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Ghost (Jap) › Tune In, Turn On, Free Tibet
informations
Enregistré à Tokyo en 1998 par Kohei Amano
Ce disque est sorti le 20 Avril 99, le même jour que Snuffbox Immanence (sur Drag City également), qui semble ne pas lui être lié par un quelconque concept, autre que celui d’être apaisé, et pourvu d’arrangements fabuleux.
line up
Masaki Batoh (guitare acoustique, batterie, chant, orgue de barbarie), Setsuko Furuya (bass drum, timpani, vibraphone), Michio Kurihara (guitare électrique), Kazuo Ogino (flûte, tambura, piano, synthétiseur analogique, kaval), Hiromichi Sakamoto (violoncelle, violoncelle électrique)
Musiciens additionnels : Sawa Ishizuka (voix sur la 7 et la 8) , Liaison Office Of His Holiness The Dalai Lama (autre, cooperation)
chronique
- ballades du toit du monde
Ça partait pas forcément bien. Un double hommage, avant d’avoir entendu la moindre "chanson". Le titre du disque, tout d’abord, détournant le Tune In, Turn On, Drop Out de Timothy Leary, slogan inventé par le gourou du LSD pour inviter ses ouailles à se désolidariser de la société et à tripper sans entrave. Puis cette intro, baptisée We Insist, allusion au combat des afro-américains, qui n’a en fait à voir avec le précédent slogan que par son rattachement au mythe des 60’s libres et téméraires. Inquiétude de courte durée : dès Comin’ Home, toutes ces considérations sont loin derrière nous ; on est téléporté, sans transition, dans la peau du voyageur esseulé, apercevant sa ville aux toits luisants sous le soleil, après avoir franchi les cols de l’Himalaya… On suit ses pas dans les rues familières de sa ville, tandis qu’un tambour résonne au loin (ou est-ce un coup de fusil ?). On entend ses soupirs nostalgiques, alors qu’il peut enfin se délester de son harnachement… Et enfin, on le sent trembler alors qu’il arrive au pied du grand temple, quand les chœurs immémoriaux de ses ancêtres semblent soudain le toiser sévèrement depuis leurs tours battues par le vent glacial… Tout cela, Ghost le raconte avec la minutie d’un auteur de BD, passant d’une bulle à l’autre avec la précision du miniaturiste comme lors d’un travelling imperceptible. C’est d’ailleurs tout le génie de cet album : nous transporter sans en avoir l’air, nous rendre aussi impalpable que les sons qu’il héberge. Comment est-on pénétré dans le lieu saint, mystère, mais nous voilà à présent bercé par les arpèges de Way to Shelkar, contrastant avec la rudesse montagnarde qui nous avait accueilli dans l’album… La lumière aveuglante du dehors est ici distillée par un miroir, en un rayon limpide. Le titre, sublime, dévoile ses richesses par strates, façon lotus. Pétales après pétales, on découvre le chant, humble et recueilli, de Batoh, puis le mellotron, et enfin la guitare, qui vient ponctuer cette atmosphère cristalline par un véritable haïku sonore : quelques notes déposées en offrande, rien de plus. Courte pause… Et c’est comme si une nouvelle chanson démarrait, dans une transition divine. Ce n’est que la dernière partie du titre, où vient poindre un violoncelle reclus dans son effort de méditation. Il y a tant de magie ici que tout auditeur attentif ne pourra ensuite plus que se laisser transporter par le flot du disque, qui continue à nous bercer comme si tout était naturel. Il a fallu plusieurs écoutes pour bien être certain qu’au milieu de ce voyage, j’avais bien entendu une reprise de Pearls Before Swine. D’Images of April, chanson déjà chargée en mysticisme énigmatique, Ghost n’a gardé que le texte. Le poème de Tom Rapp est ici simplement chuchoté à notre oreille par Masaki Batoh, comme un mantra secret transmis à travers les ages. La transmission, n’est ce pas précisément ce qu’évoque l’intro de la chanson, à la fois mignonne et profonde ? Si le mellotron continue ensuite à couler paisiblement au détour des ruelles de la ville sainte (Lhasa,Lhasa), ce n’est plus