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Wire › Chairs Missing
cd • 19 titres • 56:10 min
- Side 1
- 1Practice Makes Perfect
- 2French Film Blurred
- 3Another The letter
- 4Men 2nd
- 5Marooned
- 6Sand In My Joints
- 7Being Sucked In Again
- 8Heartbeat
- Side 2
- 9Mercy
- 10Outdoor Miner
- 11I Am The Fly
- 12I Feel Mysterious Today
- 13From The Nursery
- 14Used To
- 15Too Late
- Bonus tracks
- 16Go Ahead
- 17Outdoor Miner (extend)
- 18Former Airline
- 19A Question of Degree
extraits vidéo
informations
Produit et arrangé par Mike Thorne - Edité par Chris Blair - Ingé-son : Paul Hardiman - Remasterisé par Denis Blackham
La durée de l'album original sans les bonus tracks, tel que le groupe souhaite qu'on l'écoute, est de 42:45 pour 15 pistes
line up
Colin Newman (chant, guitares), B.C. Gilbert (guitares), Graham Lewis (basse, chant), Robert Gotobed (batterie)
Musiciens additionnels : Kate Lukas (flûte sur Heartbeat), Mike Thorne (claviers, synthétiseurs)
chronique
N'écoutez pas ceux qui parlent de Wire comme d'un groupe dansant et acerbe, à la musique dissonnante ayant inspiré Sonic Youth ou encore le "dance-punk" actuel. Aujourd'hui, Chairs Missing, autant se l'avouer, ne serait qu'un disque indie-rock comme les autres. Particulièrement concis et bien écrit certes, mais comme les autres. Au risque d'aller à l'encontre du culte, Wire est un groupe certe audacieux en studio, expérimentant des techniques de production, des accordages et des effets de guitare que tout le monde allait utiliser pour être à la mode des décennies plus tard (et ceci est valable pour les années 80,90 et 2000), mais ça s'arrête là. Il n'y a pas ici la profondeur d'un Modern Lovers ou même d'un Magazine, sans forcément demander l'âme tourmentée de Joy Division où la richesse inégalable du Bowie de l'époque. Chairs Missing, qui est pourtant l'équivalent anglais de l'expression "une araignée au plafond", est un album moins radical et plus confortable que Pink Flag, le manifeste sorti l'année précédente, au titre en hommage à Pink Floyd (le groupe étant signé sur Harvest, gros sous-label d'EMI surtout connu pour héberger la bande à Roger Waters). Il est placé sous le signe d'une pop atmosphérique, encore une fois totalement avant-gardiste et invendable à l'époque, mais aujourd'hui bien sage. La nouveauté, qui n'était alors qu'un sacrilège de plus à leur compte, ce sont ces synthés joués par le producteur Mike Thorne, instrument souffrant encore à l'époque d'une réputation de frigidité et d'artificialité, de tueur de la musique. Wire fait cohabiter cette distance froide et cette artificialité toute revendiquée (pensez beaux-arts, plasticiens, sculptures de bittes en cellophane, questionnement, mon cul sur ta commode) avec une ardeur et une chaleur dans le son que bien peu arriveront à communiquer dans un canevas punk. Couplets et refrains ne se comptent jamais en nombre pair (puisque souvent il n'y a qu'un de chaque), quand ce n'est pas toute la structure d'un morceau rock qui est remise en question, et ce sans perdre une once d'accessibilité. Chairs Missing reste aujourd'hui l'un des disques les plus abordables du punk 77, mais pas sur qu'il vous donne envie de découvrir les autres groupes, tant Wire se tenait à part. Seul Joy Division est vraiment évoqué, sur une chanson comme Heartbeat. Les chansons d'ailleurs, parlons-en. On peut grossièrement les classer en quatre catégories : les pièces plus longues, ciselées avec amour, comme les Kinks 10 ans avant mais dans une optique résolument art contemporain et à l'absence de fond totale, toute vouée à la forme : Practise Makes Perfect, Being Sucked in Again, Mercy. Elles sont la marque de fabrique du groupe et sa principale originalité. Puis viennent les chansons douces et rêveuses, comme sous anésthésie locale au niveau de la voix, ingénieusement mixée en retrait : Marooned, French Film Blurred, Used to, Outdoor Miner, et le très bien amené Heartbeat et sa montée évidente, mais à laquelle i il fallait penser (pas un single, étonnamment). Enfin, les derniers restes de punk binaire, noisy avant l'heure (sand in my joints, too late) et les petits ersatz de folie aux airs faussement improvisés, proches du punk DIY, que sont Men2nd, From the Nursery et Another the Letter. Et le groupe switche entre tout ça de manière totalement aléatoire, dans cette tracklist qui donne l'impression d'un double album alors que les morceaux sont juste ultra-courts. Tout ceci dégage une impression d'inconstance, de consommation rapide, d'ennui urbain profond recouvert d'une fine couche de faux-semblants et de poses d'enfant gâté (I feel Mysterious Today, "Is it too late to change my mind?"). En bon produit des Art-Schools britanniques, Wire cultivait le