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Jun Togawa › 玉姫様 (Tamahime-Sama)

  • 1984 • Yen YLR-28014 • 1 LP 33 tours
  • 2006 • Sony music MHCL 712 • 1 CD digipack

cd • 9 titres • 29:08 min

  • 1怒濤の恋愛 (Doto no Renai)01:46
  • 2諦念プシガンガ (Teinen Pushiganga)03:59 [reprise de MANUEL ACOSTA VILLAFANE]
  • 3昆虫軍 (Konchugun)03:12 [reprise de Halmens]
  • 4憂悶の戯画 (Yuumon no Ginga)02:53 [reprise de Franz Wüllner]
  • 5隣の印度人 (Tonari no Indojin)02:21
  • 6玉姫様 (Tamahime-Sama)04:17
  • 7森の人々 (Mori no Hitobito)03:13
  • 8踊れない (Odorenai)02:45 [reprise de 8 1/2]
  • 9蛹化の女 (Mushi no Onna)05:31 [reprise du canon de Johann Pachelbel]

informations

Enregistré au Studio “A”, LDK Studio, Onkio Haus et chez Takao Igae du 12 Août au 15 Septembre 1983. Produit par Jun Togawa & Yoshifumi Iio - Ingés-son : Akitsugu Doi, Shinji Miyoshi

artwork par Beans et Tsuguya Inoue - photo par Sachiko Kuru

line up

Jun Togawa (chant), Takao Igae (compositions, arrangements), Toshirô Sensui (batterie et arrangements sur Odorenai), Yoshihiro Kunimoto (arrangements sur la 4, 6 et 9), Yoshio Tashikawa (arrangements), Yutaka Fukuoka (arrangements), Kenzô Saeki (paroles sur la 7)

Musiciens additionnels : Haruomi Hosono (composition et choeurs sur la 6)

