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Cem Karaca & Edirdahan › Safinaz

vinyl • 3 titres • 36:35 min

  • 1Safinaz18:07
  • 2Kara4:54 [poème de Ahmed Arif]
  • 3Şeyh Bedrettin Destanı13:34 [poème de Nâzım Hikmet]

informations

line up

Cem Karaca (chant), Fehiman Uğurdemir (guitare), Bülent Urkan (saxophone tenor, saxophone soprano, flute), Salih Çele (trompette, trombone), Hami Barutçu (basse), Derya Elver (batterie)

chronique

Safinaz, ou comment tirer sa révérence en beauté. Alors que la situation en Turquie devient irrespirable, Cem Karaca radicalise encore sa musique en formant son dernier groupe, Edirdahan, dont le nom tire une ligne entre les deux extrémités de la Turquie, Edirne à l’Ouest et Ardahan à l’Est. Abandonnant les claviers agressifs de Dervişan, Karaca revient avec ses nouveaux compagnons de route, parmi lesquels il retrouve le fabuleux guitariste Fehiman Uğurdemir, à un son chaud et organique, avec une section d’instruments à vent apportant, sans jeu de mot, un nouveau souffle épique à des morceaux visant maintenant un lyrisme politique de très grande ampleur. Il reste certe un morceau relativement court adapté d’un poème de Ahmet Arif, « Karam », détonation prog-rock électrique composée par Uğurdemir, où des cuivres héroïques répondent au chant de combattant de Karaca, avec un pont aux airs de rituel chanté en polyphonie. Mais c’est bien sûr le morceau éponyme qui fait date, où sur près de vingt minutes, Karaca raconte l’histoire de Safinaz, jeune fille de famille pauvre qui doit quitter l’école pour aller travailler à l’usine, puis se fait tabasser par son père, le concierge Kasım, pour avoir couché avec un homme sans être mariée. Le récit, très Zola, s’achève par le départ de Safinaz de la maison. Crise économique, questionnements sociétaux, le texte de Karaca charrie des tonnes d’interrogations sur la Turquie de cette fin des années soixante-dix, sur les vertus de l’éducation et sur les questions de classes. Pour l’accompagnement musical de ce quasi "opéra-rock", un terme moche bien à la mode alors, pas de démonstration technique outrancière qui plombait le prog d’alors, mais une série de thèmes mélodiques qui s’enchainent selon le point du récit, beaucoup d’instruments acoustiques et surtout ces cuivres, trompette, trombone, flute, qui impriment une atmosphère soit lyrique, soit plus mélancolique ou même carrément pop, avec des détours instrumentaux dignes de délicieux soft-jazz un peu lounge. Mais aussi d’un coup d’un seul, juste à la moitié du chemin, un retour à a musique traditionnelle turque, Fehiman Uğurdemir brillant sur sa guitare au sons de saz, la flute volant de Canterbury à Istanbul dont on entend alors les discussion à bâtons rompus dans les cafés, odeur de thé fumant dans l’air, Karaca jouant de ses intonations comme l’acteur de théâtre qu’il fût avant de se lancer dans sa carrière musicale. Puis une dernière session frénétique, guitare aux tons irisés, trompette nocturne, final accompagné de scansions de cuivres pour l’exil de Safinaz, envoyé par la voix de stentor de Karaca : mais où ira alors Safinaz ? Un long poème lyrique dans l’esprit de ceux de Nâzım Hikmet, c’est sans surprise avec lui, le plus politique de tous, que Cem en termine en adaptant la fameuse « Epopée du Sheik Bedreddin », sorte de proto-communiste du quatorzième siècle, insurectionnel et humaniste qui finira exécuté par le Sultan Mehmet. Une fois encore, c’est le mélange cuivre et bois qui souffle le vent épique du récit de Hikmet, moitié chanté-moitié narré par un Karaca complètement habité, alternant passages calmes précédent tempête des batailles, et la magnifique guitare de Uğurdemir coulant de source sur la terre brûlée. Quand sorties du silence résonnent les notes envoutantes d’un saz, les frissons se mèlent à la sidération quand explose l’interprétation opératique du chanteur, au sommet de sa puissance expressive. Autant dire que dans le climat politique de l’époque, Cem Karaca s’assurait d’être sur la liste noire des forces réactionnaires qui n’allaient plus tarder à prendre le pouvoir par un énième coup de force. Karaca était alors en tournée en Allemagne, il sera déchu de sa nationalité et forcé de fait à l’exil, comme le poète qu’il interprétait avec passion sur ce dernier album produit en Turquie, un aboutissement artistique et politique qui vient marquer la fin d’une époque.

note       Publiée le jeudi 16 novembre 2017

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Tallis Envoyez un message privé àTallis

Les arrangements prog ont - forcément - un peu vieilli mais peu importe : l'interprétation habitée de Cem Karaca emporte largement le morceau.

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