Vesa-Matti Loiri › Inari

Afin de faire l'expérience authentique de la Finlande il faut pouvoir, comme pour toute culture, comprendre et embrasser les paradoxes qui la sous-tendent. S'attacher uniquement à la beauté brute de ses forêts et de ses lacs réduirait le pays à une géographie somme toute nordique, ne faisant qu'un pont entre les hautes terres de Suède et l'immense Sibérie. Ecouter la poésie populaire chantée, en revanche, fait passer l'environnement par le filtre de la culture locale, battue à chaud à travers sa propre histoire. C'est comprendre que la Finlande est autant un paradis qu'un enfer sauvage encore dominé par les puissantes saisons : celle du dégel, celle des moustiques, celle de la pluie et celle des ténèbres. La Finlande, c'est avant tout une longue histoire de survie, politique ou non, et soulignée par un luthérianisme dont les excès masochistes ont en cascade exacerbé le cliché dit de la mélancolie nordique. Sur ces bases, il n'est pas étonnant que tandis que nos chansons folkloriques francaises parlent pour la plupart de batifolages amoureux et de stéréotypiques paysans à la franche bonhommie, celles des Finlandais nous parlent de famines, d'enfants mourants dans la neige, d'étoiles scintillantes au dessus de minuscules cabines en bois ; le plus souvent sublimée d'un animisme primordial et d'une langue à la sémantique multiple qu'il est impossible de traduire. Venons-en à Vesa-Matti Loiri, figure aussi emblématique pour les finnois que Brassens chez nous. Acteur avant tout (ce qui sera difficilement exportable), mais aussi et surtout chanteur hors pair avec une voix caverneuse inimitable. Il aura chanté dans de nombreux registres dont les plus humoristiques risquent bien de rester l'apanage des autochtones (l'humour finnois... tout un programme) cependant ses poésies chantées comme celle d'Eero Leino ou ici ses reprises acoustiques de classiques rocks finnois devraient enchanter la plupart des oreilles mélomanes, de l'amateur de dark folk (les instumentations sur Inari rappellent beaucoup le Current 93 période Cashmore, ou, sans surprise, Tenhi) tout comme les profanes qui voudraient entendre un produit authentiquement local. C'est qu'Inari, avec Ivalo, emprunte son titre à une petite ville de Laponie, où il fut enregistré. Il y a toujours quelque chose de vain et naïf dans cette recherche éternelle du finnois pour ses «racines», le plus loin possible de la «décadence» (comprendre : cosmopolitanisme) d'Helsinki, mais c'est aussi, paradoxalement, ce qui fait leur coeur : on en revient encore à cela. Inari, puis Ivalo moins tristement, transcende le style des chansons originales pour les intégrer au répertoire populaire, aux «chansons» comme on dit chez nous. Leur calme solennel, parfois presque funèbre, s'écoute peut-être mieux - pour en revenir à la nature - dans un mökki perdu dans les bois, quand le bien-être et la mélancolie se transcendent l'un l'autre et l'on se dissout alors dans la grande sérénité, celle du zen, ce qui me permettra de clore sur ce koan qui trouvera une résonance particulière au travers du solstice d'été : "Minuit est la vraie lumière, l'aube n'est pas claire".