rien à dire comme pose arty enrobant des compos qui dispersent tous les repères jusqu'ici bien tranquilles car simplistes du Punk. De rares exceptions sont les lyrics de l'inquiétant Marooned, déjà préoccupé par la fonte des glaces bien avant Radiohead, et From the nursery, qui semble faire parler une poupée gonflable de sa voix de call-girl mécanique et saccadée. La réussite la plus insolente de ce disque pensé dans les moindre détails (jusqu'à en devenir énervant, à côté de ça il faut reconnaître que même Yes sonne spontané), c'est Outdoor Miner, un tube s'approchant du niveau de Making Plans for Nigel de XTC, à tel point que la maison de disques avait exprès demandé à Wire d'en ré-enregistrer une version au format radio... Généralement, quand on dit ça, c'est pour raccourcir le morceau, couper un indélicat solo de batterie, un pont instrumental. Non, ici, c'était pour le rallonger : 1 min 44 à la base. Encore une fois, les bonus tracks, à la durée plus calibrée, sont a écouter à part. On y trouve un Former Airline à la modernité frappante, entre Tuxedomoon et incursions noise jamais gratuites, toujours calculées, judicieuses. On y trouve aussi un Question of Degree assez tiède, annonçant hélas les horribles chœurs de footballeurs écossais qui font tant fureur dans les groupes indie-pouet actuels. Alors tout ceci, mis bout à bout, nous fait-il un album si cohérent "conceptuellement" que le groupe veut nous le faire croire ? Non. Pour faire une phrase bien dans le style sybillin des adorateurs du groupe : Wire, avec Chairs Missing, s'affirmait moins comme un égal des géants de l'époque (Television, PiL, Talking Heads, Joy Div), que comme des seconds couteaux de luxe, aux trouvailles sonores dissimulant mal un manque de sève frustrant pour les auditeurs acharnés. De quoi faire mentir la croyance tenace que les inventeurs sont forcément les meilleurs.
Dans le même esprit, dariev stands vous recommande...


chronique
Regardez bien cette pochette austère, pour ne pas dire funeste... Elle est parfaite. Dommage que Wire aient eu l'idée saugrenue de poser au verso - même si leurs trombines sont déjà pas possibles, à même pas vingt-cinq ans ces jeunes punks ont l'air de quadragénaires qui s'emmerdent au bureau... Et ça détonne assurément plus que d'être attifé, maquillé, déguisé, juste pour que les gens se retournent, mais d'être terriblement banal à l'intérieur. Wire c'est l'inverse radical. "Y en a qui z'ont l'emballage et pas le contenu", dira un quart de siècle plus tard un artiste contemporain controversé. Disruptifs par chemises blanches et gueules d'enterrement. "Music for depressive single men", dira un rock critic moqueur ? Colin Newman parlera mieux de leur musique en ces deux termes qui résument pas mal les choses : "Magnificient Tension".
Et si la tension est bien reine ici, dès ces "waiting for us" sur guitare-métronome bien aigre-acide, Wire s'y amuse aussi pas mal, façon taquin-enquiquineur de stéréo et de cerveau, j'en veux pour preuve un morceau comme "I am The Fly", quelque part entre "La Mouche" de Polnareff et "Human Fly" des Cramps. Bien agglutinée au papier collant du plafond (celui où est déjà perchée l'araignée de l'expression), à chaque tour de piste celle-là, ouais... Comme cette "Heartbeat" en crescendo d'Escher, montant sans jamais exploser, égalant les morceaux les plus brillants du Velvet Underground... Tension magnifique, ouais. Et puis il y a cette sublime "Marooned" - peut-être leur première vraie merveille - qui porte bien son titre ("Abandonné") : ambiance seul au monde, mais pas version Robinson Crusoe, plutôt The Thing de Carpenter avant l'heure. Mettre moins de cinq sur six à un album contenant un tel morceau, puits émotionnel ? Impossible. Par cette seconde chronique, je viens donc un peu tirer les oreilles au méchant chroniqueur disruptif Dariev Stands. Mais aussi et avant tout : à moi-même. Fallait-il qu'elles soient recroquevillées, pour que si longtemps je n'entende pas la beauté de cet album ?
Je vais bien les tirer jusqu'à m'en arracher les lobes, donc, pour en apprécier toute la folle fraîcheur, à ce Chairs Missing. Kafkaïenne, buzzatienne, kubrickienne, la musique de Wire y est truffée de petits moments d'épouvante, toujours dans le cadre du réel le plus. Angoisse fraîche. Cette musique est tout aussi bizarre - ne tournons pas autour de l'adjectif quand il est indiqué ! - que ce que faisait à l'époque Pere Ubu. Ou toute aussi originale que les Talking Heads. Le "gap" franchi en un an depuis Pink Flag est déjà immense. Il le sera encore plus avec 154. Oui, ces mecs étaient des génies, et les critiques avaient raison. Les collectionneurs d'art aussi. Ce sont des gens qui peuvent avoir raison, n'ayons pas peur de le dire.
