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The Fall › Bend Sinister
- 1986 • Beggars banquet BEGA75 • 1 LP 33 tours
- 1986 • Beggars banquet BEGA75CD • 1 CD
- 1986 • Beggars banquet BEGC75 • 1 EP 45 tours
- 1997 • Beggars banquet BBL75CD • 1 CD
cd • 12 titres • 52:31 min
- 1R.O.D.4:31
- 2Dktr. Faustus5:32
- 3Shoulder Pads 12:54
- 4Mr Pharmacist2:17
- 5Gross Chapel – British Grenadiers7:20
- 6Living Too Late*4:35
- 7U.S. 80’s-90’s4:34
- 8Terry Waite Sez1:37
- 9Bornemouth Runner6:05
- 10Riddler!6:19
- 11Shoulder Pads 21:56
- 12Auto-Tech Pilot*4:51
extraits vidéo
informations
Enregistré aux Focus Studios par John Gillingam. Produit par John Leckie.
La chanson Mr Pharmacist est une reprise du groupe garage américain The Other Half (1968 ?). Comme d’habitude sur les rééditions Beggars Banquet du groupe (ici, celle de 1997), des titres étrangers à l’album tel que paru à l’époque on été ajoutés – non à la suite des chansons originales mais mélangées à elles, sans indication claire de cette provenance hétérogène. Ce sont ici les plages 6 et 12 (Living Too Late et Auto-Tech Pilot) – marqués d’un astérisque dans la liste reportée en tête de chronique – qui sont mêlées aux morceaux de l’album proprement dit plutôt que regroupées à part, et clairement désignées comme d’une provenance autre. Cette fois encore, aucun début d’explication n’est donné – nulle part – qui éclairerait le choix de ce curieux séquençage.
line up
Paul Hanley (batterie sur 2), Steve Hanley (basse, guitare), Simon Rogers (clavier, machines, guitare), Craig Scanlon (guitares électrique et acoustique), Brix Smith (guitare lead, claviers, voix), Mark E. Smith (voix, bandes), John S. Woolstencroft (batterie, percussion)
chronique
L’art des titres chez The Fall, leur usage par Mark E. Smith, ce singulier facteur de mots crochus, tordus… Comme tout le reste – en musique comme en texte – ils font étrangement sens dans toute œuvre du groupe. Rarement comme on croirait, rarement du premier coup ; le plus souvent par des détours de rhétorique, des déplacements de contexte, le retournement de la définition contre la chose qu’elle établit dans l’acception commune. Une sorte de maïeutique – la manière des philosophes pour accoucher, par le dialogue, la pensée de l’auditoire ; avec tout ce qui s’y cache, parfois à son insu – qui tablerait presque exclusivement sur l’ironie qui ronge ; pour dissoudre l’encroûtement ; qui tiendrait de la baffe qui cingle plus que de l’échange courtois aux salons des Lumières. Un truc essentiellement négatif, à vrai dire – au sens photographique, aussi, avec l’entendement en lieu de révélateur – qui table sur l’inversion, un Incompréhensible qui exige qu’on s’y heurte. Avec – une fois sur deux au moins mais ils ne vous diront pas lesquelles – ce mauvais tour d’esprit : déguiser le vice de fond en bizarrerie de forme, faute de frappe ou de langage ; ou en brute évidence ; ou bien alors les deux d’un coup. Ci, donc : Bend Sinister. A priori (et à peu près, on sait ce que vaut toute traduction) : "enclin à un tour sinistre" (de pensée), ou bien encore "courbure funeste" ; ou alors… "virage à gauche", tout simplement ? Nous verrons de ceux-là s’il en est d’adéquats... On pourrait se dire qu’il y a erreur, aussi, outrage à la grammaire, aux participes passés. "Bent Sinister" serait plus correct, au premier sens proposé – celui de la tendance à voir le monde en teinte maussade. Mais… Assez de spéculations ! L’expression, en fait, est très précisément traçable. C’est un terme d’héraldique – l’art des blasons, des armes, des insignes – qui désigne une bande traversant l’écu en diagonale, avec une orientation inverse à la normale. Soit – du point de vu de celui qui tient le bouclier – de l’angle gauche, en haut, jusqu’à la courbe sise à droite de la pointe. Incidemment, signe de bâtardise, dans la plupart des cas, de qui l’affiche à ses couleurs. Terme de spécialiste choisit en son temps par l’auteur Nabokov – Vladimir, celui aussi qui écrivit Lolita – pour l’un de ses romans (Brisure à Sénestre, en traduction française). Une pièce d’anticipation, apparemment. Pas des plus riantes puisqu’elle décrit un monde – un état fictif d’Europe, totalitaire comme il se doit – où la Doctrine (l'Ekwilisme) édicte l’égalité comme une complète ressemblance de chacun avec tous, sans ouverture au singulier. Comme un Meilleur des Mondes, oui, tel que décrit par Huxley. Lignée triste, amère, corpus déprimant. Pas étonnant que Smith y ait trouvé son compte… Et ce premier titre : R.O.D. Un acronyme, ce coup, pour nous égarer. Allez : Realm of Dusk ! Le Royaume du Crépuscule. Ah ! De l’explicite, alors, enfin, dans l’énoncé des dépressions ? Sauf que la chanson est pleine d’allusions pas très nettes, définitions menaçantes qui cachent le monstre qu’elles décrivent, en