Le Bardo Thos-Grol (ou Bardo Thödol) plus connu en occident sous le nom de Livre des Morts Tibétain décrit les différentes étapes que traverse l'esprit entre la mort et la prochaine réincarnation. Mais comme tout texte mystique, ses mots possèdent aussi un pouvoir : écouter la lecture du texte aide, dit-on, à échapper au Samsāra. Bien que l'intérêt pour ce texte ne date pas d'hier (et comment pourrait-il en être autrement au vu du sujet ?), sa traduction complète ne date pourtant que de 2005. Avant cela, nombreux furent les artistes à être fascinés et terrifiés par la profondeur et la richesse de ce texte, et nombreux furent aussi ceux qui ont voulu en tester les pouvoirs actifs : Timothy Leary et John Lennon pour ne citer qu'eux ; quand d'autres plus prudents ont préféré se l'accaparer en livrant leur vision ou leur interprétation artistique, tels que Pierre Henry avec le Voyage (1962) ou Eliane Radigue sur la Trilogie de la Mort (1988). Sigillum S livrera sa version un an avant cette dernière, dans une petite cassette tel un artefact uchronique. On y entend d'abord des chants diphoniques tibétains récitant un mantra indéfinissable. D'autres chants, plus solennels, font suite. Une corne fait son apparition et nous voilà en pleine procession rituelle. À moins que... est-ce une documentation ? Un rite oublié, un collage, une reconstitution ? Un peu de tout cela, assurément, puisqu'il est question ici d'un projet d'"analyse et d'actualisation". Il y a de toute évidence une part psychique très investie, tout comme avec Ain Soph à la même époque ou Arktau Eos un peu plus tard. On écoute des artistes se risquer avec l'humilité nécessaire à mettre le pied dans des champs qui de toute évidence les dépassent. Mais avec stoïcité, ils poursuivent leur chemin intérieur et, tel Dante, "reviennent des Enfers" - car le livret l'annonce explicitement : "going both ways". Découpé en sept parties mais ne formant en réalité que deux titres, Bardo Thos-Grol ressemble à une méditation sur le pouvoir du son dans le bouddhisme tibétain, et l'associe à différentes doctrines ou divinités. Ils font l'expérience des rythmes (implacables et hypnotiques), des chants diphoniques ininterrompus, des appels ou invocations par les conques. Ils se servent avec parcimonie des cloches et os humains même si leur présence est évidente et souvent très prenante. La production obscure et lourde donne un cachet certain à l'ensemble qui évite ainsi la sécheresse des enregistrement mystiques récents tels les rites Bön ressuscités par les russes de Phurpa, et la tonalité globale reste ici très obscure, un brin macabre qui sied à merveille au projet qui réussit finalement à rendre au Son le pouvoir qui lui est conféré, et ce sans chercher à nier sa condition de création artistique. Les gens curieux de se baigner dans la rivière des morts seront les premiers enchantés...