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The Legendary Pink Dots › Shadow Weaver

cd • 10 titres • 60:25 min

  • 1Zero Man7:39
  • 2Guilty Man6:08
  • 3Ghosts of Unborn Children6:55
  • 4City of Needles5:16
  • 5Stiching Time6:23
  • 6Twilight Hour5:37
  • 7The Key to Heaven5:46
  • 8Laughing Guest6:46
  • 9Prague Spring3:26
  • 10Leper Colony6:28

informations

Enregistré par Vincent Hoedt et X-Ray Alley

Sur la plupart des éditions, les titres annoncés pour les plages 1, 9 et 10 sont - respectivement - Zero Zero, Hex Hex et The Window on the World. Il semblerait en fait que seule la version Caciocavallo de 2001 porte à la place les titres Zero Man, Prague Spring et Leper Colony. Ne disposant que de cette édition, j'ai conservé ces titres 'alternatifs' (?) en reportant la liste, en tête de ma chronique. - Artwork par Babs Santini (Steve Stapleton)

line up

Martijn de Kleer, Edward Ka-Spel, Ryan Moore, The Silverman, Niels van Hoorn (Niels van Hoornblower)

Musiciens additionnels : Patrick Q Paganini (Patrick Q Wright) (alto)

chronique

La geste de nos Limbes. Il n’y a plus rien à explorer, plus d’espaces à découvrir. Tout ici n’est que Vide : terne, daltonien – existentiel, matériel, spirituel… Vide vital. Étroitesse. L’Homme Zéro ne connaît plus - pour lui renvoyer son souffle - que le mur qui bloque son regard, contre quoi se colle sa face, inexorablement ; de plus en plus proche à mesure que vacille sa résistance, que la conscience de son malheur lui paraît plus… Inéluctable. Et même plus tellement effroyable, à vrai dire. Objective et logique, aboutissement de sa vie d’avant, tout autant qu’effacement, oubli de cette existence qui jadis le tenait. Le Tisseur d’Ombres – ou la Tisseuse ? – n’est même pas la Faucheuse, qui mettrait fin d’une main prompte à l’errance sans motif, à l’alignement sans perspective des heures délavées par l’ennui, à l’impossible qui paralyse, rend même impensable toute tentative de mouvement. Shadow Weaver est l’un de ces disques où les Pink Dots creusent – encore et encore, à dessein – leur veine la plus vénéneuse, la plus engluée dans le désespoir des jours, d’une époque défaite, d’une renaissance manquée, qui n’arrivera plus. C’est l’échec en dix tableaux. En dix scénettes où se succèdent les âmes cassées – comme au retour des tranchées on parlait de gueules cassées – de nos époques et de nos contrées endormies, sans guerres mondiales ni grands élans d’espoirs. Tous ceux qui parlent, ici – en strophes chantées ou narrations éparses – laissent couler d’eux l’Inconsistant ; la tiède récitation – fut-elle parfois brillante de forme, de manière, de tournures – des ans d’après la chute, l’accident, l’échappée qui n’a su se faire. Elle se glissent en nous, une par une, ces voix, ces flots anesthésiés où surnagent les vestiges de ce qui s’est brisé. L’homme coupable, étouffé par ses routines paranoïaques, les surveillances qu’il invente ou soupçonne, les mains qui ne se lèvent plus que pour barrer son passage. Le vagabond dans la Ville d’Aiguilles, ses petites manies réglées aux perforations infectieuses. Les fœtus avortés qui voudraient voir le jour – ceux là, certes, ne parleront jamais, n’ont même pas commencé – mais un instant ou toute une vie, leurs ombres et leur rumeur passeront sur ceux qui n’ont pas l’heur de leur avoir donné un nom. Et puis celui-ci qui, désespérant de Dieu, s’est tourné vers un Est creux, évidé, peint à plat - même pas en trompe l’œil - peuplé seulement des spectres exhalés par sa fausseté. "I faked my despair/in the beautiful ruins"… Car dans ces jointures du rien tour à tour exposés, même cela - la fin de toute lueur - ne saurait trouver forme directe, motif à émouvoir nos fatigues sœurs, nos amours séquestrées. La peur qui sourd n’est celle que de l’absence, où jamais ne point aucun danger ; celui qui mettrait point ou nous pousserait plus loin. Musicalement, aussi, Ka-Spell et ses autres se plantent là en plein après-psychédélisme, en pleine pop d’après toute révolution, d’après toutes retombées. J’ai trouvé la clé du Paradis mais je n’en trouve pas la porte. Au plus près, finalement, des Residents les moins trompeusement comiques, dans cette manière de déformer le son sans bienveillance, d’étendre des drapées