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The Art Ensemble Of Chicago › Bap-Tizum

cd • 7 titres • 38:33 min

  • 1Introduction By John Sinclair0:35
  • 2Nfamoudou-Boudougou4:18
  • 3Immm5:20
  • 4Unanka11:23
  • 5Oouffnoon3:35
  • 6Ohnedaruth14:56
  • 7Owalla5:00

informations

Enregistré par Jimmy Douglass au Ann Arbor Blues And Jazz Festival, à l’Otis Spann Memorial Field, Ann Arbor, Michigan, le 9 septembre 1972. Mixé par Jimmy Douglass aux studios Atlantic Recordings, New York.

line up

Lester Bowie (trompette, flugelhorn, kelp horn, grosse caisse, percussion, voix etc.), Malachi Favors (basse, basse électrique, gong, log drums (percussion en bois), sifflements, voix, etc.), Joseph Jarman (sopranino, saxophones soprano, alto, ténor et basse, flûte alto, congas, vibraphone, percussion, voix, etc.), Roscoe Mitchell (saxophones soprano, alto, ténor et basse, clarinette, batterie, percussion, voix, etc.), Don Moye (batterie, congas, marimba basse, gongs, log drums (percussion en bois), sifflements, percussion, etc.)

chronique

L’Art Ensemble et l’Afrique. Ce fut depuis le début une affaire compliquée. Ou mieux : une question ambigüe. Certains, depuis quelques années, une décennie et plus – nous parlons là d’un disque sorti en 1972 – avaient décidé d’embrasser, de célébrer le Continent, proclamé Terre Mère. Max Roach, par exemple ; sur We Insist, entre autres, en 1960, où le batteur invitait Olatunji – percussionniste nigérian ponctuellement relocalisé – à se joindre au groupe en deuxième partie de disque, sur des morceaux aux titres on ne pouvait plus francs : All Africa, Tears For Johannesburg. Coltrane, aussi, qui en 1966 confiait à un autre frappeur la narration, le pouls de son Kulu Sé Mama – hommage tout aussi évident, poussé une étape plus loin, pourtant, dans le passage des héritages : car l’officiant en question, un certain Juno Lewis, était cette fois un Américain, un étudiant lui-même des techniques et pensées, des peuples et des empires, des lignées d’avant le Cauchemar Nouveau Monde… Et d’autres, maintenant – Pharoah Sanders, par exemple, avec African Unity particulièrement, enregistré l’année d’avant que se donne le présent concert – reprenaient précisément les choses où Coltrane les avait laissées. Certains, même, proclamant la soudure d’ores et déjà refaite – sans dissonance, en quelque sorte par dessus ces quatre siècles de négations, de séparation violente, de déracinements entretenus, d’assimilations tronquées, parallèles, tordues, d’enfoncements et de forteresses. Mais là c’est autre chose. Il y a ironie, souvent, déplacements, renversements de repères. Conscience qui se façonne en comédies grinçantes – qui pousse parfois jusqu’au mordant sarcasme : parce que quitte à en rire, autant que ce soit par là où ça fait mal… Parce que bien sur il y a ça, aussi : l’Art Ensemble et le Drame, la mise en scène, le théâtre. L’incarnation. Le Rite sur quoi ils entretiennent le doute : les leurs faisaient-ils œuvre savante ? Charades, métaphore libre ? Cherchaient-ils le sublime ou bien le dérisoire ? Parvenaient-ils, au fond, à toucher l’un ou l’autre ? Ou l’un et l’autre, encore, les embrassant du même geste ? On a souvent mal compris, je crois, la démarche du groupe, à ce propos. Soupçonné leurs attirails – boubous, peintures faciales, parades et colifichets, accès déclamatoires – de vouloir faire béquille, voile jeté sur la musique pour en cacher la supposée pauvreté, un approximatif mal assumé. Lester Bangs, notamment – qui n’a pas toujours dit que des conneries mais ne s’est jamais privé, le cas échéant, d’y aller à gros sabots – reprochait à ceux-là des cris et gesticulations qui, selon lui, gâchaient la musique, la faisait passer au rang d’accessoire pris dans le lot. De vouloir amuser son monde, au détriment de l’Art – justement – d’un vrai discours, d’une forme accomplie, travaillée. Fausse route, à mon avis. L’Art Ensemble, en concert, au moins à l’époque – comme ici au festival d’Ann Arbor, événement qui plus est voulu comme politique, protestataire, puisqu’organisé par John Sinclair du White Panther Party, le même qui trois ans plus tôt