escamotent le nom tout autant qu’elles évoquent l’ombre de ses menaces. Ce sont peut-être de très concrets gens d’armes qui viendront vous saisir à la première déviance. Ou bien cette maudite industrie du loisir, qui vous ampute la pensée avec ses modes de saison, son vocabulaire vacillant, vidé, falsifié ; son ignorance des brillants faussaires qui ont voulu la pervertir – "ils ne font pas la différence entre Lou Reed et Doug Yule". Le Velvet, quelqu’un ? En est-il qui se doutent encore qu’ils n’aient pas fait que ce disque à la banane ? Tout l’album est parcouru, comme ça, d’une imagerie floutée, distordue, inquiétante, bien en phase avec cet angle dystopique (l’utopie renversée) que semble induire le choix de son intitulé. Avec ce génie véritable de Smith pour passer du très concret, du trivial, à ces sentences voilés, descriptions à moitié sabotées – rassurez-vous, il n’a pas renoncé à bouffer sa diction aux moments stratégiques – à ces renvois dont au mieux, à s’y pencher de très près, on soupçonnera qu’ils citent telle nouvelle d’un auteur par lui tenu en haute estime, tel épisode historique dans la défaite des peuples, les tentatives désespérées de groupuscules qui voulaient réveiller les mêmes, les sortir de leur statut de bétail à pouces opposables et traites mensuelles. De l’apparent fait divers, de l’anecdote probable – U.S. 80’s 90’s et son histoire de tracasserie douanière dans un aéroport du Massachusetts – à la sibylline conclusion : "comme dans les années cinquante ; comme dans les années mille HUIT CENT quatre vingt dix ( ?)". Et puis le Docteur Faust – Faust… comme le groupe allemand ? – associé via la voix de Brix (à l’époque encore mariée à Smith) à toutes sortes de fruits diversement exotiques. (BANANA !). Un album déboussolant, à vrai dire, même pour du The Fall, dans cette apparente propension à ne rien dire clairement, à brouiller encore plus sciemment les pistes. A mettre en garde en se refusant à rien expliquer. Avec aux premières écoutes cette sensation de fatigue inhabituelle, d’une amertume moins jubilatoire dans les attaques portées par Smith. Dans celles des autres, aussi, dans le jeu d’un groupe qui pour cette fois – et c’est peut-être la première – semble moins concentré sur son angle de frappe, le tient moins obsessionnellement d’une plage sur l’autre. On dirait que le groupe se cherche, s’égare parfois, sous l’habituelle impression de martellement, de répétition abrutissante, hypnotique. Quelque chose semble grippé dans cette volonté de nous entrer le coin de métal au fond du crâne. Une cohésion un soupçon moindre – oh, à peine, bien sur, The Fall ne perd jamais vraiment son pouvoir offensif, au moins à cette époque – qui fait qu’on est moins retenu à leurs harangues, moins porté à leur faire face dans leur évidente capacité à nuire. Ce n’est sans doute pas qu’une impression, d’ailleurs, sûrement pas un hasard. Le groupe – on a bien constaté depuis lors cette manie de Mark E. Smith à excommunier régulièrement tout ou partie des membres – est alors sans batteur fixe, l’ancien exclu Paul Hanley alternant à ce poste avec le futur intégré John Woolstencroft ; et l’acariâtre déclameur s’est mis en tête que le producteur John Leckie – le même pourtant que sur les deux albums précédents, dont il s'est toujours déclaré plutôt satisfait – gâchait sa musique en la noyant dans les effets, en lui appliquant un traitement psychédélique qui lui serait exogène. De fait, la forme – au sens aussi de la santé, qui chez eux prend certes d’autres connotations tant le malaise est une part de leur génie – y semble moins glorieuse qu’ailleurs. A voir la tronche que tire Mark sur la photo – la première où il apparaisse, d’ailleurs, concernant celles des albums en studio. Dans le son, donc, moins serré, moins concentré sans doute que pour d’autres assauts. Dans la musique, clairement, qui semble cette fois ne pas se trouver de domaine propre à investir, là ou d’autres disques trouvaient une profondeur, une richesse spéculative insoupçonnable de prime abord à s’ancrer en toute maniaquerie à leur bout de terrain rabougri, à leur carré de fouille strictement limité par des bandes tendues. Ici, la relative variété des matières investies, la versatilité des genres attaqués n’est pas tenue – comme sur le précédent, This Nation’s Saving Grace – par l’éreintante vitalité d’un Smith en plein délire conscient, d’un groupe parfaitement maître de ses fâcheuses manières. The Fall, aussi - le reste du groupe, j'entends - donne parfois l’impression de vouloir s’essayer à des musiques très éloignées de leurs bases, serait-ce dans la malveillance de l’intention – des choses légères et dansables, presque funky, presque hip-hop dans l’approche rythmique. Smith, dans son autobiographie, confirme d’ailleurs – même pas tellement de mauvaise