe Gloth

    Je me demande d'où viennent ces histoires de meurtre, première fois que j'entends ça sur Skip James. Un authentique créateur, qui faisait un blues très personnel dans sa composition, un style qui, à priori, n'appartient vraiment qu'à lui. Un raffinement extrême dans l'interprétation, pour une musique hypnotique qui s'écoute plutôt "religieusement" : pas trop le genre à faire danser dans les juke-joints. Un style tellement particulier qu'il n'a presque pas fait souche : Jack Owens et Jimmy "Duck" Holmes (tous deux de Bentonia), un ou deux morceaux de Robert Johnson (l'immense "Hellhound on my trail" est l'emprunt le plus évident), et c'est à peu près tout.

    Note donnée au disque :       
    Raven Envoyez un message privé àRaven
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    Howlin'wolf c'est comme pour Screamin' Jay j'ai l'impression, y a de l'orgasmique ad nauseam pour un investissement quasi nul avec les compiles à peu près récentes blindées ras la gueule de tueries (j'ai que Blues from hell, et je ressens pas le besoin de m'acheter les studios)

    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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    Ouais, avant 64/65 en gros, en général. Ceux d'après sont souvent très bien aussi, hein ! Mais du coup pas rare que ça perde en singularité, disons. (Pour Holwin' Wolf je dirais qu'un peu moins, d'ailleurs, le gars étant de toute façon difficilement réductible à l'essorage... C'te voix, celui-là aussi, déjà... Pour Muddy, m'semble que oui, par contre, ça a pas mal joué, cette histoire d'adaptation où quelques trucs sautaient facile dans l'affaire).

    (Et donc ça reste de la grosse généralité odieusement au débotté, hein, tout ça, pas de l'analyse ultra-affinée, forcément).