d'électronique surannée sur des passages instrumentaux brillants – subtile digression modale d’une guitare électrique, escapade d’un jazz de chambre tout en délicatesse, frémissant d’une sensibilité balkanique exquise, soudain miraculeusement humaine, ouverte, camarade ou amante – les voilant, les bridant, afin d’en faire sortir plus cruellement la beauté, la fraicheur partout ailleurs enfouie. Ces gangues, ces entrelacs de textures synthétiques kitschs (n’en doutons pas : en toute conscience de ceux qui les jouent, et composent, et arrangent) où s’inscrivent des thèmes rares, touchants, contrastant sur leurs plastiques autant que sur la toile passée, la trame en verbe las de tous ces récits de vies épuisées. De même, dans l’apparente platitude du canevas, le supposé disparate, le relâchement des structures, les musiciens savent ici parfaitement ce qu’ils jouent, de quoi ils jouent, même ; s’ancrent dans des savoirs, un art de construire (et d’abîmer, par déduction), de raconter, bien au-delà de cette pop qui lui ressemble comme une jumelle mieux maquillées, où l’on s’était habitué depuis vingt, trente, quarante ans, plus (…) à ébrouer nos heures oisives et à vouer nos petits cultes. Comme chez les mêmes Américains aux masques perpétuels, aussi, on ne saisit jamais avec certitude si cette inflexion, cette déviation de moyens et de formes – se saisir des outils, des chimères de l’usine à rêves pour exhaler des prophéties, invoquer les mythes détruits, nous cribler de leur germes incertainement féconds – vise à débiter, seulement, mondes et bêtes arrêtés. Ou s’ils nous invitent, nous poussent à dépasser, défaits de l’illusion même des capitulations, les refuges narcotiques où s’enveloppe l’entendement, les délectations moroses où se dessèchent des morales empoisonnées… Une différence demeure, pourtant – essentielle, peut-être – entre les deux formations. C’est celle de la distance choisie, des voix qui les y mènent. Les Hommes-Gros-Yeux, volontiers, empruntent au sarcasme grinçant, au grotesque le plus outré – à cette acception de la comédie, de la farce grossière si typiquement de leurs latitudes, de leur côté de l’Atlantique. Les poussent tellement à l’absurde, aux confins, qu’elles en deviennent terrifiantes, présence frappante, folie hurlante et dénudée qui se dresse en plein spectacle. Hideuse et vérité. Les Pink Dots, eux, se parent d’autres moyens, usent d’une autre poésie. Plus ambiguë peut-être, jamais hilare, pour déranger ; Ka-spell versifie en périodes délicates, son timbre si particulier à peine déformé, contrairement au reste, par les machines et traitements ; étrangeté singulière qui se détache sur l’autre étrangeté, synthétique et maillée, immédiate et insondable. Ce tour-ci – au sens de la magie, aussi, et l’on ne saura pas, toujours, si c’en est de la noire, de la blanche, de la grise, de la complètement naïve ou bien de l’ironique en quelques proportions – s’achève en une ultime métaphore, un autre cercle, un lieu pas moins éteint. La colonie des Lépreux. Où le narrateur – était-ce le même d’un plage à l’autre, qui changeait de maladie, de tare, d’opprobre, de coupure… De délire aux crépuscules ? – commence par une humble demande, une prière presque, au sens du protocole, à pouvoir déambuler à nouveau, parmi nous autres vivants, sans se mêler à nous, caché sous une capuche, sans jamais rien frôler. Puis finit par une mise en garde : de ne pas l’approcher, alors, en son errance. Car la quarantaine forcée, sa main, sans d’abord se tendre – contagieuse, fraternelle – se rappellerait enfin ce que c’est que toucher… Puis au delà du dernier mot inscrit sur le livret – sur cette feuille pliée où se fixe le cycle – à l’orée l’un de ses passages terminaux, magma de noyade où se délitent les sons, une autre voix – est-elle bien de femme ? – édicte deux mots simples. Love. Me. Et leur ton n’a rien d’une supplique. Elle n’est pas un sanglot. Elle ne se ceint pas d'affectation tremblante, qui ferait dire : "c’est con à dire". Sans suite connue, elle est peut-être, elle seule, la réponse au Lépreux. Le sax repart. À l’envers. La geste de leurs limbes. Foutu voyage aux horizons obstrués. Foutu groupe. Foutues soixante minutes dont on sort tenaillé par la soif des couleurs enfin vives.