avait customisé le MC5 en Fraction Armée Freak – a toujours été, délibérément, une affaire de confrontation. De crise jetée sur la scène, plantée pleine face et en multicanaux. Parce que l’histoire de l’Amérique était en crise. Parce que le jazz était en crise. Parce que l’histoire des Noirs en Amérique – depuis le commencement, depuis l’époque même où, l’abolition de l’esclavage proclamée, ces Américains là auraient du disposer d’eux mêmes comme tous les autres – était histoire de crise, de dénis, déchirement. Parce que l’histoire des Noirs qui – en Amérique et à ce moment précis – jouaient du jazz ne pouvait pas faire l’économie de cette cinglante lucidité, de cette violence au goût établi, mesuré, à la culture d’agrément. L’afro centrisme supposé de l’Art Ensemble diffère de tous les autres – celui de Sanders disais-je, et de pas mal de ceux qui à la même époque trouvaient asile sur cette même scène, dont bon nombre enregistraient de même chez Impulse!, queue de comète coltranienne, donc, en quelque sorte, même si pas seulement, bien sur. Celui des premiers hymnes construits, plus tôt, sur la flambée renouvelée des Études Noires – LeRoi Jones et d’autres jeunes auteurs fouillant les racines, généalogiques, poétiques, ressortant de l’oubli de plus anciens, comme le fameux W.E.B. DuBois, qui le repasseraient aux Black Panthers. La différence, donc, est que l’Art Ensemble, lorsque tous clamaient "Afrique" répondaient aussi "Absence". Manque. Inventions dans les trous laissés aux points des arrachements. Très peu, hormis ceux-là, l’ont fait – avant, pendant, après – à l’exception notable de Sun Ra et de l’Arkestra, premiers sans doute à s’être présentés au public vêtus de costumes de Sauvages fantaisistes, parés de verroteries moqueuses. Sauf que l’Art Ensemble – ici pas plus qu’ailleurs – n’ajoute, lui, aucune dimension, aucune allégorie cosmique. Ou plus précisément : les cosmogonies, les légendes qu’il raconte ou qu’il braille recèlent toujours, au fond même de leurs magnificences, cet aiguillon cuisant, ce doute à la pointe affilée qui fouille et qui stimule : qu’on ne puisse jamais être sur de ce qu’ils citent ou de ce qu’ils sortent dans l’instant du néant, de l’inspiration ; qu’on ne puisse jamais savoir quelle est la part de mystification. C’est encore plus vif, en concert. C’est moins subtile – par nécessité – que sur les disques en studio. Ça tourne presque, parfois, à l’agression. Le public veut du blues ? Les soufflants lâchent leurs instruments, se mettent à vociférer des plaintes aiguës, à geindre en exaspération discordantes, perçantes, irritantes. Il réclame de l’Afrique, du Vaudou, de la Possession ? L’un des musicien vient se coller au micro, balance du verbe cru, de l’apparent sans-queue-ni-tête qui amalgame les bribes d’un créole inconnu, d’un dialecte Tarzan, des lambeaux de français qui pourraient être de l’Aimé Césaire ou du tract mai soixante huit ou bien une quelconque feuille ronéotypée, anonyme, un bout de science fiction, de vague Anticipation. La foule acclame cet hilare fracas, demande encore plus de ce free aux entournures démises ? Les musiciens, dans l’instant, s’agencent en lente fanfare, enflent les voix des cuivres en harmonies élevées flottantes, graves. L’Art Ensemble et la Great Black Music. Dans cette histoire, à cet instant, sur ce champs déployé, le groupe est plus que jamais faction contrariante, imprévisible, juxtaposant beauté plastique et substrats corrosifs. Permutants dans ses traits – par progressions et par brisures – fêtes, assauts, défis… Aveux de perplexité, communions et défiances. Ce concert – à leur manière la plus brute, nous livre encore ce message : que toute naissance, toute délivrance, est source aussi de tumulte et douleur. Qu’en de mauvaises mains, elle peut n’être que ça. Qu’à s’exposer soudain au jour il faut envisager entre d’autres possibles celui de l’éblouissement. Il nous y manque, peut-être, l’immersion, les remous de couleurs et le ballet des corps déjetés. La vibration demeure qui grave son impact.

note       Publiée le dimanche 1 septembre 2013

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