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Eliane Radigue (b. 1932) › Trilogie de la mort
- 1998 • Experimental Intermedia XI 119 • 3 CD
cd 1 • 1 titre • 61:22 min
- 1Kyema61:22
cd 2 • 1 titre • 56:08 min
- 1Kailasha56:08
cd 3 • 1 titre • 51:17 min
- 1Koumé51:17
informations
Kyema: composé et réalisé entre 1985 et 1988. Kailasha : 1991. Koumé: entre 1991 et 1993. Trilogie finalisée au Studio CIRM, Nice, France, 1993.
line up
Eliane Radigue (synthétiseur ARP).
chronique
"Aller au-delà de la mort dans cette vie même..." Ha ha ha ! Alors, mon p'tit gars, après quelques interrogations, tu crois enfin savoir ce que c'est, le "drone" ? Parce que tu viens de découvrir Earth et Sunno))), tu crois que t'es dev'nu un homme ? Non mais laisse-moi me marrer ! Ça, de la musique d'homme ? Mais c'est du drone de tapette, oui, du bourdon enrobé dans un papier à fleurs à peine moins pop que le dernier Paul McCartney ! Heureusement, j'ai ce qu'il faut pour te dépuceler l'oreille un bon coup : Éliane Radigue ! Eh ouais, c'est une femme qui va t'apprendre la vie. Elle ne les a pas attendus, les autres ; t'étais pas encore un spermatozoïde dans les couilles de ton père, Charlemagne Palestine jouait encore à la marelle, qu'elle en composait déjà, du drone. Et du bien hard, du bien congestionné, en plus. Elle aura tout traversé, tout connu, la Radigue : musique concrète avec Pierre Schaeffer et Pierre Henry - elle a même été l'assistante de ce dernier ; musique électronique avec Morton Subotnick... qui la convainc définitivement d'abandonner le bricolage d'échantillons sonores pour branlotter des gros modulateurs de fréquences (synthétiseurs, qu'on appelle ça) ; et enfin, le passage quasi-obligé pour trouver une inspiration "spirituelle" et donner un peu d'âme à ces vilaines machines : la conversion au bouddhisme. Pas très original, tout ça, certes. Mais au final, Eliane Radigue est une jusqu'au-boutiste, elle va chercher la transe, la vibration ultime, au plus profond de son synthétiseur ARP. Filtrages et modulations de fréquences, rien de plus. Rhaaa... oui. Toi, aussi, tu le sentiras peut-être, ce moment charnière qui fait tout basculer, ce rendu organique qui trifouille les entrailles si l'on veut bien se laisser traverser le tympan et ouvrir le bide. Sois-en donc averti : la Trilogie de la mort, c'est trois heures (trois heures ! hardi, petit !) d'un continuum sonore ininterrompu qui se transforme de manière lente, si lente... Le premier volet, inspiré du livre des morts tibétain (tiens donc... coucou Pierrot !) évoque le cheminement de l'âme des morts qui passe par six états successifs. Le "souffle" (là aussi...), électronique, qui va se métamorphosant, produit des sensations fascinantes. Et les clochettes ? Pareil ! Le deuxième volet, plus progressif encore, plus sourd, plus engloutissant dans ses fréquences électroniques, est dédié au fils de la compositrice, mort durant son élaboration. C'est un pèlerinage aride, étouffant. Écouter cette oeuvre en entier et sans interruption est un réel défi... Le troisième volet, où le "bourdon", devenant ensuite avion, trompe, que sais-je, se fait mieux sentir que jamais, fut inspiré à Éliane Radigue par la mort de son maître tibétain. À partir de la vingt-huitième minutes arrivent des fréquences hautes qui donnent effectivement une sensation d'élévation, de retour à la lumière et à la vie, assez stupéfiante. Éliane Radigue, pendant électro-bouddhiste de l'acoustico-catho Olivier Messiaen ? Pourquoi pas. Drone ultime, en soi et pour soi, en perpétuelle mutation, passages de l'ombre à la lumière, de la pesanteur à la grâce... hypnose et transe mystiques au rendez-vous pour certains. Pour d'autres (les plus nombreux, j'en ai peur), cette musique, entre acouphène et frigidaire, sera l'archétype de la musique chiante... chiante comme la mort, bien évidemment.
