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Rued Langgaard (1893-1952) › Symphonie n°1 "klippepastoraler"

  • 2008 • DACAPO 6.220525 • 1 CD

cd • 5 titres • 60:30 min

  • Symphonie n°1 en si mineur- BVN 32- "klippepastoraler" (1910) | 60:30
  • 1I Braendinger og solglimt21:26
  • 2II Fjeldblomster10:38
  • 3III Sagn5:39
  • 4IV Opad fjeldet5:18
  • 5V Livsmod17:28

informations

L'intégrale de l'oeuvre symphonique de Langgaard par Dausgaard est à privilégier absolument. L'acoustique, ainsi que la virtuosité du chef et de son orchestre sont sans équivalent dans ce répertoire, par ailleurs peu visité.

line up

Danish National Symphony Orchestra; Thomas Dausgaard (direction)

chronique

  • déclaration de force

Insaisissable, terre de contrastes et de contradictions, lieu d'expériences, l'oeuvre symphonique de Rued Langgaard commence ici, en 1911, par la plus vaste et la plus ambitieuse de ses pièces. Véritable cauchemar du chroniqueur qui souhaite décrire de manière exhaustive les tenants et aboutissants, exposer de façon claire ce à quoi nous avons affaire, lister les procédés, nomenclaturer les différentes atmosphères, faire le tour, l'écriture orchestrale du danois est aussi marquante que difforme, aussi reconnaissable que polymorphe; la densité de certaines pages est telle qu'elles en deviennent véritablement indescriptibles. Je m'apprête donc à livrer cinq chroniques que je sais d'avance laborieuses, aux termes redondants, à la syntaxe alambiquée. Car on trouvera de tout dans les seize symphonies que composera Langgaard au long de sa vie; des pastiches, des partitions chorales, des pièces vouées aux ténèbres, et d'autres plus légères, voire d'un optimisme outré. Certaines sont des fleuves et d'autres des ruisseaux... à peine plus de 6 minutes pour la onzième, 7 pour la suivante. Pour cette première, le danois veut impressionner et s'atèle au format océanique, une heure dense et agitée, sous l'emprise des puissances les plus sombres. Cette "pastorale des rochers" est sans doute la plus outrageusement romantique, dans ses thèmes gonflés de pathos, ses emportements langoureux et ses viennoiseries convaincues. En ouverture, le plus vaste mouvement, le plus exclamatif aussi. Des climax d'une force tétanisante, une déferlante grandiose, une intensité si soutenue qu'elle confine à la cruauté, une déclaration terriblement organique et vivante : "Braendinger og solglimt", ce sont 21 minutes de montées en puissance, de flux et de reflux, de vagues immenses du sommet desquelles jaillissent des cuivres de larmes, affectés et cinglants; 21 minutes de domination sonore et harmonique, trouées d'accalmies au mélodisme parfois maniéré, qui s'ouvrent comme des clairières salvatrices dans une forêt de tourments aux proportions gigantesques. Le compositeur n'a que 17 ans lorsqu'il compose ce monstre symphonique, on y assiste pourtant à un déploiement technique hors du commun. Les plans se multiplient, se croisent, se dédoublent et se chevauchent; les montées rapides des cordes basses se mêlent aux tremblements célestes des violons; les mélodies hautement dramatiques et suggestives, d'un romantisme exacerbé, se voient transpercées de déflagrations acoustiques éprouvantes, dans un maelstrom philharmonique d'une densité, d'une richesse et d'une maestria proprement subjugantes. Explosif, flamboyant, le déroulement insensé de son premier mouvement procède d'une science de la tempête orchestrale particulièrement vicieuse. Si "Fjeldblomster" est un terrain plus uniformément calme, il entretient néanmoins une inquiétude douloureuse, un malaise et une tension issus d'une mélancolie permanente, que peignent des mélodies précieuses, un peu empruntées, chantées par des clarinettes et des hautbois crépusculaires, hantées par les vibrations spectrales de cordes; des mélodies dont l'élégance typiquement classique ne déforce en rien le pouvoir de tristesse. Malgré ces tournures viennoises et fin de siècle, "Fjeldblomster" est bien un lieu d'allégeance au scandinavisme pictural, celui des paysages, des éclats de givre, celui des petits matins et des lacs endormis, mais un scandinavisme version Langgaard, parcouru de parfums fanées, habité d'émotions étranges et d'inconfort larvé; une longue errance dans laquelle passent des fantômes, des souvenirs élégants qui se lancent dans les flots d'une valse, avant de laisser la place à la nature solitaire. Langgaard ne fait rien comme les autres : de salles de bal en prairies mornes, l'oblique, l'indécision, l'incertitude dominent. Tout sauf bancale, cette fluctuation constante entre musique de salon et visions aurorales maintient l'auditeur dans un état d'attention contemplative, une sorte de fébrilité confortable comme seuls les illuminés de cette trempe peuvent en tisser... c'est à dire presque personne. "Sagn" commence dans une solennité funèbre, une plainte lente et retenue et qui va peu à peu se tendre, à mesure que les clarinettes et les cordes mèleront leur chant, se densifier, jusqu'à atteindre un haut degré d'incandescence ténébreuse, pour retomber à nouveau dans un silence presque total, où serpentent hautbois graves et cors mortuaires, voués