chronique

Le premier contact avec Jun Togawa, c'est une voix lointaine, floutée, perdue derrière un accordéon de synthèse ondulant comme une flaque sous une pluie fine. Une complainte d'un timbre non identifiable, qui ne prépare à ce qui va suivre qu'en sa qualité de rester insaisissable. Jun Togawa, chanteuse, actrice, suicidaire à l'occasion (moins velléitaire que sa soeur qui elle, ne se ratera pas), émergeant de la scène post-punk japonaise de la fin des années 70, encore ado mais déjà vocaliste au sein du groupe Halmens, puis formant la moitié du duo rétro-cabaret d'avant-garde Guernica avec Kôji Ueno. Une fille étrange dont la seule grosse visibilité populaire viendra avec une publicité désolante pour une marque de cabinet de toilette. Alors que le business des "idols" s'installe dans l'industrie du divertissement Nippon, avec ses représentations stéréotypées de sexe féminin à la fois infantiles et hyper sexuées, voilà-t'y-pas que débarque cet album solo de ce qui aurait pu être un autre clone, un autre numéro, un autre avatar de cette usine de production à grande échelle de popstars éphémères multi-média (les idoles étant, tout comme Jun, de la chair à chanson, feuilletons télé, films pas chers et, au cas où ça tourne mal, porno voire défenestration). Sauf que non. Jun est un cheval de Troie, un joli brin de fille déguisée un peu grotesquement en idol pour glisser dans la pop musique une subversion non calculée, sincèrement schizophrénique et en porte à faux avec les valeurs véhiculées avec la société d'alors. La bulle économique, connais pas. Déjà, Jun Togawa change de territoire à chaque morceau, déplace son point de vue comme elle change sa voix, qu'elle module à l'envi, de la gamine malicieuse à la punk beuglante en passant par des éclats au vibrato digne d'une interprète d'enka (la chanson populaire traditionnelle japonaise d'après-guerre). Tout comme l'identité vocale, la musique saute d'un genre à l'autre, à peine débarqué de cette complainte aqueuse liminale que l'auditeur se trouve propulsé au coeur des montagnes andines, scène de cérémonie sacrificielle Inca au son de tambours tribaux, c'est sur la mélodie d'El Borrachito, folk Argentin de Manuel Acosta Villafane que Jun Togawa envoûte la foule médusée au pied des temples. Et si les choeurs, foncièrement japonais eux, évoquent quelque chose d'un peu malsain, ce n'est pas qu'une vague impression, dévorée par son chagrin d'amour elle déclame "Je commence à rôtir, je ne suis rien d'autre qu'un morceau de viande". Le corps et ses altérations, grande obsession de Togawa qui passe parfois le temps à se travailler un peu elle-même avec des objets tranchants, elle aime à le métamorphoser en insecte, son autre grande passion. Le goût des larves, des trucs qui se meuvent dans la terre, des bestioles un peu dégueux, elle en fait son lit, elle se rêve en chrysalide, voilà comment elle pétrit ses ballades sentimentales, "Je suis une femme insecte" qu'elle pose sur non moins que le Canon de Pachelbel, plus à un outrage près (elle-même n'en a pas fini avec lui). Du baroque, de la musique de chambre, pourquoi pas, et allez que je te cite un bout de l'Opus 26 de Franz Wüllner, compositeur romantique Allemand du 19eme au milieu d'une comptine totalement flippante semblant sortie d'un giallo de science-fiction spatial, la fausse candeur du chant renvoyant aux heures les plus traumatisantes de nos cauchemars enfantins. Reprenant au passage un morceau d'Halmens et un de son spin-off 8 1/2, Jun les passe à la moulinette d'une électro-pop aux relents punkoïdes, parodiant parfois monstrueusement le tout venant de l'idol-music. Vous ai-je dit qu'elle kiffait particulièrement les insectes ? Dans "Konchugun" elle se fait hideuse créature à antennes rampant dans les rues de Tokyo, tel un de ces méchant de kaijû, les films de monstres à la Godzilla. Toujours dans le genre techno-pop mutante, "Odorenai", son beat métallique répétitif, le chant de petite fille sur le chemin de l'école à la limite de verser dans le grognement punk, sa mélodie qui emprunte la voie des glorieuses fifties, et Jun faisant des siennes au refrain qui se heurte sur un bégaiement aux accélérations incontrôlées. Le fabuleux "Tonari no Indojin", écrit et composé par Kenzo Saeki et Tagao Higae, deux anciens d'Halmens encore, invite à une excursion exotique et absurde chez ses voisins les Indiens, leurs enfants et leur curry, Togawa se dédouble, petite voix pleine de joliesse d'où jaillit sans coup férir la puissance et la maîtrise du chant traditionnel, alors que le morceau jusque là robotico-moyen-oriental s'auto-détruit en feu d'artifice kitsch de cordes apocryphes, vocalises opératiques en prime. Reste le titre éponyme, "Tamahime-Sama" sur lequel il faudrait un article pour lui tout seul, summum de l'esthétique de Jun Togawa et de sa volonté de subvertir le genre dont elle emprunte les codes. Produit comme il se doit par Haruomi Hosono lui-même, grand manitou de la techno-pop (après avoir été le grand manitou du folk-rock, le grand manitou de l'exotica post-moderne et celui de Y.M.O, bref, le grand manitou tout court). Sa syncope contagieuse en basses électroniques râpeuses sombres et dansantes, son contrepoint de nappes aériennes et de synthés cristallins qui tressent un écrin ambigu pour la pathétique et menaçante histoire de la princesse qui, tous les mois, est frappée de folie en sa cellule. "Elle ne peut retenir le flot de sang qui s'écoule", Jun chante les sudations, le vomi, les fluides odorants qui s'échappent d'elle et ses sens qui l'abandonnent, hystérie du corps féminin en fin de cycle. Avouez que comme chanson pop dans la très patriarcale et conservatrice société japonaise avec ses chanteuses mignonnettes, infantiles et sexy, on peut faire difficilement plus malaisant. Elle la chantait à la télé avec deux grandes ailes de libellule dans le dos. Jun Togawa, c'est la pop transfigurée par Kafka, une héroïne de "home-drama" revisité par Cronenberg.