note       Publiée le dimanche 22 janvier 2012

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ProgPsychIndus Envoyez un message privé àProgPsychIndus

Pour ma part la grande époque des Dots s'arrête là, 9 lives Wonder est chouette, mais après cela ne me parle plus, même si cela reste de qualité, il manque quelque chose.

Message édité le 27-01-2024 à 04:04 par Progpsychindus

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dariev stands Envoyez un message privé àdariev stands
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avec le temps, je relativise de plus en plus le côté kitsch/new age de Maria Dimension (la musique new age elle-même ayant été pas mal réévaluée entre temps), qui du coup en deviendrait leur album-phare. Dans sa version avec les 4 chansons bonus, c'est clairement un trip, même si il y a des passages très étirés. 9 Lives To Wonder, dans un style beaucoup plus élégant, reste très près derrière, et là on ne parle plus de kitsch, par contre, c'est un disque qui, pour moitié, retombe dans la dystopie familière du groupe (mais si tu aimes Shadow Weaver, haha, ça doit pas te gêner)... Maria Dimension est un p****n d'album à part, c'est vraiment un bouquin ce skeud. Ou une cérémonie. Très long grower, et y'a quand même des passages où ils font ch... avec les synthés (justement, à partir de shadow weaver, ils sont beaucoup moins plastoc, ou alors quand c'est pour faire un effet halloween voulu). Mais une fois qu'on est entré dedans... entièrement d'accord avec Dio pour les 3 chef d'oeuvres des années 2000.

Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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Je suis loin de connaître TOUS les Pink Dots, moi aussi (vaste tâche en effet...) mais parmi ceux ici chroniqués j'ajouterais : les deux All the King's (Men et Horses), qui peuvent faire un peu marathon aux premières écoutes mais font à mon avis partie des très bons disques du groupe, dans la veine "conteurs des sagas de la chute perpétuelle" ; et Plutonium Blonde, qui est bien plus éclaté, versatile sur la forme mais que curieusement je trouve plus immédiat, qui au début m'a au contraire des deux autres presque paru trop court.

Message édité le 10-10-2022 à 19:55 par dioneo

Gros Bidon Envoyez un message privé àGros Bidon

Merci du conseil Tallis. j'ajoute ça sur ma liste à écouter.

Note donnée au disque :       
Tallis Envoyez un message privé àTallis

Tu peux sans trop de problèmes commencer par ceux qui sont chroniqués ici, mes trois préférés du lot étant "9 lives to wonder", "The Maria dimension" et "Any day now". Mais "The lovers" et "The poppy variations" ne sont pas loin derrière...