Deleyaman › Fourth - part one

C'est toujours un monde à part, un peu comme un Tenhi. Quand on ouvre un album de Deleyaman, on retrouve ce ciel gris et blanc, sa lande et cet arbre, ce chemin que l'on connaît, et qu'on est venu reprendre. Et cette fois là encore, il nous emmène ailleurs. Dés l'hivernal "book of change", après que les nuages et le chant du doudouk nous ont amenés là, Béatrice Valantin semble nous prendre la main, plus proche, plus réelle. Deleyaman a laissé infuser sa musique de son propre passé, de ce rock et de cette pop dont il était jusqu'ici une forme d'éclatement. Les lignes de chant se sont précisées et trônent, au centre des compositions d'Aret Madilian. Avec leur guitare, leurs mélodies centrales, qui focalisent l'attention, "Stay on" ou "Roses" ne sont rien d'autre que des pièces folk, une folk des étoiles, une folk du vent. De "Be still" le flocon de neige à l'ultime "Arev Tibav", apaisé, presque religieux, en passant par "Jardin", le lied sublime et maudit, et "traffic lights", dont le superbe paysage neigeux que la guitare pondérée, les percussions boisées et le doudouk toujours souverain de Gérard, installent durant les lumineuses premières minutes, n'est là que pour attendre Aret, et lui faire un accueil, lui qui vient nous raconter une histoire... les pièces de Deleyaman articulent et épurent désormais leurs atmosphères autour de la voix, la mélodie du chant, et de ses mots. À la contemplation, à la méditation, le quatuor a décidé d'ajouter la parole, comme s'il voulait sortir d'un recueillement devenu trop immobile. Il s'agit toujours d'harmonies délicates, de textures brumeuses qui se frôlent et s'enlacent, de détails mélodiques et d'acoustiques ouvragées, mais le vocabulaire instrumental s'est dépouillé, exception faite de la batterie qui devient plus que jamais la colonne vertébrale et binaire du déroulement musical. Les espaces se sont aérés, comme pour mieux accueillir l'avènement mélodique de la voix. Deleyaman n'a pas quitté les ténèbres : "Fill my heart" renoue avec la profondeur sinistre, les roulements de cymbales et le silence omniprésent malgré les polyphonies de Béatrice ; il n'a pas non plus renoncé à la peinture : "Somehow", et les lentes installations instrumentales qui traversent les pièces chantées et où s'exprime, avec une vérité accrue par le décor plus nu et une reverb' apprivoisée, le pinceau du doudouk, continuent de nous faire ces souvenirs de prairies et de givre, de ruisseaux sous la neige, de forêt tranquille, endormie sous le froid... ces souvenirs que l'on était justement venu chercher, en reprenant ce chemin. Toujours un monde à part, même s'il y a bien quelques heurts que le définitif "3" ne pouvait pas avoir. Le très bon "Temples", cold wave old school pur jus, rythmée à la 80's et s'assumant comme telle, aurait sans doute gagné à être un hommage moins littéral, notamment dans le son de batterie; et d'une manière générale, on se met à vouloir que la reverb' s'efface toujours plus, comme elle semble déjà vouloir le faire, pour que l'acoustique de plus en plus authentique et aérée s'épanouisse plus encore. Ce sont peu de choses, bien peu de choses, car le voyage est vaste, le pays aussi généreux que condamné au froid, et l'art du mélodiste toujours aussi raffiné. Deleyaman se met à nous parler, à nous raconter, maintenant que nous marchons d'un pas sans cesse plus rassuré dans ses chemins solitaires. Un monde à part, qui s'ouvre dès le premier pas. Ça commence avec "Book of change", une merveille, et ça se lit jusqu'au bout.