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Richard Youngs › Advent
- 1990 • No Fan Records NFR01 • 1 LP 33 tours
- 1997 • Table of the elements Nb41 • 1 CD
- 2004 • Jagjaguwar JAG62 • 1 CD
- 2006 • Jagjaguwar JAG62 • 1 CD
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Membre | Note | Date |
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Dioneo | samedi 23 décembre 2023 - 18:24 | |
sergent_BUCK | mardi 8 décembre 2020 - 00:37 |
cd • 3 titres • 41:03 min
- 1Part I11:10
- 2Part II11:08
- 3Part III18:45
informations
Guitares électriques enregistrées à Harpenden (Angleterre) le 14 décembre 1988. Piano enregistré à Londres le 15 décembre 1988. Hautbois et voix enregistrés à Harpenden le 16 décembre 1988. Mixé à Harpenden le 24 décembre 1988 par Richard Youngs.
L'extrait mis en écoute est une version raccourcie de la Partie I d'Advent. Sur le disque, le piano continue, seul, cinq minutes et plus durant, après que la voix se soit tue. « Most sounds by Richard Youngs »
line up
Richard Youngs (piano, voix, hautbois, guitares électriques)
chronique
- petit carême
Qu’est ce qui peut naître à ce point là de l’hiver ? Qu’est-ce qui cherchait à prendre forme ? À prendre vie à ce moment là dans l’existence de ce jeune type ? À prendre la tangente ?
À la mi-décembre 1988, Richard Youngs, Écossais d’origine, étudiant les mathématiques à Nottingham et par ailleurs musicien amateur au sens le moins public du terme – comprendre qu’il n’a pour le moment rien publié, sans doute jamais donné la moindre performance au delà d’un cercle d’intimes – saute dans le train à destination d'Harpenden, où se trouve la maison de son père, pour y passer les derniers jours de l’année. Sans autre idée, dira-t-il plus tard que de "fuir l’éducation", "l’oppression de la Théorie des Groupes". En quelques jours, il y enregistre Advent. Trois pièces, trois variations dont lui-même ne sait que penser, à la réécoute. Qui l’intriguent, le retiennent, pourtant, le questionnent comme rien de ce qu’il avait pu tenter jusque là, poser sur d’autres bandes. Suivant ce même élan, il réalise ensuite plusieurs mixages de cette "composition", à l'attention d'amis, les dupliquant sur des cassettes pour en faire des cadeaux personnalisés – à chaque destinataire un exemplaire vraiment unique, d'autres détails, d'autres reliefs. La veille de noël, il couche – toujours sur cassette – une ultime version de l'assemblage, à son usage personnel…
Mais laissons un instant cette histoire en suspens. Penchons nous sur ces bandes. Tendons l’oreille – le son, il fallait s'y attendre, est des plus… domestiques – exposons-nous à ces pièces, à ce qu’elles auraient à dire au-delà de l'anecdote, de leur généalogie… À dire vrai, on comprend bien l’étonnement du jeune homme d’alors ; son saisissement devant son œuvre, l’acte rendu, le geste qu’il venait d’accomplir. Et puis le doute, tout autant, sur la qualité de la chose, la nature même de sa substance.
Dès les premières secondes un motif de piano – extrêmement simple, minimaliste, même : une note basse de la main gauche, un accord de la main droite, en réponse, répétés sur un tempo de valse fixe, absolument invariable - dont on comprend tout de suite qu'il sera joué tel quel jusqu'au bout (à peine modulé peut-être, une, deux fois, au long des onze minutes). Deux notes obsédées d’elles-mêmes. La voix, en ouverture, lance un semblant de piste, de sibyllins indices. Sur le sens de la fuite, l’urgent besoin qui s’était saisi de Youngs – de décrocher d’une routine, peut-être ; d’une charge de travail, d’un domaine d’étude sentis soudain comme un fardeau, un poids étranger ; de cette lancée rigide où s’apprêtaient à se caler ses jours, sa carrière, cet âge adulte sur le point d’advenir – sous peine de se figer, de tomber à l’écart : de sa propre estime, de motifs propres qu’ils restaient à cerner, à saisir. Quelques mots de cette poésie allusive mais toute vibrante qui sera toujours celle de Youngs – images brutes, symbolisme sur le fil du littéral, périodes faites pour la déclamation des ballades, des épopées populaires, pour les chants voyageurs autours des feux d'une nuit. Introspection béante. Et ce timbre si particulier du type, déjà – habité, incandescent jusqu’à éblouir – qui prendra toute sa dimension dans celle de ses œuvres à venir où il se fera barde, aède d’un genre bien singulier. Des effets – sommaires, comme on peut s’y attendre vues les conditions techniques – répercutent les mots, les noient un peu dans leur échos.
