Dans le musée historique de la Lettonie à Riga, il était dit qu'il existait plus d'un million de "dainas" ou chansons traditionnelles lettones dont les origines remontent à la nuit des temps. Et pas une seule sur ce site ? Allons. Ces chansons aux origines païennes ont survécu aux diverses invasions et échanges culturels, aux pressions religieuses (dernier pays européen à être christianisé ; et encore) puis politiques (occupation soviétique). Et vous croyez qu'elles ne passeraient pas le tournant du siècle ? Allons. Portés par de nombreux festivals païens et, plus récemment, par une multitude de formations modernes dont l'intérêt grandissant pour la world music a permis l'ascension, le folklore letton redevient source de fierté pour ce pays sans cesse chamboulé dans ses fondations. Iļģi (Nous dirons Ilgi pour ne pas traumatiser les navigateurs web) fait partie des fers de lance, créés sous l'occupation puis banni de la presse pour leur attachement à des valeurs non-conformes à la dictature en place. À l'époque, ils s'acharnaient surtout à enregistrer et jouer des airs traditionnels, des chansons oubliées, des pages jaunies par le temps retrouvées au plus profond de leur petit pays. Petit à petit, ils ont pris conscience de l'essentiel d'un folklore : sa vivacité, son syncrétisme, bien loin de toute muséification – et c'est ainsi qu'ils purent se révéler pleinement, à la croisée de la tradition et de leur propre ambition musicale ; refusant le mimétisme passéiste pour intégrer le passé à des compostions nouvelles. Une fois l'indépendance lettone obtenue, ce fut l'éclosion : Biziteri, Skandiniek, Auli, Ilgi ; autant de formations avec lequel il va falloir maintenant compter. Saules Meita -"Les filles du soleil"- nous parle de la gente féminine dans les dainas ici modernisés à la manière dite "post-folk" comme ont su le faire Garmarna pour la Suède, ou Värttinä pour la Finlande. Émotions ambivalentes se rencontrent au détour des violons, des bodrans enjoués, de la cornemuse (eh oui, instrument traditionnel letton), des chants entièrement féminins : ici, la musique se fait danse crépusculaire ; là, elle devient comptine pour jeunes filles – à d'autres instants elle se fait musique fonctionnelle, en accord avec les activités de tous les jours, à jamais reliées aux cycles de la nature comme dans tout système culturel antique. Les connexions avec les pays voisins sont plus qu'évidents, échanges culturels obligent : les rythmes finlandais croisent les rites estoniens de Kulgrinda, la mélancolie nordique rencontre les joies orientales des jours ensoleillés. En transcendant son propre folklore, Ilgi donne à entendre ce que celui-ci devrait toujours être : non pas une carte postale, mais un instantané en plein coeur qui, une fois de plus, se révèle surtout en concert ou, et nous pouvons rêver, en guise de célébration quotidienne.