Dans le même esprit, Trimalcion vous recommande...




chronique
Il y a vraiment quelque chose de minéral au sens vivant du terme sur ce disque. Une pression tellurique indéniable qui mène à la cristallisation de l’instant, ce fragment d’espace-temps (qui pour le coup n’en est pas un) et qui s’étire jusqu’à l’infini, entier… sans la moindre fissure... sans la moindre imperfection!
Tranquillité, dilatation et complétude, voilà ce que représente la mort pour Eliane Radigue. On est loin du death metal et de sa vision cauchemardée du sujet. Ici, on se penche au dessus d’un étang sauvage et on respire le parfum de ses reflets oscillants avec douceur et l'on ressent l'appréhension certaine que nos sens semblent s'éteindre alors qu'en réalité, ils s'affutent dans l'ombre avec tranquillité.
La mort, ce voyage. La mort, cette étape. La mort, ce paradoxe.
Un renoncement absolu et serein de l’existence telle que nos esprits de vivants ont bien du mal à conceptualiser sans effort. Vous auriez tord d’ailleurs de penser que ce disque vous en demanderait un, en parcourant ses longues pistes qui ne semblent qu’à peine s’animer. Non pas que votre intuition vous y guidât sans questionnement ni doute mais simplement que sa vision de la transcendance, de la matière et du temps ne saurait être abordée comme un puzzle ou un problème à résoudre. Ou en tout cas je doute fortement que c’est ainsi que vous y trouviez votre compte.
Il ne demandera que l’attention de votre coeur à défaut de celle de votre esprit. Vous aurez tout le loisir, au contraire, de le laisser se reposer, et de simplement vous laisser rêver ce que la non-existence puisse être de l’autre côté du voile alors que les pulsations s’élancent, volent et retombent à un rythme séculaire.
Allongez-vous. Fermez les yeux. Et laissez le temps qui s’allonge guérir votre impatience. C’est ainsi que vous comprendrez que la mort n’est pas votre ennemi. Qu’elle est univers. Qu’elle est récompense. Qu’elle est une colombe qui annonce votre libération et non un charognard venu vous tourmenter.
Un voyage métaphysique sans réel contour qui enseigne le relâchement jusqu’à l’extase, et qui aura bouleversé votre serviteur jusqu’à la moelle, au plus profond de son être.
Une offrande sans défaut. Unique. Profondément et merveilleusement belle. Qui ne ravira peut-être pas la plupart des mélomanes avides de mélodies d’hier ou d’aujourd’hui, mais qui offre à l’esprit ouvert et tout simplement curieux, une exceptionnelle perspective sur la nature des choses.
Une oeuvre totale d’une artiste au parcours remarquable que les historiens de la musique ont parfois tendance à beaucoup sous-estimer. Souvent comparées (à tord) à ses professeurs à défaut d'autres éléments raisonnables de comparaison, Eliane Radigue aura pourtant bel et bien creusé un sillon qui lui est propre et qui ne regardait personne d’autre qu’elle avant que le temps finisse par lui octroyer les honneurs qu’un tel monument discographique méritait depuis ses début.
A découvrir absolument!
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- dariev stands › Envoyez un message privé àdariev stands
je plussoie pour Adnos
- SEN › Envoyez un message privé àSEN
Tu peux rajouter "Jetsun Mila" dans le genre immersion hypnotique
- Note donnée au disque :
- Horn Abboth › Envoyez un message privé àHorn Abboth
La seul oeuvre qui puisse rivaliser, et qui à mon sens, surpasse cette Trilogie de la mort, c'est son Adnos I-III. Ces 3 drones offrent des possibilités d'immersion et d'abandon dans l'écoute que je n'ai quasiment jamais rencontré ailleurs.
- Note donnée au disque :
- Cinabre › Envoyez un message privé àCinabre
Un grand merci à vous deux pour ces lectures! Je m’y mets cet après midi!
- Note donnée au disque :
- dariev stands › Envoyez un message privé àdariev stands
Il y a aussi ce recueil d'articles, + ancien, coordonné par Emmanuel Holterbach : https://www.corticalart.com/product/portraits-polychromes-17eliane-radigue/