Et sur la plage suivante – sur ce même motif obnubilé du piano, une légère variation de vitesse en altérant à peine le défilement et la hauteur – c’est un hautbois qui vient rayer l’espace mate, monotone, géométrique du piano. Plusieurs lignes qui le griffent, s’entrecroisent, s’emmêlent sans vraiment dessiner une mélodie. Sans aucun doute, ça n’est pas comme ça qu’on est censé prendre la chose. C’est ainsi, en revanche, que l’on joue certains folklores, certains appels de panique ou de louanges, de malheurs ou de grand départ. De l’anche double maltraitée, ce sont les échos de certaines cornemuses, des musettes de tous lieux – celles des Celtes, celles des montagnes et déserts d’un certain Orient, d’un certain nord de l’Afrique… – qui sont lancés vers nous. Intonations troublantes parce que toutes proches du cri humain, qui l’abstraient de tout Dire pour en garder les pointes, la qualité d’interpellation, d'abjuration véhémente.
À l’index final – la plus longue des trois parties (et valse mécanique toujours...) – ce sont des paquets de fréquences pêles-mêles, des nappes électriques en plein délitement, en débordements, écoulements, éboulis et percées. Des couches de guitares empilées, intriquées, tectonique imprévisible. Éprouvant : ce dernier morceau ; le disque tout entier. Difficile de tenir la longueur de l’écoute. Presque impossible de s’en démettre, les quarante et une minutes lancées. Parce que ce son presque indigent peut bien – légitimement – rebuter l’oreille ; la crudité de la forme, la nudité des lignes effrayer le goût, l’entendement ; il n’empêche que s’y loge une manière de magnétisme. L’intensité en monte, à mesure, sur ces plages au socle statique. La densité. Ce qui s’y livre nous arrête, nous apostrophe – comme une question fondamentale, impossible, qui prend corps en sursaut, se dessine nette devant nous. Cette inquiétude, cette onde nerveuse qu’exsudent les trois pièces – qui se fait aura, halo, fracas – induit à mesure un curieux état de méditation, de détachement toujours en alerte. Elle pointe en nous les places où peuvent se loger, d’où veulent jaillir les impulsions, l’amorce des mouvements…
Un an durant, le jeune Richard – musicien toujours amateur – réécoute cette cassette, cette version dernière destinée à lui seul. Toujours sans la comprendre. Il y revient sans cesse – zone latente, énigme souvent remise, jamais élucidée. L’idée lui vient – impérieuse comme toute nécessité – qu’il lui faut en faire un disque. Tel quel, sans rien changer, sans tenter d’en améliorer le confort d’écoute. Il adjoint une pochette rudimentaire – trois lignes et le titre tracés à la main, quelques indications imprimées – invente ce nom pas si absurde, tout compte fait pragmatique – No Fan Records – pour signer l’édition, marquer le compte d’auteur, puis fait presser trois cent vinyles sans se soucier d'un circuit où il pourrait les écouler.
Ce n’est pas là la fin de l’histoire. Mais le début, plutôt, d’une curieuse carrière. Youngs, depuis lors et jusqu’à ce jour, a sorti quantité de disques, sans discontinuer. Des œuvres de toutes formes, écrites, improvisées – longs poèmes chantés sur des arpèges de guitare classique, pièces concrètes jouées sur des meubles et ustensiles pour un temps libérés de leur usage habituel… Collaboré avec d’innombrables autres – des amis inconnus presque de toutes scènes, d’étranges célébrités et de bizarres légendes (Jandek, l’isolationniste texan ; Makoto Kawabata d’Acid Mothers Temple…). Un catalogue d’improbables articles – dont l’ingéniosité, l’insolite pertinence surprend parfois – qui semble ne vouloir jamais se clore, s’achever. Les mathématiques ont perdu un soldat, un cerveau, un organisme passé ailleurs, derrière leurs lignes... Les contours d’Advent – ses arrêtes – n’ont rien perdu de leur netteté, de leur dureté rétive. Les surfaces qui s’y tendent ne rendent pas une résonance moins sourde. Les courants qui l’irisent, le strient, ne sont pas plus stables qu’au premier instant. Sa matière – encore – avale et trébuche l’attention qui voudrait s’y poser ou seulement l’effleurer.
note Publiée le jeudi 6 décembre 2012
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Ça fait donc trente-cinq ans, presque jour pour jour, que Youngs a mis la toute dernière main à ce qu'on entend ici (à ce mix particulier des trois plages)... Il nous reste ce soir et demain si on veut l'écouter dans la période de l'année que dit son titre, et où il a été conçu. (On peut aussi le ressortir à n'importe quelle autre saison hein, sinon... Vue la nature de la chose, de toute façon, le oui ou non souvent tout-l'un-ou-l'autre que ça entraîne ne dépend pas tant que ça du temps qu'il fait dehors).
Message édité le 23-12-2023 à 17:50 par dioneo
- Note donnée au disque :
- sergent_BUCK › Envoyez un message privé àsergent_BUCK
Tiens, aucun commentaire, aucune note sur cette chronique en 8 ans ? pas si étonnant finalement, étant donné la nature confidentielle, introvertie et intimiste de la musique proposée... Moi j'aime ce disque, le son cru, l'ambiance moitié contemplative / moitié asile psychiatrique qui s'en dégage en fait un très bon exutoire à pensées incongrues
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