Bonsoir, Madame Année Mille-neuf-cent Quatre-vingt. Vous voilà donc, enfin. Approchez-vous ma douce, je vous prie. Mmmmh, quel délicieux parfum... je plonge dans cet exquis Huit... tâte de ce doux Zéro... oooh, quel délicat textile... c'est fin, moelleux - ça glisse sur les doigts... Quelle est cette chose si tiède et si fraîche ? Oh, Roxy...

Guerre Froide. New Wave. Roxy Music FM, arrivé au stade de cristallisation de son spleen... Un... deux... trois (oui, trois) mannequins nordiques armés de javelots, regardant vers l'horizon avec un regard glacé, tourné vers l'Est... Une esthétique très "cold", tranchant avec celle des précédents 33 tours, marque le premier album nouveau-romantique de Roxy Music. Les années 80 sont arrivées. La coke et le CD, les paillettes et Reagan, les claviers et MTV. Le talk-show et les putes. Rythmiques d'acier, calibrées, synthétiseurs, sur-production aseptisant tout dans les moindres recoins. Roxy Music est désormais ce groupe dénigré par bien des fans de la première version. Ce groupe soit-disant "d'ascenseur". La musique d'ascenseur ? Mais... il peut s'en passer bien des choses, dans un ascenseur. Là vous venez de monter avec deux nanas (oui deux) d'un mètre quatre-vingt, scandinaves ou allemandes, qui vous fixent sans ciller. Les portes se ferment. Une décennie peut commencer. "The Midnight Hour", hein ? Je sais pas si je l'adore ou la déteste... on va dire que je la haime. Le compte à rebours me fait grincer des dents et un petit frisson dans le dos à la fois. Si on excepte la reprise très tarte de "In the Midnight Hour", et le slow final en soupe Royco tiède (auquel je peux être sensible certains soirs de dèche notamment grâce au sax), il y a tout de même une sacrée dose de mélancolie là-dedans. Le spleen de "My Only Love", extrêmement similaire au style que pratiquera Ferry en solo au cours de la décennie à venir... Le reggae surnaturel de "Rain Rain Rain" et ce son synthétique encore sorti de l'œuf du futur proche, ultime, et ces basses proprement hallucinantes. La reprise des Byrds, a priori anodine, qui fini en mantra sur une sauce mi-cold wave mi-psyché, fantastique. Ou le beat en intro de "No Strange Delight", très OMD ? Un album facile. Extrêmement facile. Mais il fallait pourtant le faire. Comme il fallait pouvoir sortir la teinte des claviers merveilleux de "My Only Love", leur fusion avec cette guitare d'un Manzanera comme gilmourisé, le spleen de Bryan Ferry qui devient cette grandiose expression romantique, unie, "heavenly", only lui, pouvait chanter ainsi, sur ceci. Jusqu'à l'évaporation surnaturelle. Avalon et Boys & Girls prennent source ici, définitivement. L'enchaînement avec la basse franche de la très Roxy-Cars "Over You" est charmantissime, la frange la plus bubblegum d'une new wave naissante, j'en ai des envies de papouilles contre un jukebox... Magique !

Sur ce disque sympa, il y a quelques morceaux vraiment beaux, oui. Mais il y a d'abord la sublime "Same Old Scene", tube disco-wave cafardeux et nacré, suintant d'une mélancolie à la fois glacée et brûlante, celle incarnée par ce Roxy Music parrain des nouveaux romantiques. Cette chanson d'amour déprimé semble nous venir de la chambre immense du playboy, baignée par les premières lueurs froides d'un jour d'automne ; un homme à la vie bien remplie et pourtant vide, après ces années à avoir donné toutes ses nuits à toutes ces dames, ne pouvant chasser ce vague à l'âme profond qui le mine... Un de leurs plus grands morceaux, toutes périodes confondues, qui me laisse à chaque fois dans un état second. Rien que pour celui-là, cœur avec les mains.