Ryoji Ikeda se situe aux confins de l'abstraction électronique, dans cette zone très impressionnante où le son ne prend son sens que dans l'environnement dans lequel il est joué et écouté. Comprenez par là qu'une écoute au casque changera du tout au tout, tout comme l'écoute dans une petite ou une grande pièce, suivant aussi les degrés de réverbération des parois ou la qualité des enceintes, ces dernières devant pouvoir restituer un spectre dont la largeur n'est permise que par le format CD. L'experience est très facilement identifiable ne serait-ce que par les basses fréquences qui paraissent neutres au casque mais semblent provenir directement des murs lorsque le disque passe sur des amplis. Le jeu des fréquences dans l'espace a été longuement étudié par Alvin Lucier et c'est avec une subtilité et un talent rare que Ryoji Ikeda se réapproprie ce langage tout en lui apposant un sens du rythme et de la construction semblable à celui d'Alva Noto. La musique se dévoile et se ressent de manière tridimensionnelle et physiologique, autant par les oreilles que par l'ossature puisque cette dernière prend le relais lorsque les fréquences sortent de l'audible. Après une série 'Headphonics' démontrant les capacités du compositeur à manier groove et rigueur, '+/-' prend place à travers une série de minuscules battements ultrasoniques qui descendent lentement, tels des petits hélicoptères, vers la zone audible afin d'emplir l'espace sonore de leur matière souple qui va continuer de virevolter longtemps -un peu trop- jusqu'au passage en négatif vers des zones plus statiques. Pour autant, si la musique semble immobile, elle change lorsque l'auditeur se déplace dans l'espace et c'est bien là toute sa richesse : les drones changent alors de place et se replacent selon l'ordre souhaité, crépitent ou clignotent différemment, se réorientent et changent de couleur. Un tout petit rythme vient ponctuer la musique comme autant de goutelettes d'eau donnant au son une convergence presque méditative. Pour autant cette rigoureuse seconde partie accuse elle aussi quelques longueurs ; mais cela peut tout aussi bien être l'intention du compositeur puisque certaines fréquences ne deviennent perceptibles que lorsqu'elles disparaissent, laissant un véritable doute sur la nature du silence qui s'ensuit.