La Rumeur › Regain de Tension

Couvre-feu. Boxe mentale. Mollard à l'azote liquide. Meeting de Kemi Seba à 2h du mat'. Coup de boule au ralenti. Capuches et briquets dans la nuit. Voilà pour les saveurs de ce La Rumeur... Plus concis, plus net, plus austère. Plus frigidaire. Plus cristallin - plus racaille aussi. L'habillage a perdu sa chair, son bois, il n'est désormais qu'un édifice sinistre, genre pylône électrique, zébré de quelques tags malsains peints à l'arrache. Des beats cliniques, cheaps, mous... Mais des flows qui sont encore plus monocordes, tendus, frontaux. Regain de Tension est à l'image de la capitale vue par La Rumeur, et du climat social dans notre pays des années 2000. Blasé, morne, rancunier, faisant se confondre les insultes politiques avec les menaces de mort, le racisme ambiant avec la tentation génocide. Le hip-hop parisien a son point d'équilibre limite entre analyse sociale paranoïaque et manigances littéraires toujours mal dégrossies. La Rumeur ne pratique ni la rime ludique ni le second degré, ni le featuring de pointures ou l'egotrip pour l'egotrip, préférant l'impact des pensées, des visions, et sa marotte : vomir sur la France de Sarkozy. Mais contrairement au commun du rappeur français "antisystème", le vomi de La Rumeur est structuré avec application, limite géométrique : les grumeaux sont des grenades, plus ou moins dangereuses, le fluide est tellement acide qu'il ronge le bitume. La bile : voilà à quoi carbure La Rumeur, ce qu'elle crache quasiment non-stop. Une bile épaisse et froide. Sur les politiques, la maréchaussée, le franchouillard, les radios spécialisées, les vendus du business - qui d'autre ? Un album plus impactueux, malgré le bancal de certaines frappes ou les sonorités un peu seconde main de certaines prods de Soul G (les synthés font bien synth pop d'Europe de l'Est par moments, mais c'est aussi le charme très spécial de cet album). Ekoué cultive toujours ce charisme torve et un peu cliché, et Hamé la poésie urbaine déprimée et amère, signant quelques-un de ses verses les plus insidieux ("Inscrivez Greffier", presque maléfique ce feeling), Philippe et Mourad sont toujours de sérieux sidekicks capables d'égaler les leaders en force verbale, sans jamais chercher à poser la punchline - pas le style de la maison. Passée la phase d'accoutumance à ce pamphlet électroïde mazouté, zébré par quelques tranches de beats bien putassiers ("P.O.R.C.", ce qui joue en sa faveur pour le coup car ce titre est pas du genre léger et à pincettes), la vraie tronche de cet album apparaît : celle d'une version chimiothérapeutique de L'Ombre sur la Mesure, moins poétique, moins organique, mais plus glauque. La force de La Rumeur sur ce disque, c'est d'avoir choisi l'invective, plus brute, plus limpide. Manichéenne et à couper au couteau mais qu'importe : la grande majorité des meilleurs groupes US estampillés "conscient" sont moins subtils que La Rumeur. Quand le style tombe à plat ça donne "A Nous le Bruit", mais quand La Rumeur est à son plus pur et glacé, on reçoit des ogives pleine tête : "Ils nous aiment comme le Feu", constellé de sifflements et d'échos mortifères, ou la genèse de leur collab' avec Serge Teyssot-Gay (de la viendra peut-être plus tard l'album de Zone Libre avec Casey) sur "Paris Nous Nourrit, Paris Nous Affame". Fielleux, morose, Regain de Tension a le parfum de la vengeance à froid, de la tension sourde, de la suffocation sociale, de la haine aussi : car ces MC's on le sait trop bien, n'ont pas beaucoup d'affection pour leur pays ou les français se revendiquant de souche... et ils le disent avec des mots alignés comme des lames sur une table. Un rap qui ressemble à la nuit, à un entrepôt vide, aux flows qui le hantent, tendus comme des cordes de pendus.