pour en être saisi par la mélancolie. Notre voyageur a pris le temps de regagner ses pénates, et le matin suivant son arrivée, il sort humer l’air de sa terre chérie… Cette fois, son chant est extatique, pastoral. C’est comme si rien n’avait bougé. C’est comme si, à vrai dire, rien de terrible n’était jamais venu perturber ces hauteurs. Ghost, en tournant son miroir longuement poli, plus pur qu’un diamant, vers le folk des 60’s anglo-saxonnes qu’il n’a pas connu, s’est-il senti pousser des ailes au point de croire retrouver le souvenir d’un Tibet d’avant l’invasion Chinoise ? La joie des retrouvailles passée, la ballade suivante, Remember, s’épanche dans une sérénité encore plus profonde… On est invité à s’arrêter, à regarder autour de nous, à sentir comme un printemps vibrer sous le manteau neigeux. Sur tous leurs albums, sans exception, Ghost a pris les chemins de Katmandou depuis l’autre opposé du globe. Mais jamais ils n’avaient réussi à rendre leur art aussi évident, aussi lumineux. Là où nombre de leurs disques ont leurs moments d’opacité, de ruguosité, sur celui-ci tout n’est qu’épiphanie. Il y a tellement d’âme dans ces élégies qu’on ne peut pas les mettre en doute une seconde. Et quand Batoh lance un mantra hippie de plus au refrain de Change The World, où de grands flashs extatiques viennent percer la ritournelle aux flutiaux très traditionnels ; on y croit. C’est le seul instant du disque où la nature électrique du groupe ressurgit… La dernière piste, qui prend les 2 faces d’un 33t entier pour l’édition vinyle, porte le titre de l’album. C’est un quasi-instrumental évolutif et organique, le pendant nocturne et onirique des vignettes claires du reste de l’album. Finies les guitares folk, on est en terra incognita pour une demi-heure, d’abord porté longuement par les vagues des synthés analogiques, toujours dans la fluidité zen du disque… Batoh, avant de se retirer, nous a ouvert les portes de ce qui semble bien être un trip au LSD pour les oreilles. La montée, lente et fabuleuse, tournoie autour de nous dans une nuée de couleurs vives. Ensuite, on ne sait pas trop. Il y a une cérémonie rituelle, mais on ne sait si on est en son centre ou si on l’observe depuis un nid d’aigle. Les remugles Noise qui occupent tout le dernier tiers du morceau pourraient être les stigmates de la redescente. Mais ici, à l’image de ce slogan détourné, on optera pour une autre interprétation : la violence faite au peuple Tibétain, et la terreur imposée par les Chinois. Exprimée avec des sons, plutôt qu’avec des mots... Symptomatique de ce conflit, ignoré des puissants. Ghost aura passé tout le disque à éviter l’écueil des protest-songs et à chanter les louanges d’un Tibet forcément rêvé et idéalisé, pour mieux nous amener - de la façon la plus imperceptible qui soit - vers du protest-noise ! Les slogans qui ouvrent et ferment le disque sont oblitérés par un effet sur la voix, image parfaite de cette colère passée sous silence. Pour tout cela, Ghost n’a pas cherché à faire pareil ou même mieux que les grandes œuvres des années 60. En un sens, il en a transcendé l’héritage, puisque sa musique est intemporelle. Si entre tous les infatigables revivalistes que compte l’archipel, seuls eux ont connu une exposition internationale significative, cela ne doit rien au hasard. Un des tout meilleurs groupes psychédéliques modernes, ici dans son œuvre la plus apaisée.
Dans le même esprit, dariev stands vous recommande...



chronique
La voix sature, comme des bribes de messages d'une radio clandestine captée dans une cave, un abris caché – comme un trip qui vous saisit, vous déferle aux sens. Ensuite reviennent le folk, le banjo, les grappes d'arpèges égrainées sur le vibraphone et les marimbas. Les parties de guitare parfaites et non-polies de Michiho Kurihara. Une sorte de chœur lyrique et terre-à-terre, aussi – qu'on est au vrai pas sûr d'avoir déjà ouï comme ça, chez eux.
