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Sonic Youth › Bad Moon Rising
cd • 12 titres • 54:15 min
- 1Intro1:11
- 2Brave Men Run (In My Family)3:55
- 3Society Is A Hole4:51
- 4I Love Her All The Time8:21
- 5Ghost Bitch4:25
- 6I’m Insane6:56
- 7Justice Is Might2:57
- 8Death Valley ’69 (w. Lydia Lunch)5:22
- Bonus de l’édition CD
- 9Satan is Boring5:12
- 10Hallowe’en 5:12
- 11Flower3:36
- 12Echo Canyon1:08
informations
Enregistré et mixé aux studio Before Christ, Brooklyn, N.Y.C., entre septembre et décembre 1984. Ingénieur du son : Martin Bisi. Produit par Sonic Youth avec Martin Bisi et John Erskine. Sauf Flower et Halloween, enregistrées et mixées au studio Radio Tokyo, Venice Beach, Californie, en janvier 1985 par Ethan James, produites par Sonic Youth)
"(... the word is LOVE)".
line up
Bob Bert (batterie), Kim Gordon (basse, voix), Thurston Moore (guitare, voix), Lee Ranaldo (guitare)
Musiciens additionnels : Lydia Lunch (voix sur Death Valley '69)
chronique
- use the word : fuck !
La jeunesse doute. Elle s’alanguit parfois, contemple sa colère ; en cherche le motif là où - auparavant - un point de décochage, un autre de visée… Un vecteur suffisait, tendu de l’un à l’autre. Une direction, une impulsion : semblables, confondues. Peut-être sent-elle venir l’instant, inconnu, imminent, de toucher à sa première fin ; peut-être pressent-elle, trop sûrement, ce que celles-ci, toujours, emportent avec elles de définitif, de révolu, de résolu. Ça n’est pas que l’œil saisisse avec moins d’acuité, que les lèvres, la gorge, la langue, plus qu’avant, achoppent à prononcer, à goûter, à crier ; ni que les muscles soient moins souples, affaiblie la frappe, plus vague la course des mouvements ; l’ossature, même, se renforce ; et sous les crânes tout fonctionne, plus vite, plus clairement, cellules et tissus appréhendent plus complètement les arcanes alentours ; le concret, tous les sens possibles à la surface de telle vétille, toutes les implications aux plis des omissions ; un étrange humour s’esquisse, qui sait rendre et répondre ; discret sous l’impassible, l’atone ou l’inflammé ; quelque chose se forme qui s’appellerait conscience ; une manière se dessine, qui sait maintenant s’étendre, se développer, faire suite et faire contraste ; une souffrance affleure qui n’est plus seulement de panique et trop plein…
À ce moment de l’histoire - dedans, dehors - bien des choses ont changé, d’autres se sont figées ; depuis Confusion Is Sex (l’album-puit-de-mine) et Kill Yr. Idols (l’E.P. incandescent qui lui faisait séquelle, et qui réalisait à chaque note le programme de son titre), Sonic Youth a passé deux années à balancer d’une scène à l’autre ses charges de bruit démoli et pulsé, vital et défoncé ; de caves de clubs en salles européennes ; Reagan a entamé son deuxième mandat ; Thurston Moore et Kim Gordon se sont mariés… Les jeunes gens grandissent, le monde ne va pas mieux ; et de jour en jour il devient plus dur d’en ignorer l’emprise ; et toutes les failles, tour à tour, s’en révèlent ; par paquets, les méandres. La Société est un Trou (jeu de mots probable en sus, absurde et méchamment pertinent - Society is a Whole : la Société est un Tout…) ; elle vous fait mentir à vos amis… La Justice est la Puissance... Tout l’album, ainsi, est percé de slogans malheureux, douloureusement ironiques (Brave Men Run (In My Family)) ; de déclaration simples dont, par contraste, par contamination, on ne sait plus si elles sont sarcasme ou pied de la lettre (I Love Her All The Time). La narration est prise d’angoisse ; non plus la peur sans objet discernable, qui propulsait et faisait rouler les feux ; mais l’insidieuse répulsion des faiblesses reconnues, le décompte des échéances, des désistements, des compromis nettement détourés qui se font à la proximité. Il y a comme un dépit, aussi, quand passe l’illusion d’être sans origine, sans attache à ceux qui avaient précédé : l’ambigüe découverte d’un héritage, le legs inachevé - raté, peut-être - des générations d’avant. Le livret fourmille d’indices sibyllins : images passées de communautés fraternelles, hippies qui pourraient être leurs parents ; catalogue de fantasmes violents et bon marché, couvertures de romans de gare, polars miteux, pornographie de trois sous que les parents de ceux-là se passaient en cachettes…
