Talk Talk › It's My Life

Quelle honte, tout de même, de ne pas avoir l'élégance de savoir louanger la lumière pure et monacale de Spirit of Eden et Laughing Stock, sans piétiner le passé new wave de Talk Talk, comme s'il s'agissait d'un passé un peu trop sirupeux. D'un passé honteux. La surproduction - relative - à l'oeuvre sur It's My Life ne les avait pas étouffés, non : il avaient su en jouer, et même la transcender. Pour sûr, il est plus classe en société de mélomanes sérieux de deviser de l'épure lumineuse, du compte-goutte humble et patient des deux sus-cités, que de savourer les grâces mélodiques de ce jouet populaire trop intelligent aux synthétiseurs exacerbés, je n'en doute point. Ma note pour It's My Life est d'ailleurs un simple quatre, simple comme le sourire benêt de Mark Hollis - sourire pas si simple... note pas si simple que 'moyen-bien'. N'était le doublé "The Last Time" - "Call In The Night Boy", plus faibles que le reste (même si la première est émaillée de passages magnétiques), c'était cinq. Mon quatre est comme le quatre que j'aurais laissé à Peter Gabriel pour So, si vous préférez. Un quatre mesuré compte tenu de l'aspect "variété" relativement prononcé, mais récompensant des climax émotionnels d'une trop rare intensité. Mais mon quatre n'est aussi simple "quatre" que pour faire lien avec le "cinq" dicté par le cœur que mon collègue Sheer-Khan a donné il y a quatre (oui, quatre !) ans, dans une lucidité magnifique, à The Colour Of Spring... Sheer-Khan, ton cœur a parlé, et il est beau, et il vibre comme le mien à la soul adulescente si singulière de Mark Hollis, ce petit bout de bonhomme boudeur-magique-tête-à-claques-gracieux, quelque part entre le flegme british un peu empoté typique, et les envolées lyriques puissantes de Simple Minds. Quelle honte, en revanche, serait-ce de ne pas accepter les larmes de la mélancolie, quand elles sont si pures qu'ici. Et des épures, tiens, n'y en a-t-il pas ici, déjà ? Ecoutez donc "Tomorrow Started", flirtant délicatement avec des sonorités cold wave troubles, s'arrêtant, pour reprendre quelques secondes son souffle et resurgir, plus vibrante encore. Quelle maîtrise des silences, déjà... Et quelle honte, de ne pas savoir différencier ce geignard pur lin signé Mark Hollis, des roucoulades futures d'homosexuels stylisés et sophistiqués... et c'est un jeune homme franc amateur des Pet Shop Boys qui vous le dit. Les arrangements de It's My Life, ces bruits bizarres de jungle synthétique, ces barrissements d'éléphants en plastique, ces blips-blips bizarroïdes dignes de la synth pop créativo-abstraite de Yello... au-delà des deux tubes aveuglants, et malgré le manque relatif de tenue de l'ensemble comparé au premier album (cela fait assez "compilation") il faut retenir "Dum Dum Girl", la déchirante "Renée" (faire une chanson aussi subtile et touchante pour un prénom aussi moche, j'appelle ça être grand), "Tomorrow Started" (encore), morceaux précieux, tout en clair obscur, Hollis et sa bande semblant contrôler les mélodies larmoyantes comme le passage de nuages lourds dans un ciel printanier... la juste mesure de l'émotion, déjà. Notons aussi "Does Caroline Know?", doucereusement étrange et langoureuse, sur du velours... S'il faut réapprendre la beauté du fuchsia, et les nuances dans le rose, à certains tristes moines musicologues, pour parvenir à apprécier ces petites merveilles, j'espère que cette modeste chronique y aidera... Y a pas que le blanc dans la vie. Le blanc, c'est aussi un peu ennuyeux, non ? C'est pour ça qu'il y a des points, sur un dé. C'est aussi pour ça qu'on fait des gribouillis sur les feuilles propres avec des crayolas quand on est petit, ou qu'on soulève les robes des mariées quand on est grand. Quelle honte, décidément, de ne plus oser regarder cet enfant, petit ou grand.