Saperlipopute, "Practice Makes Perfect", quand même ! Du Steve Albini, en 1978 (comment ça je radote ?) ! Mais c'est "Heartbeat" que reprendront Big Black, dans une version raw-ricaine en feu (kérosène ?) Reste que c'est ici que tout un gros morceau malsain du rock alternatif américain a pris naissance, dans ce cul de l'UK, et c'est encore tout frais comme un truc qui vient de sortir, tu touche rien ça passe nickel, en copeaux de guitare et en ambiance malsaine qui gronde et grossit... Y a encore des gens qui écoutent Interpol dans la salle ? Qu'on retire leurs chaises. Et que dire de "Mercy", où leur art du riff "motorik" prend toute sa dimension inhumaine : riffs et tonalité de guitare hyper-hostiles, du hardcore punk à l'anglaise, en 78, n'était le chant - car même quand Newman s'énerve il dégage la chaleur d'un bâtonnet de colin surgelé. Donc je place l'étiquette post-hardcore sur un skeud de 1978, ouais, même pas peur : c'est aussi ça, l'effet Wire.
"Outdoor Miner" est la piste préférée de Dariev, donc ? C'est étonnant, car c'est pour moi la moins marquante, je trouve que part son côté mignon elle casse même la dynamique de l'album... Je lui préfère nettement la discrète mais tenace "Used To", comme une variation sur "Marooned", à la fois pâle et lugubre. Ou, de façon moins franche mais quand même, le côté zolo ailleurs, qui se ressent pas mal à travers les titres cold-teubés, où leur côté saccadé-hachuré fait des merveilles (comme sur l'androgyne "From The Nursery"). Puis encore, "I Feel Mysterious Today" avec ce chant d'anglais répugnant, où on sent poindre l'humanité de Wire, leur côté joueur... Et cette fin volontairement frustrante, "Too Late", un des rares morceaux de Wire où le rock n'est pas amputé du "n' roll". Puis retour à la case départ, ré-injection jusqu'à perfection... inatteignable. "C'est l'jeu ma pauvre Lucette". Cet album pour ses partisans est le meilleur des deux mondes, positionné pile entre ces deux énergies, l'une plus vitale l'autre plus morbide, que sont Pink Flag et 154, et pour ceux qui préfèrent ces deux derniers il est un peu trop... le cul entre deux chaises ? C'est plus pratique pour scier.
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notes
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- Raven › Envoyez un message privé àRaven
Par contre les temps faibles sur Pink flag ou 154... faudra me dire à quel moment ! Le côté éjaculateur précoce du Drapeau Rose ne l'empêche en rien de se révéler sur le (très) long terme, et une fois sous sa coupe tu vois qu'il n'y a que des pépites (et au pire des comètes de "allez"... qui font lien dans le flux, pas en trop, du tout)... Quant à 154 c'est punition sur punition.
- Note donnée au disque :
- Raven › Envoyez un message privé àRaven
Ça leur va tellement bien, "tailleurs de diamants", bravo... et elle leur irait tout aussi bien pour - entre autres - Silver/Lead, cette expression. Et je dis pas ça qu'en pensant à "Diamonds in Cups" !
Sinon oui, Mike Thorne. Je l'ai cité concernant les deux autres, car il a clairement été indispensable pour leur début et a fortement contribué à l'ambiance cold du troisième, mais ici aussi il a méchamment emballé le truc. Alien ouais.
- Note donnée au disque :
- Le Gnomonique › Envoyez un message privé àLe Gnomonique
Sur celui-là plus que sur tout autre, ils sont des tailleurs de diamants. Tout s'imbrique à merveille, c'est presque de la géométrie. 154 contient peut-être des morceaux plus forts mais j'ai toujours trouvé Chairs Missing mieux agencé, sans temps faibles, et l'ingéniosité sonore ne retombe jamais. Il faut d'ailleurs mentionner le travail remarquable de Mike Thorne sans qui les premiers Wire n'auraient pas ce son extra-terrestre. Et dire qu'ils ont écarté Former Airline et A Question of Degree...
- dariev stands › Envoyez un message privé àdariev stands
J'en pense que Tout est Dû à L'Amiral. Sa majesté des mouches ? Il est aussi Roi des Fourmis, à un autre de ses grands moments.
- Raven › Envoyez un message privé àRaven
Oh ? L'idée de démos me repousse en général, mais je vais aller tester ça fissa ! Merci.
- Note donnée au disque :