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The Art Ensemble Of Chicago › Les Stances à Sophie

cd • 8 titres • 36:23 min

  • 1Thème De Yoyo9:00
  • 2Thème De Céline3:00
  • 3Variations Sur Un Thème De Monteverdi (I)2:55
  • 4Variations Sur Un Thème De Monteverdi (II)1:40
  • 5Proverbes (I)2:38
  • 6Thème De L’Amour Universel3:45
  • 7Thème « Libre »9:00
  • 8Proverbes (II)1:25

extraits audio

informations

Enregistré à Paris, aux studios Pathé, le 22 juillet 1970.

L’édition CD digipack EMI de 2002, parue dans la collection Americans Swinging In Paris, regroupe Les Stances à Sophie et l’album People In Sorrow (1969) sur un seul disque. Cette version présente des différences de séquençage avec les autres éditions. Les Variations Sur Un Thème De Monteverdi, en effet – ici annoncées au nombre de trois – y sont montée d'un seul tenant. Les Proverbes – également titrés I, II, III – y sont de même fondus en un unique index, qui prend place avant le Thème « Libre » (celui-ci venant donc conclure cette version de l’album, à quoi font suite les deux parties de People In Sorrow).

line up

Fontella Bass (piano, chant), Lester Bowie (trompette, flugelhorn, percussion), Malachi Favors (basse, percussion), Joseph Jarman (saxophones alto et soprano, flûte, basson, hautbois, percussion), Roscoe Mitchell (saxophones alto et soprano, flûte, percussion), Don Moye (batterie, percussion)

chronique

Quelle ouverture ! Quelle puissance ! Quelle souplesse dans ce rythme, ce groove en pulsation serrée, intense, incitation, ode plastique aux corps déliés, déchainé, à l’amour en flammes. Quelle liberté miraculeuse, quelle périlleuse maîtrise – ce thème de cuivres dont la fanfare s’égaille en éclats coupants en fin de strophe, se rassemble et se propulse encore sans que se soit rompu le flot au bout de la brisée ! Et puis quelle voix. Fontella Bass, ici, est très proche, en timbre, en force, d’une Abbey Lincoln en ses heures de plus grande véhémence. Mais une Abbey Lincoln, alors, d’une autre génération. Une d’après, qui, enjambant les cris de souffrance, les tourments, voudrait balancer tout de suite la colère brute, débondée. Celle qui affirme, délivre, livre tous ses motifs sans vouloir, sans pouvoir les contraindre. Une générations pour qui blues et gospel seraient comme les revers du Cri à quoi ce jour la pousse, par quoi elle veut le fendre – nécessités, certes, mais parce qu’il faut les retourner, surtout, en exposer l’envers pour les désaliéner. L’Art Ensemble, ici, travaille dans l’urgence. Au moment où Moshé Mizrahie – réalisateur du film dont les morceaux réunis sur ce disque constituent la bande originale – passe commande au groupe, il reste deux semaines, seulement, avant qu’expirent les visas des musiciens, pour le moment encore en résidence à Paris. Le batteur Don Moye, par ailleurs – se joignant au groupe quelques mois auparavant, le soudant en quintet – a ouvert aux quatre autres, en prenant à son compte le cœur central du rythme, un champ où déployer leurs multitudes de timbres et de lignes, de lignées, un espace nouveau où porter leurs questions franches et leurs motifs tronqués ; articuler furie, humour de braise ; imprimer les griffures et nuances subtiles, faire passer les éclats et reflets furtifs. Toutes conditions – l’épouse de Lester Bowie, donc, venant de plus, illuminer de son organe impérieux deux des compositions, voiler sous un piano l’une d’elle – qui font que ces morceaux, tous, frappent à ce point notre entendement, nos sens. Nous saisissent par leurs proportions audacieuses, où nulle matière absolument ne fait surplus, inutile ; par leur générosité, pourtant, de textures, de syncopes ; la richesse des échappées, les équilibres acrobates. La variété des formes choisies, adoptées, transformées, aussi, nous ravit par surprise. L’élégance des traits, lorsque l’ensemble s’empare des Thèmes de Monteverdi, les phrasent à leur métabolisme, les tournent au souffle de l’instant même ; de là, tracent et font convoler, se disjoindre, retourner aux unissons et contrepoints leurs improvisations toutes en nuances vives et ombres fraîches, hors de toute contrition, de toute stérile révérence. L’étonnant pouvoir d’évocation du Thème De L’Amour Universel avec ses orientalismes – flûtes et hautbois aux mélismes et frottements harmoniques presque berbères, presque soufis de Joujouka, ses percussions nord africaines. Qui pour cette fois, par ces moyens – ce n’est pas toujours le cas, loin s’en faut, avec ceux-là ! – n’usent pas de l’ambigu sarcasme, pas plus que d’une frontale, d’une brutale théâtralité. L’art perçant du Drame, pourtant, plus tard – dans les "Proverbes" – gravité de la voix, débit vibrant mais presque contenu, justesse sidérante dans l’énoncé des émotions multiples : concis, lucide, pourtant ouvert. L’expressivité percutante, rieuse, curieusement sereine, du Thème "Libre" – qui sur les éditions reprenant le séquençage du disque d’époque vient se loger entre les deux parties des "Proverbes" : joie de défaire toutes attaches, repères basculés par jeu, débordements vers le haut, par les flancs, dans toutes les directions et toutes les dimensions… J’ignore, à vrai dire, si le film – qui semble vouloir parler d’amour libre, de libération sexuelle, de liberté tout court – fait mouche, dans ces visées. J’en douterais même quelque peu, sur la foi des quelques images qu’il m’a été donné d’en voir. Peu importe, au fond. Car au delà du probable prétexte attrapé au vol par le groupe, c’est un instant rare que gardent ces bandes. Un moment où l’Ensemble – mesurant, réalisant ses forces ; ses regards en embrassant pour la première fois peut-être les vastes horizons fraichement dévoilés – se déploie en essais, en tentatives qui toutes s’accomplissent en pièces cohérentes, autonomes, brillantes et profondes, aux allures de vif argent; aux creux qui retiennent. C’est un instant unique. Qui n’est la fin de rien. Qu’on ne peut pas figer en étape, en signe, en sédiment, en marque sur l’échelle. Qui jette ses étincelles, pourtant, sur les jours à venir.

note       Publiée le samedi 31 août 2013

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    Tallis Envoyez un message privé àTallis

    Et merde... :o(

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    Klarinetthor Envoyez un message privé àKlarinetthor
    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
    avatar

    Tiens... Il semble que ce thème ait pas mal inspiré les jazzeux-électro de tous poils, décidément...

    Cera Envoyez un message privé àCera

    Ton com' me donne envie de le ressortir. toi, et le fait d'avoir entendu le WE dernier en concert sur Marseille une reprise du 1er titre par...Etienne Jaumet ! version techno-house

    Coltranophile Envoyez un message privé àColtranophile

    Un bail que je ne me l'étais envoyé. Peut-être parce que c'est celui qui fait le plus "porte d'accès idéal", même si quelques passages viennent choper l'auditeur par le colbac. Pas pour autant superficiel. Loin de là. Elégants dans la facilité déconcertante avec laquelle ils concertent ou se concertent. J'aurais fait mon jeu de mots foireux. Je vous laisse.

    Note donnée au disque :