Les sons qui portent ces histoire, ces libelles, ces aveux ; les vagues de métaux broyés qui les noient ; les monticules sales sur lesquelles on les couche… Tout ici surprend de nouveau, prend de court, déstabilise malgré la familiarité du grain, des angles de frappe, des biais induits dans les attaques - désormais connus, reconnus sinon domptés, depuis les précédents assauts. Les moyens, certes, se précisent, se multiplient, s’affinent et se scindent. Dissonances envoyées, répercutées, attrapées et déplacées, amplifiées et vibrées d’une guitare à l’autre ; textures fondues ou bien bardées, granulées, empoissées, vaporisées par de soudains écarts thermiques ; Kim qui cette fois trouve pleinement sa voix, son râle, sa voilure attirante, son idoine fausseté ; l’hypnose de répétitions qui se délitent en phases lentes, s’effilochent et se précipitent. Singulièrement, aussi, la batterie s’arrache à la simple battue, à l’enfoncement des clous qui rivent la machine folle – alors que Steve Shelley, avec ses syncopes polymorphes, sa périlleuse précision, ses inventions inépuisables, sa puissance nette et acrobate, n’est pas encore de la partie, Bob Bert semble trouver les prémices de ce jeu sans limites, qui déforme l’espace où il se fait pivot…
Ce pourrait être un indice. Car ce qui nous égare – vraiment – et nous captive, se trouve au-delà des détails, des relevés instrumentaux, des questions de mécanique simple ; ce sont bien les durées, les vitesses inédites ; les nœuds où s’attachent les pans de ces scènes de bruit, où se maillent les complexes d’harmoniques et d’émotions. Jusque là, sur les autres disques, chaque morceaux, chaque pièce était une idée pure, jetée en plein réel, arrachée puis détruite par voie de maximum. Rien ne s’en répercutait, passé le choc de chaque impact. Ici tout se tisse. D’un drame à l’autre, les voix glissent, les ambiances se décomposent pour qu’en émergent les remuements du mouvement qui suit. Les infinies variations de la confusion – encore elle, oui, cette fois-ci pas nommée mais foutrement à l’œuvre ; les reflets impitoyables de la lucidité, qui se jettent au hasard sur les reliefs d’un épisode - pour nous mystérieux ; pour qui le conte, saturé d’implications… Tout ici se répond, fait sens, non explicite mais sensible, mystère palpable en toutes ses proportions. On ne décrétera pas celui-ci premier disque adulte du groupe, non. Car sa force, sa profondeur, est bien de saisir cet instant fugace où questions et certitudes nouvelles, fulgurantes, dévoilent un monde éphémère : de ceux qui se perdent pour que des vies se fassent.
On n’aura pas l’outrecuidance – surtout pas – de lui coller en matricule cette vilaine étiquette : "disque de transition". Parce que cet apparent chaos est hanté d’obsessions qui le tiennent, d’aspirations qui le tiraillent et le galvanisent ; le lient d’un cohérence qui est sa forme unique. Sa course est dite dans le titre : mauvais présage, malédiction, malaise de mauvaise passe astrale. La lune se lève et jette un froid limpide. Une trajectoire se dévoile. Elle s’achèvera par un carnage, dans la Vallée de la Mort, en 1969. Avec la voix de Lydia en poison terminal, qui coule aux soubresauts sa fringale érotique morbide et dissolvante. L’épouvantail s’enflamme. La cheminée de la centrale, au loin mais pas tellement, exhale au dessus de la ville. Le silence résonne encore. On relance le disque. Sa violence prend aux entrailles et irise le cortex. A ses brisures, à ses nuances, sourdent de poignants appels. Sa plénitude se déploie : elle est de ne se résoudre point.
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- born to gulo › Envoyez un message privé àborn to gulo
Grave.
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- Coltranophile › Envoyez un message privé àColtranophile
Pas de gras, pas de sucre (limite sur Death Valley, pour ceux qui cherchent ça). Minéraux et acides aminées. Une petite dose pré-Slint dans l’aura désastre au ralenti, aussi. On est, en effet, très loin de Sugar Kane.
- Note donnée au disque :
- Alfred le Pingouin › Envoyez un message privé àAlfred le Pingouin
Le jeu de Bob Bert par rapport à Steve Shelley c’est le jour et la nuit. D’où le côté très radical de celui-ci, ce que vous appelez gothique, avec des riffs simples et répétés ad vitam. Mais il a vraiment une superbe ambiance, une mélancolie bien à lui.
- Note donnée au disque :
- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
Le shit happens (et on n'a pas toustes le goût pour le même type de pneus).
Message édité le 18-01-2024 à 14:34 par dioneo
- Note donnée au disque :
- born to gulo › Envoyez un message privé àborn to gulo
Non vraiment, ça n'a pas bougé : c'est la période qui me bande gentiment, et pour laquelle la sélection de SFOSL me convient parfaitement.
- Note donnée au disque :