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Robillard et les Endimanchés › Tuer La Misère

  • 2009 • Opaque ADD002 • 1 CD digipack

cd • 15 titres • 49:37 min

  • 1Einheitsfront4:14
  • 2Hafen3:40
  • 3Montée Aux Alpages2:59
  • 4Sputnik1:54
  • 5Und Ich Werde Nicht Mehr Sehen...3:50
  • 6Le Renard Dans La Forêt D’Orléans3:41
  • 7Der Wolf Spricht3:27
  • 8Dans La Soute4:20
  • 9Stehen…5:19
  • 10Petit Bal4:06
  • 11Fadensonnen1:22
  • 12Mein Stern4:03
  • 13Psalm3:13
  • 14Sputnik1:56
  • 15Ich Bin Gewappnet1:23

informations

Enregistré en novembre et décembre 2008. Prise de son, mixage : Antonin Rayon/Toni Beam.

Boîtier digipack et livret de douze pages illustrés par des dessins d'André Robillard.

line up

André Robillard (voix, instruments, percussions), Antonin Rayon (instruments, arrangements), Alexis Forestier (musiques originales, instruments, voix), Charlotte Ranson (voix)

chronique

Tuer la misère c’est une question d’artisanat, toujours. Pragmatique, à portée de main – moyens et proportions. Forcément hors cadre, aussi, parce que l’usage dépasse l’immédiate évidence, obscurément. Parce que l’esthétique fait une forme ou l’autre sans que la théorie s'en mêle, sans forcément appeler ainsi la prémisse – mais jamais gratuitement, pourtant. Ce n’est peut-être même pas, tout à fait, une histoire d’imagination – parce que le geste, l’intuition, la court-circuitent parfois. Ça se tient dans une dimension proche, jamais vraiment connue ; mentalité du bricoleur qui est mentalité magique : parce qu’elle procède par analogie, opposition, figuration qui est réponse, alerte, appel. Les blocs sculptés à l’entrée de la clairière se dévoileront en gueules de loups, en museaux effilés de goupil – pas pour l’agrément, ni même pour faire peur. Pour prévenir et accueillir, seulement : parce que le lieu est habité par ces canidés là, qu’ils y passent, y chassent, y gîtent. L’arme porte figure de ce qu’elle veut abattre, conjure et vise : nourriture et danger. La cuillère est une bête et c’est une bouche que le mangeur porte à la sienne. Les débris de l’industrie, de la consommation – disparates, inassortis, obsolescences calculées mais asynchrones – sont assemblés en fusils mitrailleurs, en spoutniks ; années, provenances, modèles répertoriés ; suspendus là pour frapper l’entendement. Pour tuer la misère.

André Robillard – pensionnaire d’institut psychiatrique avant d’en devenir homme à tout faire – fabrique des "machins d’œuvre" . C’est lui qui le dit ainsi. Jean Dubuffet, lui, appelait ça de l’art brut. Il en faisait des collections. Et Robillard se retrouve exposé – à demeure – à Lausanne. Alexis Forestier, l’Endimanché, avec ses compagnies variables et fidèles (salut à lui, salut à eux), écrit, met en scène des spectacles. Puise aux grands textes graves, ceux de l’Europe du milieu au temps des crises cruciales, ceux des temps dits de Renaissance où se jouait la perte, aux lumières nouvelles, d’un monde ancien et de ses dimensions palpables. Met en regard, en parallèle – littéralement, à cour et à jardin – la Divine Comédie de Dante Alighieri et la Forêt de Kafka (la quête et les chauds refuges, les plaies semblables permettant qu’au milieu ils se frôlent, sur fond de musique de squats ancienne). Ailleurs, boîte à rythme mixées fort et accords appuyés sur les cordes mi et la, avec d’autres encore, il chante Woyzec – la pièce inachevée d’un certain Georg Büchner, inspiration aussi d’Alban Berg (pour Wozzeck) ou de Werner Herzog. Une autre fois encore ce seront Cummings ou Faust.

Tuer La Misère fut d’abord un spectacle, créé à quatre à la Fonderie, au Mans. Alexis Forestier y chantait. Charlotte Ranson de même. Antonin Rayon y tenait d’autres instruments. André Robillard y frappait la percussion de ses incroyables mains larges et noueuses ; y jouait du soufflet – accordéon de campagne – avec une semblable force obstinée, imperturbable, matérielle et détachée ; y racontait, parlait, s’y tenait debout en survêtement. J’ai vu de cette curieuse pièce une version où ils n’étaient que deux, Alexis et André – à la Ferme du Bonheur, à Nanterre, quelques temps plus tard (salut à eux, salut à lui Roger Des Prés, aussi). Rien n’y manquait, pourtant. Ils y devisaient du Paris-Roubaix, de virées imaginaires et d’autres excursions ; l’un montait dans les alpages – c’est à dire dans les cintres qui, là, étaient des poutres, pendant que l’autre yodlait. On y chantait ; en allemand, beaucoup, encore.