grâce – son intérêt d’alors pour ces formes, principalement entendues par le biais de sa Californienne d’épouse ; musiques qui ne le touchaient guère dans ses réalisations mais où il sentait une volonté de constance dans la cognée, une affirmative sans hypocrisie, une originalité pas encore figées dans l’approche, la conception créative, qui continuait de déserter la chose rock, en ces jours, y compris dans ses courants renommés les plus neufs. Et pourtant, plus loin : des accès presque New Wave – dans les mélodies mineures et froides jouées sur des claviers en plastique gris mat, à la sécheresse d’une batterie qui sonnerait presque comme une boîte à rythmes (Riddler, qui parle d’un espèce de Big Brother pas si abstrait, pas si fantasmé par les jours qui courent ; à moins que ce soit, qui s’y exprime, l’un des ennemis de Batman dans ses livres illustrés ; on ne sait jamais vraiment, avec les métaphores à vocation d’argot). Entre ces drôles de tentatives, ou confondues même avec elles, des tranches d’une noirceur affirmée, pour de bon vénéneuses, plombées, crasseuses, d’un froid collant : les passages flottants de Gross Chapel, Riddler, encore, la qualité de hantise et la vélocité de fuite du Bournemouth Runner – est-il, celui-ci, cousin du coureur de fond d’Alan Sillitoe dans sa fameuse nouvelle (La Solitude du Coureur de Fond, donc) ? Rien ne le dit, rien ne l’infirme. Tout est confus, tout ne fait pas touche cette fois, aux premiers moments, dans sa volonté de nous faire tenir à notre égarement. Alors… Bend Sinister, album mineur ? Album foutoir moins maîtrisé, moins volontairement brouillé qu’à l’habitude ? Pause, point de côté dans la longue enfilade de Smith et de ses cohortes ? Peut-être. Lui-même, la grosse part de la critique, le producteur cité plus haut, semblent s’accorder à le trouver moyen, inessentiel voire raté. Quelque chose s’y essouffle, c’est sur. Et pourtant… C’est peut-être par là qu’il finit par nous retenir. Pour peu que l’humeur y soit, que le jour où il passe soit adéquatement foutu. Par la vertu de ce titre qui, tout comptes fait, est peut-être l’un de leur plus littéral. Brisure à Sénestre. Inclination lâche, ruminations morbides. L’un de ces The Fall – on hasardera même que ce soit le premier – où l’ennui ou la hantise, question de lumière et d’heures de sommeil ou de veille accumulées, question de hasard presque, nous cueilleront ou non selon les occurrences où nous reviendra de nous y exposer. Comme toujours avec eux ? Non. Plus encore, moins sûrement. Car une courbure sinistre fausse les perspectives. Cela se nomme Doute. Ça n’est pas le meilleur air pour faire fleurir les virulences. C’est salement hivernal, au sens le plus claustré. A moitié masqué, sous le titre officiel, on peut lire en grisé : Doomsday Pay Off. Le jour de Paye du Jugement dernier. "J’ai perdu mes Pouvoirs…". Pour ça, voyez Batman, ajoute-t-il en marmonnant. Décidément… Les noms des chapitres chez Mark Edward Smith. Et puis l’alinéa : qui fait que celui-là, encore, n'est malgré tout pas tellement négligeable.
note Publiée le samedi 11 février 2012
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- novy_9 › Envoyez un message privé ànovy_9
réponse dans vous écoutez quoi :)
- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
(Si
avec nos conneriesavec tout ça l'ami Novy ne se procure pas l'Intégrale de La Chute de toute urgence...).- Note donnée au disque :
- 22goingon23 › Envoyez un message privé à22goingon23
Point d'image je n'avais encastré, gent NeoDiou ; ces deux points misérables sont les piteux hérauts de mes nonchalantes réflexions intra musicales !!! En effet je parle bien de cette box que j'ai eu la chance de choper chez Gibert en occas comme neuf. Je vénère ces Peel Sessions depuis fort longtemps : témoignages vivants et vivifiants d'une quête créatrice en mutation et devenir perpétuel.
- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
Je ne sais pas si tu avais posté une image, touèneutitougoingueuonneu, mais si oui on ne la voit pas... (Et si non, non plus, mais ça, ce serait somme toute assez logique... Bref, on ne voit rien juste après tes deux points, quoi).
Par contre si tu causes bien du coffret de six CD qui regroupe celles du groupe de 1978 à 2004, je dois dire que j'approuve ! Je l'avais choppé un coup en médiathèque et je me dis depuis lors qu'il faudra que je me le procure plus durablement que ça, quand-même, un de ces.
(Pas forcément à s'envoyer d'une traite pour un premier contact avec le Mark E. et ses cohortes de laïneups, ceci-dit... Enfin, c'est selon le foie de chacun).
- Note donnée au disque :
- 22goingon23 › Envoyez un message privé à22goingon23
Et je dirai même plus ! :
Un passage par les Peel Sessions s'impose : elles sont pour le groupe un véritable catalyseur inspirationnel