note       Publiée le lundi 26 novembre 2012

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  • (kaf)kansaï-no-wave / synth pop / zolo

Les japonais adorent les monstres. Ils raffolent du gore et des insectes géants, au cinéma, tout comme des histoires de fantômes, ancêtres de ces frissons bons marchés, traditionnellement associés à une femme bafouée qui reviendrait se venger sous une forme hideuse et lugubre, derrière un rideau de cheveux que reprendront les films à la Ring. Les japonais adorent aussi les jeunes adolescentes. Il est plus rare que toutes ces perversions culturelles se retrouvent synthétisées en une personne.

En 84, Jun Togawa est une jeune chanteuse aussi faussement timide que vraiment impudique, obsédée par le sang, les insectes et ses propres débordements émotionnels. Musicalement, elle incarne la transition entre synthpunk et synthpop, entre no-wave de femme revêche et new wave de cantatrice cyber-candide. Si pour ce dernier « cliché », les exemples ne manquent pas (en daube comme en qualité), pour la no-wave, je pense surtout à Phew et à son groupe Aunt Sally, pionnière du style à la fin des 70’s, et qui aura convaincu la petite Jun de rejoindre très vite la scène elle aussi. Bien l’en a pris. À vrai dire, peu de ‘debut albums’, qu’il s’agisse d’artistes solos ou de groupes, peuvent se targuer d’imposer un style si iconoclaste et reconnaissable d’entrée de jeu.

Depuis lors, Jun Togawa est une héroïne kafkaïenne trébuchant et tombant au gré de ses sautes d’humeur et de ses métamorphoses, racontées dans ses chansons avec une théâtralité et une emphase toute japonaise. Dans ce jeu de masques, seule sur scène, elle passe d’un rôle à l’autre de façon imprévisible, tel Ranma ½. Mais Jun Togawa, contrairement à Shiina Ringo, n’a rien du garçon manqué, ni de la diva respectable et délicate. Sa schizo est surtout composée d’une môme quasi-autiste et d’une vieille fille caractérielle et au timbre rauque, menaçant. Bon, ok, il y a aussi l’amante éplorée et ignorée qui se transforme en chrysalide, évoquée sur l’incroyable pochette. C’est Mushi No Onna, la femme insecte, qui vient clore l’album dans une relecture du Canon de Pachelbel d’un glauque consommé. C’est une fille perdue qui semble sortie d’un film de Takeshi Miike, délaissée et isolée dans un coin sale et sombre, qui se sent perdre toute humanité pour aller remuer l’humus et lécher la résine des arbres à la pleine lune, et sentir littéralement sa peine pousser dans son dos sous forme d’ailes de libellules géantes. Je n’invente rien, c’est dans les paroles ; qui sont au passage extraordinaires, d’une poésie sanguinolente et viscérale, sans autocensure ni belles formes.

La chanson titre, à cet égard, semble un conte de fée en plastique qui vire au film de sorcières produit par la Hammer, où la Princesse Tamahime s’enferme dans son donjon et dans une étrange crise de maux de ventre décrite comme dans Akira… Pourtant, le ton de Togawa n’est ici ni sarcastique, ni malsain, ni surjoué. Tamahime-Sama, la chanson, malgré ses timbres ronflants et synthés ultra-datés dûs à la production de Hosono – c’est très certainement une outtake de l’album BGM de Y.M.O., c’est dire la qualité – est à vrai dire la seule œuvre musicale que je connaisse qui ose s’attaquer, avec réussite, au sujet pour le moins casse-gueule des règles, en expliquant le phénomène d’une façon géniale et imagée. Pas un hasard si Togawa chante tout en nuances ici, et a nommé l’album d’après cette chanson…

L’autre grosse claque, c’est bien sûr Teinen Pushiganga, saisissante reprise d’un air traditionnel andin, aux paroles semblant évoquer le massacre des conquistadors, et à la mélodie qui semble tourner en boucle le long d’un interminable chemin de montagne, sous un soleil carabiné. Aujourd’hui encore, Togawa semble entamer ses concerts par ce titre, c’est dire sa force d’évocation et l’émotion qui s’en dégage, prenant aux tripes dans un dénuement bien éloigné du reste de l’album.

