Cranes › Loved

'Aimé'...Oui, c'est exactement ça...Aimer n'est pas si difficile, aimer n'est pas si pur, mais être aimé, c'est autre chose...Il en faut du chemin pour se laisser aimer, pour accepter de baisser le bouclier, se mettre un peu un nu, accepter au lieu de donner, prendre des risques... Voilà qui demande beaucoup d'humilité. Les Cranes en sont à ce stade de leur histoire et de leur discographie où le mot' loved' peut prendre une vraie signification. Il a fallu en exorciser des démons pour y parvenir, de la noirceur organique des débuts en explorant toutes les nuances de gris qui allaient en découler logiquement mais on sent une certaine paix dans leur musique devenue plus fluide, plus pop presque même si elle ne se départit jamais d'une forme d'inquiétude...En effet, 'Loved' n'est pas un album joyeux, il est même plutôt triste, avec quelques touches grinçantes, âpres, dans les guitares parfois ('Pale blue sky', 'Lilies') mais je ne puis m'empêcher d'y ressentir un début de plénitude...On s'y sent moins tendu, moins abandonné, on en arrive même à croire que l'espoir n'est plus si loin, même si le groupe refuse de lâcher si facilement le noir...Chaque chanson tranquille est presque automatiquement contrebalancée par une autre plus agressive. On m'objectera même avec raison que nos Anglais paraissent renouer avec le son d'antan puisque le piano a disparu et que les musiciens privilégient l'électricité râpeuse. Vrai. Mais impossible de nier cette impression de chemin parcouru, de possibilité de lumière...Quand la voix de petite fille de Alison nous tire des larmes sur le bouleversant 'Are you gone ?', on a envie de la serrer dans nos bras, de lui murmurer que tout ça est bientôt fini, qu'il faut juste tenir bon un instant encore mais que le plus dur est fait. Quand on prête attention aux rythmiques post punk de 'Loved', 'Shining road', on a envie de relever la tête, d'avancer droit dans ses chaussures parce que cette fois, c'est sûr, tout va s'arranger... J'ai débattu à plus d'une reprise à propos de ce ressenti et bien des gens ne partagent pas mon avis. Je n'en démords pas, la tristesse de ce merveilleux disque laisse affleurer par ses fissures des flots de lumière, une lumière franche, qui n'a plus rien de blafard, qui ne s'assume pas encore mais qui veut exister et de cette tension entre le noir et le blanc, entre une forme de cold wave 80's et des sonorités en phase avec les années 90 naissantes, naît une collection de titres qui a donné l'un des meilleurs albums des Cranes. Indispensable.