Tuer La Misère – le disque – est autre chose qu’une simple bande son. Ce qui n’y est pas – la Chanson de la Barbe (Dubuffet, encore) ; les trébuchement en échasses qui font chorégraphie, ballet, les cadres de vélos qui rouillent – ne se fait pas sentir comme absence, comme manque. Le recueil – poèmes, textes étranges, voix merveilleusement proches, à portée de pas, de bras étendus – nous attire dans son espace, nous tient autour du feu sous le jeu de ses poutrelles, de ses toiles et de ses chaumes. Dans sa lumière mouvante passent les poètes hermétiques (Paul Celan, dont le Stehen… ne rend rien en infinitésimale précision, en abstraction symbolique insaisissable, à la Fleur de Stéphane Mallarmé, par exemple), les dramaturges à la cassure du siècle – l’entre deux guerre, triomphe et crise du nouveau monde industriel (Brecht, une fois de plus)… mêlent leurs voix à celles d'un peintre habité (Paul Klee) ou du "fou" Karl Brendel, lui aussi interné – c’était pour sa part en 1912 – et lui aussi sculpteur, révélateur d’étranges figures animistes et christiques, expressives et sans identité comme sont les archétypes. Les textes se mélangent ; se répondent et s’emboîtent, s’articulent, reflètent et obscurcissent leurs pertinences et leurs désarrois mutuels, communs. La beauté nous inquiète des énumérations superbes et techniques où se fait plus opaque tout ce qu’on ne sait pas, ce qu’on ne parvient pas à nommer. La question, tous la posent – aigüe, douloureuse, vitale. De la Misère et du moyen de la dépasser. Condition universelle, seule fraternité d’avec les animaux ; qui nous sépare, en même temps, nous distingue, croit-on, parce que seuls on l'énonce – et le loup de montrer aux chiens l’homme qui, gisant, ne saurait être dieu. Le verbe la cerne, la détoure, veut la défaire – efforts infinis, dérisoires, inhumains.

Et la musique, aussi, se fait essentielle, folklore inventé dans la nécessité de l’instant et de l’enceinte. Tambour, accordéon, disais-je ; accords électriques, encore ; cor à plein poumon ; diction urgente ou alentie ; rappels et échos de ce qui se chantait jadis aux recoins et bâtisse abandonnées des villes, et qu’on nommait Alternative. Robillard la réitère, l’apostrophe, la grande incertitude, l’incertaine propitiatoire : dans un sabir pseudo-russe, dans un grand rire solide déguisé en solennelle annonce.

Difficile de vous dire à quel point ce disque est simple et travaillé, matière résistante et mécaniques sensibles. Comme sa douceur dénude jusqu’à leur cœur nos inquiétudes de mortels vulnérables et vigoureux. Combien sa rudesse – son grain oxyde, échardes, pierre et mortier – est amicale à nos touchers, nos paumes qui tâtonnent et s’emparent en gestes fermes. Tuer la Misère – en chair comme en disque – n’a rien du patronage, de l’alibi d’Artistes qui tendraient au Simple une main condescendante pour se faire une pureté. Cette rencontre n’est pas prétexte. N’est pas l’hypocrite conclusion qu’au fond, nous sommes tous pareils, que la culture nous rend enfin à cette égalité. C’est à une mesure autre que l'on se voit semblables. L’hostile – ou mieux, l’indifférente – nature ; la ville, les édifices aux surfaces dures ; le monde habitable, ces conditions et éléments qui, en même temps, sont ceux qui seuls font qu’on puisse y subsister. C’est bien peu, en regard, un disque. Ce n’est pas rien que celui-ci ne soit pas futile. Son titre en dit la tâche, simple et démesurée ; la modestie de son ton, de sa dimension, fait qu’un tel énoncé n’est pas affectation, vanité, dérisoire ; le tour bien singulier, la force de sa facture font que pour son objet il est invention, tentative, assemblage adéquats.

note       Publiée le samedi 16 novembre 2013

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    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo  Dioneo est en ligne !
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    Réécoute de mi-saison, un jour un peu particulier ici, dans une maison qui sent la maison, qui n'est pas les appart' d'une pièce habités plus tôt... Je monte la note sous la chro d'une boule, tiens (pour qu'elle soit la même que je lui collas par devers moi).

    Message édité le 17-03-2023 à 11:20 par dioneo

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    Klarinetthor Envoyez un message privé àKlarinetthor

    Robillard et Forestier en concert au Sonic protest avec Nihilist Spasm Band et Anla Courtis vs Turbulences. le 18 mars, et le reste ici: http://www.sonicprotest.com/

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    Klarinetthor Envoyez un message privé àKlarinetthor

    Un veteran decoré; j'avais raté ca : http://www.artbrut.ch/fr/21035/287/...

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    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo  Dioneo est en ligne !
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    Ben pour le coup oui, s'ils en ont encore c'est bien et n'hésitez vraiment pas, ceux que ça intrigue. Pocrast', en particulier (et puisque tu t'exprimes), si les extraits te plaisent, il est très probable que le disque en entier te cause bien. Et les dessins sont bien chouettes, oui ; ils collent assez miraculeusement avec l'ensemble du propos, aussi, aux sources disparates ("les animaux de la campagne clôture", Der Wolf Spricht, le goupil sylvestre...).

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    Klarinetthor Envoyez un message privé àKlarinetthor

    Ah ouais, ils en ont encore, c'est bien. Vraiment, ça vaut la peine, d'avoir les dessins. Meme si ça n'est pas le meme que visiter son atelier, j'imagine

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