Scorn › List Of Takers

Ceux qui aiment voyager connaissent cette sensation de complète désorientation que l'on vit dans les aéroports lors de longs parcours. C'est dans cette stase dans laquelle s'engluent les heures d'attente que je passais ma matinée à l'aéroport international de Pékin, perdu dans une interstice spatio-temporelle où rêve et éveil se mêlaient dans une seule sensation cotonneuse. De peur d'échapper complètement à la réalité j'ai pris ma boîte à musique et lui ai demandé de me jouer ce List of Takers, particulier en cela qu'il n'est composé que d'une seule longue piste. Quoi de plus adéquat lorsque l'esprit est vague qu'une armature musicale vague qui ne s'encombrera pas de formatage ni de titres. List of Takers ressemble à un Scorn portatif, enregistré dans des conditions live pour un usage personnel multiple. Les rythmes changent souvent, entremêlant variations de titres studio issus de divers albums avec des improvisations dissonnantes, suivant leur propre parcours dans ce no man's land musical tandis qu'ils trimbalent sur leur dos notre conscience vaporeuse. Regarder, l'oeil vide, les milliers de chinois affairés dans le hall d'entrée tandis que s'égrenaient les rythmes avait en soi quelque chose d'hypnotisant mais je reconnais que ce kit pourrait tout aussi bien s'agrémenter d'un voyage en train la nuit quelque part en Europe de l'Est, d'une traversée de Shibuya à pied ou d'un road-trip à Feyzin. Il possède toutes les tensions et variations abruptes qu'effectuent les pensées perdues et laissées à elles-même, ici sagement tenues en laisse autour de beats compressés et décompressés sur la reposante pulsation systématique si typique de Scorn. Certains y s'y relaxent, d'autres s'y sentent oppressés ou étranglés ; un peu entre les deux, j'ai pu planer quelques centimètres au-dessus de mon crâne le temps que, lentement, List Of Takers fasse son effet de massage mental et me redonne quelque énergie pour prétendre à pouvoir trouver le chemin de l'hôtel. J'ai dormi comme un loir, cette nuit-là.