Turn On, Tune In, Free Tibet, sorti le même jour que Snuffbox Immanence, déploie une même variété, multiplicité de matières et de manières. Le son est plus cru, plus rêche, l'approche semble plus directe – mais sous cette apparence plus brute, les détails sont tout aussi sentis, le trait tout aussi fin, chaque chose aussi adéquatement (et librement) placée, tout s'articule d'une même complexe évidence. Sept plages durant, on pourrait croire que l'un et l'autre disques sont en fait les deux volumes d'un même album – réparti comme ça pour plus de légèreté, pour ne rien surcharger. Ce sont deux disques qui font une sorte de période – de phase du groupe, dans un parcours où, par ailleurs et de toute façon, on ne les rencontrera jamais tout à fait à la même place.
...
Mais de plage : il y en a huit, là. Et ce dernier titre – l'éponyme – vous attrape et vous ravit, ou vous recrache, si ces choses là ne sont pas à votre goût ! L'un ou l'autre : vous dépose ailleurs. À Rebours, on se rend compte que tout, avant cet index – couplets élégiaques ou flottaisons sur les entrelacs de steel-guitar – nous avait amenés là. Tout nous préparait. Rien ne permettait, pourtant, de venir voir – alors même qu'ailleurs, on avait entrevu jusqu'où ces gens pouvaient pousser (Temple Stone... Rappelez-vous ?).
Turn On... donc – le morceau – c'est autre chose, encore. Du total lâcher-prise et de l'intuition exacte, spontanée/savante. Une longue coulée, et des fragments. Des résurgences et de la prescience. L'éther et le matériau brut qui nous sont balancés en vrac et façonnés. De la poésie freak tantrique, beat et totalement d'ici, où ça joue, à Tokyo peu avant l'an 2000. Peut-être qu'on peut, peut-être qu'on peut ne pas y entendre une espèce de retour des choses, de cheminement inverse à ce qui s'était joué bien plus tôt – d'une culture où le taoïsme, les conceptions shintoïstes, certaines écoles bouddhiques avaient fait substrat vers une contre-culture d'antan (anglo-saxonne ou américaine, diversement européenne, vers le milieu des années soixante, puis autrement ensuite) qui s'était un temps emparé de « tout ça » comme d'illuminations diversement comprises... Peut-être, aussi, qu'on peut se passer de cette hypothèse, théorie – de ce possible biais, cliché d'interprétation ? Peut-être... Sûrement.
Voilà : cette demie-heure et plus. Elle monte, s'étend, gagne tout l'espace. Y fait des trous d'air et des reliefs concrets. Elle gagne tout l'entendement, affine et trouble les secteurs de la perception – un à un ou tous ensemble, par grappe, change les connexions. La voix s'évapore et glisse, s'immisce et file en trait lumineux, véloce, léger, intense. Tout se reflète et tout est palpable. Tout devrait saturer. Tout est précisément... Sensible. Et cette pochette brillante, métallique, n'est pas reproductible – on ne peut, sur cet écran, l'afficher sans que sa lumière se perde.
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- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
Oui, Ghost généralement c'est très "reviens y", ça gagne vraiment sur la longeur (des années, pour ce qui me concerne), à peu près tout au long de la disco. (Faut que je finisse de chro ça d'ailleurs, dont le seul que je trouve un peu moins passionnant).
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- Tallis › Envoyez un message privé àTallis
Comme un fort goût de reviens-y, pour apprécier le contraste entre les 2 moitiés d'album... "Change the world", lumineuse et sublime !
- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
Ah oui, pour ça... Comme dit ailleurs, Ghost sont des manieurs de temps hors du commun - une science de son écoulement et de ses stases vraiment exceptionnelle, chez eux. Même sur les rares trucs, à mon sens, où ça tourne un peu à vide. (En fait juste sur un album - et encore, plutôt en regard du reste que "dans l'absolu").
- Note donnée au disque :
- Tallis › Envoyez un message privé àTallis
Ah, ça, le voyage est un peu "accidenté", c'est sûr. Mais j'avoue n'avoir pas vu le temps passer sur cette grosse demi-heure (qui ne masque d'ailleurs pas le reste de l'album, tout aussi excellent).
- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
À nos oreilles habituées (pour beaucoup) à bien "pire", oui. À celles de ma belle-mère ou de mon voisin (qui pense que "Creed tu dois aimer, non, c'est du rock ? "), par exemple... Beaucoup moins sûr !
- Note donnée au disque :