eux aussi, finalement, à disparaître tout à fait. "Livsmod" aurait du prendre la suite, mais "Opad fjeldet", première manifestation regrettable du "syndrome Langgaard", vient disperser le propos. Un accroc, une boulette, qui se perd heureusement dans la démesure de l'oeuvre. "Klippepastoraler", la "pastorale des rochers" : "Livsmod" est un retour aux éléments déchaînés, le récit des montagnes infranchissables, des légendes terrifiantes, des hommes vus minuscules face aux roches et au ciel, aux orages et aux dieux. Toujours riche et virtuose, l'orchestration est néanmoins plus contenue que lors du voyage "Braendinger", plus axée sur la masse des cordes, les cuivres servant plus fréquemment de renfort, de consolidation acoustique destinée à alourdir un discours mélodique déjà pesant. L'ensemble en est sans doute moins spectaculaire et saisissant, mais la puissance dégagée lors des poussées orchestrales n'en est que plus intense. "Braendinger" nous promenait de cyclones en accalmies dans une logique d'alternance lisible; "Livsmod", lui, prépare, annonce, gonfle, puis semble s'en retourner, avant de nous revenir en pleine poitrine, assénant des coups de poings, retombant à nouveau dans l'inquiétude silencieuse pour mieux nous laminer de ses retour de flammes et de ses apothéoses; apothéoses savamment annoncées par des harmonies noires et lourdes, et dont l'impact est ainsi dédoublé de la peur qui les précède. Pour nous balader ainsi comme de simples coquilles de noix sur le plus terrible des océans, pour nous réduire au rang de feuille emportée par le vent dans une forêt-monstre qui en compte des millions, Langgaard se fait démiurge, malgré ses dix sept ans; c'est, encore une fois, la multiplication des textures et des mélodies fatales, la succession dans l'espace et le temps d'ouvertures de pupitres, comme une gigantesque créature qui déploierait ses trop nombreuses ailes les unes après les autres, chaque fois plus enveloppantes, plus vastes et effrayantes. Le danois, précisons le, reste profondément tonal. Pas de dissonance, pas de véritable inconfort harmonique, sinon celui issu de son acharnement aux ténèbres et au "toujours plus". On assiste, lors de ces déferlantes, à un véritable spectacle, celui de dizaines de voiles épais qui se convulsent les uns derrière les autres, et dont s'échappent des mélodies démentes et hystériques; le premier plan est saturé de cuivres tragiques, derrière ce sont des cascades de violons, des stridences de flûtes et de bois, autant de discours distincts aussi indépendants que parfaitement conjugués, et dont l'accumulation occupe l'intégralité du champ des possibles : ce qu'il peut nous arriver d'apercevoir au loin, dans les failles ténues qui naissent de ces mouvements incessants, est encore et toujours musique, sons, Langgaard est partout, l'orchestre est partout. La moindre petite éclaircie, étoile de harpe, nuages de cordes qui se dissipent l'espace d'un court instant sur un ciel diaphane, prend des allures d'éveil post apocalyptique, sitôt alourdi à nouveau de menaces, d'obscurité, sitôt ré-englouti par l'océan orchestral aux multiples dimensions. Certes, le jeune homme est dans la démonstration; certes, "opad fjeldet" ne sert en rien le propos dramatique et ne semble là que pour affirmer que Langgaard sait tout faire; certes, l'émotion manifestement recherchée au travers de ce romantisme "wertherien" est ici quelque peu éreintée par une soif de pouvoir, à laquelle seul "Fjeldblomster" arrive à échapper. Mais c'est bel et bien la précision, la maîtrise, et donc in fine la finesse, qui rend cette symphonie absolument renversante. Précision dans sa construction complexe, maîtrise d'un orchestre aux très vastes proportions et possibilités, finesse nécessaire à la gestion de ces innombrables évènements qui se superposent autant qu'ils se succèdent... car tout cela est dense, complexe, mais aussi parfaitement, et étonnamment lisible. Langgaard était habité, hanté par la musique. Son histoire personnelle et son caractère irascible le mèneront vers une oeuvre étrange, plurielle et finalement schizophrène, plus de 400 oeuvres de toutes sortes, de toutes formes. Du romantisme tempétueux à la maîtrise des lueurs, du scandinavisme assumé à la volonté d'universalité, de la violence comme objectif à la science comme moyen, la symphonie n°1 de Rued Langgaard est l'oeuvre d'un jeune homme dévoré par la passion et l'envie... un presque enfant, mais qui s'affirme, déjà, comme un monstre de musique.

note       Publiée le jeudi 2 janvier 2014

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    Arno Envoyez un message privé àArno

    Je paierais cher pour entendre cette symphonie en live. (Mais il paraît que ça coûte cher à monter... Bois par 4... 4 trombones... 8 cors... ?)... Plutôt que de jouer et rejouer les symphonies de Bruckner et Mahler, il faudrait que les orchestres aient les couilles de programmer ça. C'est tout aussi hénaurme et spectaculaire, mais ça a la fougue et l'inconscience de l'adolescence en plus. C'est harmoniquement plus frais. Le premier mouvement est en quelque sorte l'apogée du romantisme. Et son thème principal est inoubliable.