Une bande originale de film imaginaire. Cliché pour rock instrumental. Mais tellement vrai. Il s'en produit des images a l'écoute de mélodies, de textures, de sons, d'ambiances. Des milliers de films qui n'existeront jamais, des milliers de scènes d'amour et de meurtres apocryphes, poursuites endiablées sans but ni objet, baisers entrevus au détour d'un accord, gorge serrée par une mélancolie sans attache. Et puis il y a des bandes originales de films qui n'existent pas, dont on se dit que le film doit être un peu chiant sur les bords. Des films imaginaires qu'on imagine pas. C'est dommage, c'est raté. Faut dire que les trois de Boris, parfois, ne se cassent pas le cul plus qu'il ne faut pour remplir une galette tirée à peu d'exemplaires. Ils ont tout investi dans l'artwork, assez classe, avec de jolies clichés au dos desquels quatre histoires courtes inaccessibles aux infoutus de décrypter les kanji. Boris est rarement complaisant, même si ça lui arrivait, surtout au début. Mais Boris est parfois un peu branleur. Alors, des morceaux courts et très lo-fi, en forme de petites dérives de guitares acoustiques, aux relents un peu psyché, de percussions répétitives mollement moyen-orientales, parfois de chant languide, sans que grand chose ne dépasse la nature de l'ébauche, de l'esquisse. Et ça n'esquisse pas grand chose, à part la tentation d'un post-rock mélancolique qui prend sa forme en conclusion, "It touches", et pas le meilleurs du genre, celui qu'on trouvera agréable en tapisserie sonore les jours de grand nettoyage de printemps, ou emmerdant comme la pluie si l'humeur n'y est pas. Et l'humeur n'y est pas tous les jours à nettoyer ses fenêtres, même si elles commencent à être vraiment dégueulasses. Pourquoi aller se baigner en eau tiède quand on sait faire bouillir les drones ? La démonstration est à cet égard assez éloquente, le bourdon introductif "Theme" augurait pourtant du goutu, en lever de soleil vert, caniculaire et lourd de menace latente, et la ballade tristos à la guitare qui le suit sentait le pathos à plein nez, manquait plus que le grincement lancinant des gros grillons en arrière pour s'imaginer dans un de ces anime dépressifs où des salarymen errent dans les rues tokyoïtes surchauffées en matant d'un oeil torve les minijupe des écolières. Et puis "A Bao Qu", doom millefeuille assommé qui se réveille d'un coup dans le dos d'une ritournelle lexomisée, ressemble à ce que Wata et sa bande savent faire de mieux, explosion d'une face, inertie de l'autre, grondements et solo tectonique. Collez-y "A Picture of Wind", ballade nocturne savamment foncedée, noyée d'écho et d'étoiles floues au firmament, et Boris avait un petit EP cinématographique envoutant. Tel quel, hélas, c'est la bande originale d'un ours, pas d'un film. Et un ours, ça ne se regarde pas, ça se débite.