Ces derniers temps, le Grand Esprit s'est montré plutôt alerte et méfiant. Il semblerait que quelque chose ait perturbé sa quiétude – un message porté par les courants aériens. Un évènement terrible, dans un lointain continent, qui aurait emporté et pulvérisé des millions d'esprits dans un seul souffle. La violence fut si terrible, nous dit-il, que ce nuage d'âmes va bientôt s'abattre sur nos terres, rongeant nos corps et nos terres, les prairies et les montagnes et amenant avec eux un giantesque voile de ténèbres qui va alors engloutir le soleil et les étoiles. Ce ciel si clément aujourd'hui deviendrait pluie ardente demain ? Qu'il en soit ainsi : si l'on ne peut vaincre la nature, prenons part à la célébration. Nous danserons sous cette eau brûlante, nous accueillerons les bras ouverts ces vagues successives de précipitations dont chaque parcelle nous perfore la peau et les muscles. Et nous voilà, le jour tant redouté, à nous remuer entre plaisir et douleur résignée, les dents serrées, au milieu de cette plaine qui se creuse au fil des averses de feu. Notre terre devient acide, notre rythme, aride. Il y a presque quelque chose de rafraîchissant à rejoindre le Grand Esprit dans cette douloureuse purification corporelle, et tandis que nos lambeaux se défont telles des mues de serpents, nous observons le grand manteau de poussière se former sur terre et dans les Cieux. Pour sûr l'avenir s'annonce difficile après un tel balayage, mais nous voilà transfigurés, solidifiés, acidifiés pour pouvoir accueillir ce futur incertain avec sérénité.