Dès Konchûgun, on est téléporté dans le Tokyo clinquant et speedé des années 80, avec ce qui est peut-être le titre de post-punk le plus débile jamais créé depuis les débuts de Devo. « Armée d’insectes ! » scande Togawa, semblant appeler au ralliement des troupes, tandis que les synthés évoquent les pattes grouillantes sur le bitume éventré.

Tout l’album oscille entre ces mélodies d’enfants médicamentés et les angles saillants du style Kansaï no-wave, qui agonise ici entre deux reprises d’airs classiques (Hanmon No Giga, encore hanté par la figure de Phew). Togawa oscille, donc, parfois dans la même chanson, schizophrénie toute nippone oblige : Tonari no Indo-jin tournoie fiévreusement entre vocaux austères à la Phew sur électro-funk déconstruit et envolées façon générique de Goldorak revisité par Nina Hagen. La corde raide entre folie et génie, entre ridicule et délire d’artiste mis à nu, Jun Togawa l’attaque direct en faisant la marelle, même si ce disque penche encore pas mal du côté « underground » de la chose. Les passages pop restent quand même suffisamment décalés pour en faire l’un des moments les plus casse-gueule de la dame (hormis Guernica, qui est hors concours d’office). Même dans une bluette comme Mori No Hitobito, avec sa batterie indochinoise et ses synthés métalliques malaisés, on finit par entendre tout se déliter tel un coffre à jouets.

Cette proximité troublante avec la Kansaï-no wave est logique, l’album étant entièrement constitué de « reprises », toutes dynamitées par une Jun en roue libre qui excelle dans ce genre d’exercice. La plupart des morceaux ont en fait été composés pour elle par ses anciens acolytes au sein des Halmens ou 8 ½ , quand ils ne sont pas directement repris des albums : Konchûgun, issue de l’album des Halmens est écrite par Koji Ueno (alias Mr Guernica) et Odorenai (« tu ne peux pas danser ») est une reprise de 8 ½, composée par leur batteur, qui vient ici tenir cette mesure improbable, insortable, qui ne l’est pas plus que le reste du disque, avec le recul. Tamahime-Sama, inconfortable, mécanique et barré, est l’entrée en scène rêvée pour la grande, la très grande dame que nous vous présentons aujourd’hui…

note       Publiée le lundi 26 novembre 2012

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Reflection Envoyez un message privé àReflection

Il n'y a que les japonais pour faire des trucs comme ça :

https://www.youtube.com/watch?v=X90sB3L9osY

Pour ma part, il faut être "en condition" pour pouvoir écouter ce disque, et ça n'arrive pas très souvent pour être honnête. Je me tourne bien plus facilement vers Akiko Yano par exemple. Mais il est vrai que ce disque est tellement zarbi, tout cabossé, qu'il en devient vite malsain et dérangeant. Impossible à noter de mon coté, il est rangé du coté des "curiosités à distiller à très petite dose".

dariev stands Envoyez un message privé àdariev stands
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A priori non. Aucune question n'aborde la "suite", et visiblement il n'est pas question de ça dans les réponses non plus.

Jesuis Envoyez un message privé àJesuis

http://www.ele-king.net/interviews/005031/?platform=hootsuite

Si quelqu'un comprend le japonais.... Il y a une chose que je veux savoir c'est si un nouvel album est prévu...

Note donnée au disque :       
Jesuis Envoyez un message privé àJesuis

Ne t'inquiète pas c'est juste des reprises de ses anciens morceaux et sur la moitié des morceaux togawa n'y figure même pas rien de folichon

Note donnée au disque :       
Alfred le Pingouin Envoyez un message privé àAlfred le Pingouin

Quelqu'un a pu écouter la dernière bête? C'est pas que je sois découragé par les frais de port...

Note donnée au disque :