Vehemence Realized › Severe

La chambre était grise, fraîche, à l'image du temps qui battait la mesure de la journée de l'autre côté des fenêtres. Flottait encore un léger parfum de cigarette froide, celles au menthol...C'était elle qui fumait et j'ai toujours détesté ça. Salope. En plus, elle m'a laissé le chat, cette sale bête que je n'ai jamais aimé et qui le sent bien puisqu'elle me fixe de son oeil réprobateur. C'est ça, fais le fier, si je t'emmenais sur la plage et que je te balançais aux goélands, tu me toiserais moins. La sagesse me conseillerait de me bouger, de prendre la voiture, d'aller boire un verre, voir du monde mais je n'ai pas envie. J'écoute un disque, peut-être pas le plus adapté dans cette situation. Vehemence Realized, un duo américain dont la musique évoque cette gravité que l'on trouve chez Death in June mais en plus lent, plus brumeux. Elle dégage une grisaille poisseuse qui semble coller aux membres. Rien d'agressif, non, ni même de pesant, la boîte est molle et pourtant plus le disque avance plus chaque geste pèse des tonnes. Un sursaut ? 'Prayer' sonne plus martial mais il est déjà trop tard et puis ce clairon qui lance ces plaintes funèbres...Je ne réussis même pas à me sentir en colère, la vision de cette saloperie de chat dans un sac lesté au fond du port ne m'excite pas plus que ça, je me renverse sur le lit, la tête sur l'oreiller, le regard fixé au plafond. Si je fumais, j'aurais déjà sifflé le paquet mais les clopes, c'était elle...Elle...C'est bien qu'elle se soit tirée, j'aurais fini par lui lacérer les veines d'un coup sec, dans son sommeil, juste pour lire cette détestable surprise dans ses yeux. Alors pourquoi le piano glacé et la trompette funèbre de 'Old' me donnent-ils envie de pleurer ? Pour que ces foutues larmes réchauffent un millimètre de cette chambre à l'ambiance de chambre froide ? Piano de merde, si je balançais un bon coup de marteau sur ta grande gueule en noir et blanc, tu ferais moins le fier toi aussi, mais je verrai ça plus tard. Finalement ces rythmes mous, ces nappes de brumes jouées au ralenti me bercent, je m'ennuie mais comme je n'ai pas la force de faire autre chose, je ne le réalise pas. Je me roule en boule, j'ai un peu froid mais à l'intérieur, et de toute manière, les larmes refusent de couler. 'Hope' ? Ouais, tu parles, même le chanteur semble retenir sa voix pour ne pas me troubler. Dépouillée à l'extrême, une vraie bande-son de matin givré, quand la nature entière dort dans sa gaine blanche. Comment il s'appelle ce groupe déjà, Vehemence Realized ? Il ferait bien de bouffer des vitamines, ces deux-là, leurs morceaux déprimeraient un cafard mais en l'occurrence, le cafard, c'est moi et cette musique parait avoir été composée pour ma pomme. Elle me lasse terriblement et m'apaise à la fois. Le cd arrive au bout, la platine s'arrêtera toute seule, inutile de se lever, je me sens trop engourdi. J'ai juste envie de dormir et tant pis pour ce chat à la con. Qu'il me fixe de son regard mauvais, je lui règlerai son compte plus tard, un dernier souffle de piano, une bribe de trompette qui se dilue dans le brouillard, tandis que le beat sec se traîne comme un escargot...Fermer les paupières et on verra bien, demain est un autre jour...